Expert en communication de crise, il a participé à plusieurs missions de maintien de la paix des Nations unies. L’ancien ministre de la Communication déplore la bipolarisation de la presse dans la couverture de la crise sociopolitique que traverse le pays et appelle les confrères à plus de professionnalisme
La crise sociopolitique qui frappe notre pays depuis plus d’un mois n’a pas encore connu son épilogue malgré une forte implication de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). En effet, les propositions qu’elle a faites vendredi dernier pour la sortie de crise ont été purement et simplement rejetées par les contestataires réunis au sein du M5-RFP.
Certains confères parlent de retour à la case départ pour ne pas dire l’échec de la médiation des voisins de la sous-région. D’autres journalistes ont préféré de ne pas tirer une conclusion hâtive, souhaitant se fier à l’évolution de la situation. Il faut reconnaître que le traitement de cette crise par la presse nationale n’est pas exempt de critique.
Au niveau de la presse écrite, à la radio, à la télé, on a l’impression que certains confrères cherchent à jeter l’huile sur le feu. Sur la toile, c’est encore pire. Beaucoup s’improvisent journalistes et n’hésitent pas à balancer des propos, des images, des interviews qui ne font qu’envenimer la crise.
Face à ces dérives devenues presque quotidiennes, nous avons approché Hamadoun Touré, journaliste, expert en communication de crise, ancien ministre de la Communication. Dans la crise sociopolitique, certains médias ont carrément pris position. Est-ce que cela n’est pas incomptable avec les principes du journalisme en temps de crise ? En réponse à cette question, Hamadoun Touré pointe les dérives.
«Il y a une bipolarisation dans la presse malienne. Chaque journal peut choisir sa position. Mais la position éditoriale doit s’accompagner de l’honnêteté. Ce n’est pas parce qu’on est dans un camp qu’on invente n’importe quoi», explique-t-il, tout en rappelant une anecdote : «Il y avait en France, pendant la Première guerre mondiale, le mensonge patriotique. On demandait aux journaux de mentir sur le déroulement de la guerre, sur les pertes du côté des ennemis, sur les pertes nationales. Et c’est ce qui a donné naissance au Canard enchaîné qui a refusé le mensonge patriotique pour être dans l’orthodoxie journalistique». Pour l’expert en communication de crise, l’orthodoxie journalistique n’interdit pas les éditoriaux.
«Quand on fait l’éditorial, on prend position. Mais dans la crise, il faut prendre position avec beaucoup de lucidité parce que votre position peut entraîner des victimes innocentes, peut créer même une désagrégation nationale, peut avoir des conséquences sur votre propre pays. Or si vous n’avez pas de pays, vous n’avez pas de journal», analyse-t-il.
Selon Hamadoun Touré, il y a des choses à sauvegarder, ce qu’on appelle l’intérêt général qui, renchérit-il, doit primer sur nos intérêts personnels en temps normal comme en temps de crise. «Le journalisme s’apprend d’abord en temps normal. Les réflexes qu’on a en temps normal, sont mis en pratique en période de crise mais de manière exponentielle parce que la crise crée des tensions. Elle fait perdre le sens de la mesure. Elle ne vous permet pas cette lucidité nécessaire à faire un jugement avisé», détaille l’ancien ministre de la Communication, ajoutant que la crise révèle une excroissance de l’attitude professionnelle en temps normal. «Si vous êtes posé et serein en temps normal, vous développerez les mêmes reflexes en temps de crise», soutient-il.
Pour ce qui concerne la presse en ligne, Hamadoun Touré estime que les dérives sont dues au fait que le journaliste est à la fois directeur de la rédaction, rédacteur en chef, reporter, monteur, éditorialiste. «Le piège, explique-t-il, quand vous êtes tout vous-même, c’est que parfois vous n’avez rien à dire. Il n’y a pas ce qu’on appelle d’actualité chaude et la tendance, c’est d’inventer parce que vous avez fidélisé un certain nombre de gens, ceux qu’on appelle les «Followers» qui aiment ce que vous faites. Parfois, vous êtes frustré de n’avoir rien à leur dire de nouveau et ça vous conduit à l’imagination fertile, pour ne pas dire au bidonnage. Il faut l’éviter. Cela est une menace pour la profession. Mais ce n’est pas propre au Mali seulement mais à tous les pays».
L’ancien ministre de la Communication fait lui aussi le constat que sur Internet n’importe qui s’improvise journaliste.
«Mais quand on est formé dans une école de journalisme, on apprend l’éthique et la déontologie qu’on respecte. Il y a un code d’éthique mais il y a aussi le code de la presse. Il y a une morale qu’on a en tant que journaliste parce qu’on a choisi ce métier pour ses valeurs, pour ses restrictions sur soi ; à savoir la vérification de l’information», développe l’expert en communication de crise.
Pour Hamadoun Touré, quelqu’un qui s’improvise journaliste n’apprend jamais. Par exemple, dit-il, on ne peut pas s’improviser architecte pour construire une maison sinon les résultats seront catastrophiques. Idem pour celui qui veut exercer le métier de journalisme sans aller à une école de journalisme ou suivre une formation basique.
Source: Essor