La bataille sur le plan de relance de l’Union européenne (UE) entre les Pays-Bas et l’Autriche d’un côté, les deux pays les plus réfractaires, et la France et l’Allemagne de l’autre, s’est intensifiée lors de la troisième nuit de sommet européen à Bruxelles. Mais au quatrième jour de négociations, les dirigeants de l’UE ont fait état de progrès dans la recherche d’un compromis. Le sommet reprend ce lundi 20 juillet à 14h TU.
Une lueur d’espoir à Bruxelles ? Réunis depuis vendredi matin, les leaders de l’UE ne sont pas encore parvienus à un compromis, malgré les efforts répétés d’Emmanuel Macron et de la chancelière allemande Angela Merkel, dont le pays assure la présidence tournante de l’Union. Cependant, une musique plus optimiste se faisait entendre ce lundi matin.
« De difficiles négociations viennent de s’achever et nous pouvons être très satisfaits du résultat d’aujourd’hui. Nous continuerons cet après-midi », a déclaré le chancelier autrichien Sebastian Kurz, dont le pays appartient au camp des « frugaux ».
Sur la table des négociations, un fonds constitué par une capacité d’emprunt de 750 milliards d’euros pour relancer l’économie européenne, adossé au budget à long terme de l’UE (2021-2027) de 1 074 milliards d’euros. Les discussions butent notamment sur la répartition des fonds entre subventions (que les bénéficiaires n’auraient pas besoin de rembourser) et prêts.
Le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, à la tête des États dits « frugaux », soit les pays partisans d’une stricte orthodoxie budgétaire, a toutefois prévenu que les discussions pouvaient encore se solder par un échec.
« Nous n’y sommes pas encore, tout peut encore échouer. Mais il y a un peu plus d’espoir que la nuit dernière quand je pensais que c’était terminé », a renchéri Mark Rutte. Une nouvelle réunion entre les 27 États membres de l’UE est prévue aujourd’hui, à 16 heures, heure de Bruxelles.
Macron sort de ses gonds
Au cours du dîner entre les 27 dirigeants de l’Union européenne dimanche soir, Emmanuel Macron a « tapé du poing sur la table ». Le présiden français a dénoncé la mauvaise volonté des États dits « frugaux » (Pays-Bas, Autriche, Suède, Danemark), auxquels s’est associée la Finlande.
Il s’en est notamment pris au Premier ministre néerlandais Mark Rutte et au chancelier autrichien Sebastian Kurz, considérés comme les plus inflexibles après trois jours de négociations stériles. Au moment où une récession historique frappe l’Europe, leurs réticences menacent de faire capoter un plan de soutien à l’économie, qui profiterait avant tout aux pays du Sud, Italie et Espagne en tête.
Le président du Conseil, Charles Michel, s’était efforcé de convaincre les uns et les autres d’avancer vers une solution négociée, leur rappelant que la crise sanitaire liée au nouveau coronavirus avait déjà tué 600 000 personnes dans le monde et que l’heure était à l’union.
390 milliards d’euros de subventions sur la table
Dans le projet initial, les dons devaient s’élever à 500 milliards d’euros. Mais il a été proposé de les réduire à 400 milliards, ce qui se situe à la limite de ce que Paris et Berlin sont prêts à accepter. Les prêts du plan de relance seraient, eux, portés à 350 milliards d’euros, contre 250 milliards au départ, selon cette nouvelle répartition.
Ce geste en faveur des frugaux, qui préfèrent les prêts aux dons, a cependant été rejeté par les intéressés, pas disposés à aller au-delà de 350 milliards de subventions. Face à ce blocage, Emmanuel Macron a tancé « leurs incohérences » lors du dîner dimanche soir, selon un membre de la délégation française
Il a affirmé, d’après une source européenne, que c’était la France et l’Allemagne qui allaient « payer ce plan », dans « l’intérêt de l’Europe, quand les frugaux sont égoïstes et ne font aucune concession ».
Par ailleurs, le président français a fustigé le comportement du chancelier autrichien Sebastian Kurz, lorsque ce dernier a subitement quitté la table pour prendre un appel téléphonique. Emannuel Macron a aussi comparé le positionnement du Néerlandais Mark Rutte à celui de l’ex-Premier ministre britannique David Cameron, qui a souvent adopté une ligne dure lors des sommets européens, mais a fini par perdre le référendum sur le Brexit.
Ce coup de gueule du duo franco-allemand a-t-il vraiment fait bouger les lignes ? Quand la session plénière s’est terminée autour de 5h45 ce matin, le chancelier autrichien avait l’air satisfait, rapporte Dominique Baillard, du service économie de RFI. On parle maintenant d’une enveloppe de subvention de 390 milliards d’euros. C’est la nouvelle base de discussion, présentée par le président du Conseil, Charles Michel.
Les frugaux se sont par ailleurs retrouvés pour coordonner leur position. C’est ce qu’a annoncé le chancelier autrichien sur son compte Twitter avec une photo de la réunion.
Auparavant, le président du Conseil européen, avait exhorté les 27 à ne pas présenter le « visage d’une Europe faible, minée par la défiance », réclamant un sursaut pour éviter un échec.
Orban accuse Rutte de vouloir « punir financièrement » la Hongrie
L’unanimité nécessaire des 27 États membres rend un accord particulièrement difficile. D’autant plus, qu’il existe d’autres points de blocage. Parmi eux, figure en bonne place le lien entre le versement des aides et le respect de l’État de droit, une idée particulièrement soutenue par La Haye, mais qui hérisse Budapest et Varsovie, actuellement dans le collimateur de l’UE.
Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, s’est vivement opposé à une telle mesure ce dimanche, accusant son homologue néerlandais de vouloir le « punir financièrement » et de le « détester » lui et la Hongrie.
Au cours du sommet, Charles Michel a multiplié les gages en faveur des frugaux, par exemple en augmentant les « rabais » dont ils bénéficient en tant que pays qui versent davantage d’argent au budget de l’UE qu’ils n’en reçoivent.
Il a aussi tenté d’amadouer le Néerlandais Mark Rutte, qui réclame que les plans de relance nationaux présentés par chaque pays en contrepartie des aides du plan de relance soient validés à l’unanimité des 27.
Une telle configuration, qui équivaudrait de facto à un droit de veto pour chaque capitale, inquiète Rome et Madrid, qui craignent d’être soumis à un programme de réformes (marché du travail, retraites…) imposé.
Charles Michel a présenté un mécanisme plus nuancé, permettant à un pays qui aurait des réserves sur le plan d’un autre État d’ouvrir un débat à 27.
► À écouter : Europe : pourquoi les frugaux font de la résistance ?
De nombreux éléments de blocage
Pour Guillaume Klossa, ancien représentant du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe au Conseil européen, ce quatrième jour de sommet n’a rien d’étonnant.
« Les chefs d’État et de gouvernement ne se sont pas retrouvés depuis des mois et le sujet est aussi historique que le Traité de Rome, il y a soixante ans. Ce qui est en jeu, c’est un doublement, presque, du budget européen. Ce sont des transferts massifs des pays les moins touchés vers les pays les plus touchés. C’est la création de nouvelles ressources et une fiscalité européenne. Cela ne peut pas se régler en quarante ou soixante-douze heures. »
Pour cet ancien représentant du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe au Conseil européen, un autre point important concerne la qualité des négociateurs. « Force est de constater que les nouvelles institutions ont été mises en place il y a peu de temps. On avait beaucoup critiqué Donald Tusk, le président du Conseil européen au début, pour son inexpérience. Cela prend du temps de devenir un bon négociateur européen, c’est compliqué. Et là, on est, en plus, dans un moment où il y a beaucoup à négocier. »
Mauvaise stratégie de négociation franco-allemande
Ce qui bloque également c’est le niveau d’endettement commun, la répartition entre les subventions et puis surtout les conditionnalités: « Vis-à-vis des pays de l’Est, notamment la Pologne et la Hongrie, la conditionnalité, à l’État de droit et à la démocratie, cela bloque. Et vis-à-vis des pays du Sud, le fait que les fonds soient débloqués à l’unanimité de manière systématique, est perçu comme une ingérence qui n’est pas acceptable », souligne Guillaume Klossa.
« Donc il y a beaucoup d’éléments de blocage, poursuit-il, mais encore une fois, je pense que la méthode n’est pas forcément la bonne. Le fait qu’il n’y ait pas une feuille de cigarette entre la France et l’Allemagne, tactiquement, ce n’est pas forcément bon. Il aurait mieux valu que les deux pays soient en situation de fédérer les uns et les autres. »
Selon Guillaume Klossa, pour convaincre, tactiquement, l’art de la guerre, c’est de disperser les forces et de ne pas annoncer préalablement ce sur quoi on est prêt à céder. Bon nombre d’erreurs tactiques expliquent la situation actuelle. « Il y a, en effet, les questions de philosophie, mais il y a les questions de méthode. En Europe, de mon expérience, la méthode, c’est 80 % du résultat. »
RFI