La délégation dépêchée à Bamako par la CEDEAO sous la direction de Goodluck Jonathan, ancien président du Nigéria, a échoué à faire valoir ses propositions de sortie de crise. Elle a trouvé sur place des interlocuteurs bien plus armés d’évidentes raisons qui militent en faveur de la démission d’IBK et de son régime. Le M5-RFP et les magistrats maliens à travers leurs deux syndicats ont réussi à démontrer les différents manquements faits par IBK à la constitution malienne et aux sacro-saintes règles de la bonne gouvernance. Au constat de l’échec patent de la mission, une agence panafricaine annonce l’arrivée jeudi prochain d’une autre haute délégation. Celle-ci serait conduite par les présidents Alassane Dramane Ouattara (Côte d’Ivoire), Macky Sall (Sénégal) et Mahamadou Youssoufou (Niger).
IBK a fait dire aux médiateurs de la CEDEAO ce que la Majorité présidentielle n’aurait pas osé proposer au M5-RFP si le Mouvement s’était avisé, comme le lui suggérait le châtelain de Sébénicoro, à aller à sa rencontre pour le traitement du Mémorandum. La CEDEAO n’avait déjà pas très bonne presse pour avoir été accusée exagérément par certains de nos compatriotes d’avoir voulu imposer un embargo au Mali après le coup d’Etat stupide de 2012. Une autre catégorie de Maliens ne lui pardonne pas d’avoir piétiné les considérations d’ordre constitutionnel pour être allée par la voix de Djibril Bassolé demander la démission d’un Président démocratiquement élu, Amadou Toumani Touré, plutôt que de mettre fin à un putsch qui est la plus grave atteinte à la Loi fondamentale du Mali. Et aussi de se braquer aujourd’hui au nom du respect de la Constitution qu’elle a royalement ignorée il y a 8 ans.
Le soutien ostensible que la CEDEAO apporte aux solutions de IBK en les endossant comme siennes, confirme une double tutelle. L’Organisation subit en tout premier lieu le poids du syndicat des chefs d’Etat qui la composent dans un contexte marqué par une situation volatile en Afrique de l’ouest, qui menace directement les ambitions connues ou cachées de beaucoup de ceux qui nous gouvernent. Goodluck Johnathan et son équipe sont arrivés avec le mandat d’éviter que le cas malien ne fasse mauvaise école dans la région. Dans un second temps, la CEDEAO est cornaquée en sous-main par des puissances non africaines, la France en l’occurrence pour le Mali, qui n’est dans aucune négociation mais réussit à faire prendre en charge ses desiderata.
En plus de la défense de tous ces intérêts, la médiation a été plombée par le prisme déformant de la réduction de la crise malienne à un banal contentieux post-électoral qui n’aura été que le détonateur de la plus grave crise de gouvernance de l’histoire du Mali. Le M5-RFP devait informer les médiateurs que notre Cœur Suprême, la plus haute juridiction du pays, n’a ni président, ni vice-président depuis des mois pour leur montrer qu’ils défendent un chef d’Etat qui n’est même pas capable d’assurer le fonctionnement régulier des institutions.
Le M5-RFP a longuement et largement insisté sur l’incapacité physique et intellectuelle de IBK à assumer le poids de sa charge. Avec la pudeur requise, la CEDEAO, qui a été au contact de l’homme, aurait pu, dans un exercice de transparence, demandé la constitution d’un comité d’experts médecins pour se prononcer sur cette question qui apporterait des réponses à beaucoup d’autres. En lieu et place, la CEDEAO nous dit que le président reste, arc-bouté à une légitimité factice que son propre Mémorandum sur les failles de l’élection présidentielle de 2018 discrédite sérieusement.
La CEDEAO se prononce sobrement sur la formation d’un gouvernement d’union nationale au sein duquel un IBK mal élu et d’une impopularité abyssale vaut la moitié de tout le reste de l’échiquier politique. L’aveuglement confine à la provocation ! Le Premier ministre pour diriger cette équipe n’est même pas un sujet de débat, le fait accompli du Prince le 11 juin a été gravé sur la Table de la Loi. A ce rythme, l’offre de la CEDEAO ne s’adresse pas à des hommes libres et d’égale dignité ; elle fait la révérence à un Maître avec des Sujets obligés de se soumettre.
Sur la Cour constitutionnelle, IBK continue de garder la part du Lion avec ses trois représentants, renforcés par les 3 juges du Conseil supérieur de la magistrature. La CEDEAO, dans un manque évident de courage, demande à une entité fantomatique appelée “forces vives” de proposer 7 noms pour les trois dernières places avec le mot de la fin en matière de choix à IBK. Pas sûr que des médiateurs nationaux se soient couchés aussi platement devant l’homme de Sébénicoro. Comme la CEDEAO n’a rien à lui refuser, il laisse à un futur gouvernement la liberté d’enquêter sur des tueries qui accusent le… gouvernement ! Le président ou tout autre membre de la Cour de justice de la CEDEAO, qui a la défense des droits humains dans son mandat, aurait pu prendre la tête d’une commission indépendante avec Amnesty Mali, la Commission nationale des droits de l’homme et des experts recrutés ès qualité. Une telle proposition aurait sauvé l’honneur des médiateurs mais il n’est jamais prudent de laisser l’enquête à des esprits libres et indépendants.
Le M5-RFP a du mérite d’avoir pu soutenir trois séances de discussion avec une équipe de médiateurs qui, dans les débats, a reconnu le bien-fondé de la demande populaire, mais n’a pas hésité au final à faire droit aux propositions d’IBK.
Le M5 a aussi tenu sa promesse de créer un environnement apaisé tout le temps de la médiation en gage de sa bonne volonté, en annulant le rassemblement du vendredi 17 avril pour des cérémonies d’hommages et de prières dans les mosquées.
Goodluck Johnathan et les autres médiateurs ont quitté notre pays en paix ce week-end, mais ils laissent derrière eux un faux plan de sortie de crise qui ne conduira le Mali vers aucune paix. La montagne a accouché d’une souris.
Sambou Diarra
Source: L’Aube