Depuis le 5 juin dernier notre pays est brimbalé par une grave crise socio-politique qui, commencé le 5 juin à l’appel de l’Imam Mahmoud Dicko, a atteint son paroxysme le vendredi 10 juillet et le samedi 11 juillet où les manifestations ont dégénéré et entrainé des morts et des blessés. En l’absence de l’Imam Dicko…
Fidèles lecteurs du quotidien des sans voix, depuis le 10 juillet, votre journal n’était plus dans les kiosques. Info-Matin a-t-il subi la furie des casseurs ? Que non ! Ses reporters ont-ils été agressés ? Que non ! Peur d’être attaqués ? Oui, comme tous les Maliens.
Outre l’instinct de conservation dans un contexte insurrectionnel où les balles perdues ne font pas de différence entre un reporter et un médecin, des raisons techniques objectives indépendantes de notre volonté expliquent cette brève interruption de nos parutions.
Pour ceux qui connaissent le parcours des hommes et femmes qui ont fondé et animé cette rédaction, point ne s’agissait d’une désertion, ni même d’un repli stratégique, mais simplement d’un double cas de force majeur. La quasi impossibilité jusqu’au mercredi pour les reporters de circuler en toute quiétude et des soucis techniques que nous avons dû gérer concomitamment.
Aussi n’avons-nous jamais failli à notre devoir d’informer dans le souci d’apporter notre modeste pierre à l’édifice de l’ancrage démocratique dans notre pays.
Et plus que jamais nous sommes déterminés à continuer à jouer notre partition dans la construction nationale. ‘’Tout citoyen doit œuvrer pour le bien commun (…)’’ dispose l’article 23 de la Constitution du 25 Février 1992. Hier comme aujourd’hui, nous restons à cheval sur cette prescription de notre Loi fondamentale. Comme dirait l’autre, nous fûmes… et nous serons, Inch’Allah !
Il est indéniable qu’un acte majeur de la vie démocratique de notre pays se joue en ce moment. Il est également certain que ce sac de nœuds politico-social est l’expression du pourrissement d’une situation de malaise, de frustration, de promesses non tenues, d’espoirs transformés en cauchemar. Il est clair que les réponses appropriées n’ont pas été apportées à certains secteurs clé de la vie nationale : l’école a connu son chemin de Golgotha en raison d’un seul article de la Loi devenu applicable comme par un coup de baguette magique sous la pression de la rue ; la santé souffre de la non-application également de dispositions légales ; la satisfaction de la demande sociale est désespérante ; le secteur de la sécurité souffre presqu’autant de l’insécurité que les populations civiles. Progressivement, mais inexorablement l’on a assisté à une dégénérescence de la gouvernance tenue par une classe dont la posture jupitérienne ne pouvait permettre de voir la misère du peuple et de réaliser qu’elle dérivait dangereusement.
Donc, le gain de ce mouvement de contestation du Président de la République et de son régime, de notre point de vue, c’est d’avoir secoué le cocotier, d’avoir crevé l’abcès. Il est indispensable, il était temps de faire sortir de sa bulle un pouvoir devenu trop égocentré et dont les compétences à plusieurs niveaux ne méritent qu’une confiance très limitée.
A l’évidence, cet objectif est atteint puisque le Président de la République a proposé ‘’un gouvernement d’union nationale ouvert à toutes les sensibilités, majorité, opposition, société civile’’. Il a abrogé le décret de nomination des conseillers de la Cour Constitutionnelle, tout en ouvrant la porte à la reprise dans élections législatives dans les circonscriptions où les résultats font l’objet de fortes contestations.
Dans cette condition, résumer la victoire de la lutte à une course aveugle à des postes ministériels, serait une grave trahison des Maliens (ceux qui ont marché tout comme ceux qui n’ont pas marché) ; parce qu’à ce stade, il s’agit d’œuvrer de sorte que les fils n’aient pas à payer demain les fautes des pères. Or, aujourd’hui, nous en avons commis et beaucoup.
Dès lors ce dont il s’agit, c’est que de tous les bords, l’on ait l’humilité de reconnaître que nul n’a le monopole de la vérité. Dans cette veine, au lieu d’anathématiser des gouvernants pour marcher sur leur pas après, il serait plutôt de l’intérêt général de passer au scanner notre système de gouvernance qui, de notre point de vue, est la cause de la plupart des maux. Dans une certaine manière, c’est ce que l’ancien Premier ministre Modibo SIDIBE appelle la refondation. En effet, la vétusté des textes, les lourdeurs administratives, la concentration du pouvoir sont entre autres des boulets que traine notre Etat et qui entravent sa performance.
Ainsi, à l’issue de ce diagnostic approfondi, un nouveau deal politique, un nouveau contrat social avec le peuple malien serait envisageable.
Nous ne pouvons pas désespérer du peuple malien et de son génie à inventer des solutions nouvelles. Un grand peuple aura toujours les ressorts nécessaires pour rebondir par la voix vertueuse du dialogue. Ne la galvaudons pas, sous peine d’être condamnés au travail de Sisyphe.
Au nom de toute la rédaction et de l’ensemble du personnel du Groupe Info-Matin (Journal, Radio, Site) nous nous inclinons devant la mémoire des défunts, souhaitons prompt rétablissement aux blessés.
Comme beaucoup, nous pensons des enquêtes approfondies sur les circonstances et les responsabilités de ces drames sont indispensables pour apaiser les cœurs et les esprits, mais aussi réconcilier et conforter le vivre ensemble.
PAR BERTIN DAKOUO
Source : INFO-MATIN