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Mali : « C’est vraiment malheureux de mêler la Forsat à des considérations politiciennes »

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ENTRETIEN. Ex-ministre de la Sécurité intérieure, le général Salif Traoré doute que les forces spéciales antiterroristes aient réprimé les manifestations du 10 au 12 juillet dernier.

Dans l’atmosphère de tensions qui prévaut actuellement au Mali, l’infox pourrait être de la partie. C’est en tout cas ce qui ressort des déclarations du général Salif Traoré, ex-ministre de la Sécurité intérieure et de la Protection civile du Mali. Après des indications sur les circonstances et la manière dont les forces spéciales antiterroristes dites Forsat ont été constituées, il a livré au Point Afrique la logique qui lui fait penser que, derrière l’information impliquant les Forsat dans la répression des manifestations inspirées par le Mouvement du 5 juin (M5-RFP), l’alliance qui défie le pouvoir dans la rue, il pourrait y avoir de la manipulation politique.

 

Le Point Afrique : Pourquoi les Forsat ont-elles été créées ? Quelles sont leurs prérogatives ?

Général Salif Traoré : Le Mali, ces dernières années, a subi plusieurs attaques terroristes. Une première au Byblos, à Sévaré, en 2014, au restaurant la Terrasse ici à Bamako ensuite, à l’hôtel Radisson de Bamako enfin, peu de temps après que l’on me nomme ministre. L’attaque du Radisson nous a montré qu’il y avait des soucis de coordination. Nous nous sommes rendu compte que nous n’avions pas d’éléments spécialisés pour ce type d’intervention. Certes, nous en avions un embryon au niveau de la gendarmerie, le PIGN (Peloton d’intervention de la gendarmerie nationale) formé par les Français et les Américains. C’est d’ailleurs lui que nous avons projeté jusqu’à Sévaré et lors de l’attentat de la Terrasse. Sinon, toutes les forces intervenaient. Très rapidement donc, nous avons fait ce constat et sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait mettre en place une force nouvelle. C’est à ce moment que le concept de Force spéciale antiterroriste est arrivé. Nous avons pris, pour la créer, les embryons des forces spéciales qui sont dans les trois corps que sont la police nationale, la gendarmerie nationale et la garde nationale. Les 30 éléments sélectionnés dans chacun d’eux ont été formés pour devenir une force spéciale antiterroriste capable de gérer spécifiquement tous types d’attaques terroristes.

Cette force spéciale est-elle utilisée dans d’autres cadres que la lutte antiterroriste ?

De rares fois. Elle a été utilisée dans la lutte contre le grand banditisme quand des nids criminogènes sont identifiés et que les informations indiquent qu’il y a des bandits armés et très dangereux. Également, si une force classique rechigne à y aller. Donc, si nous n’avons pas assez d’éléments de la BAC (Brigade anticriminalité) pour aller traiter ce genre de problèmes, il est arrivé quelques rares fois que l’on mette en appui une unité de la Forsat pour aller cueillir ces bandits. Ils interviennent aussi dans le centre et le nord du pays. La Forsat est une unité qui peut être projetée très rapidement.

La Forsat, lorsqu’elle est en opération, a-t-elle l’autorisation de neutraliser systématiquement, de tuer tout ennemi potentiel ?

Non ! La Forsat et les forces de sécurité en général ne sont amenées à tirer pour neutraliser que s’il y a danger de mort, pour protéger la vie de quelqu’un ou quand il n’y a pas d’autres moyens. Personne n’est autorisé à tuer inutilement. Lorsqu’on veut démanteler un groupe sur le terrain, en attraper les membres est toujours mieux pour nous puisqu’après le débriefing, nos services peuvent en apprendre davantage. Précision : il n’y a aucune unité qui est créée, formée entraînée pour seulement tuer.

À quelle autorité directe répond la Forsat ?

Depuis la création de la Forsat, l’autorité directe de cette force est le ministre de la Sécurité intérieure. Celui-ci a toujours un conseiller technique chargé des opérations. Il est un peu la courroie de transmission entre la force et le ministre.

Lors des événements du 10 au 12 juillet qui ont fait plus de dix morts à Bamako, il n’y avait pas de ministre de la Sécurité intérieure, puisque le pays attend depuis des semaines la constitution du nouveau gouvernement. Quelle autorité, en l’absence du ministre, a donné l’ordre à la Forsat d’intervenir ?

La Forsat n’a pas à intervenir dans ce type de situation, sauf s’il y a une menace terroriste. Bien que pas en fonction, je n’ai pas entendu qu’il y avait une attaque terroriste ou une menace terroriste attendue. C’est dans ce cas seulement que l’on aurait vu les éléments de la Forsat. Il ne faut pas faire de confusion entre les unités. La Forsat n’avait pas vocation à être là. Ses membres connaissent le protocole d’emploi. S’ils reçoivent un ordre illégal et l’exécutent, ils sont tenus pour responsables. Il faut savoir que ce sont des professionnels qui n’ont pas à faire du maintien de l’ordre. Je ne vois pas qui aurait donné l’ordre pour qu’ils aillent intervenir dans une mission de maintien de l’ordre public.

Donc, vous condamnez le fait qu’il y ait eu recours à cette force spéciale dans les événements du 10 au 12 juillet ?

Je ne condamne pas, je dis juste que ce n’est pas possible !

Donc, vous ne croyez pas que la Forsat soit intervenue lors de ce week-end de contestation violente ?

Personne n’a vu la Forsat. Les policiers, dans leur accoutrement, ont leur logo. S’ils avaient été là, on aurait vu plus d’images. Il y a plein d’unités qui sont cagoulées et portent des uniformes noirs. Le fait de mêler la Forsat à ces événements, c’est juste un combat politique. Tout a commencé à Sikasso il y a quelques mois. Nous avions eu l’information précise d’une infiltration par un groupe terroriste qui voulait attaquer des objectifs majeurs : mairie, gouvernorat, commissariats. Nous avons eu cette information aux environs de midi. J’ai immédiatement autorisé l’envoi d’une unité de la Forsat à Sikasso pour y affirmer notre présence et montrer que nous pouvions riposter. Cela a coïncidé avec les manifestations et le blocus qu’il y avait en ville. Nous avons demandé au gouverneur de lever le blocus. Cela a été fait et, le lendemain, avant 9 heures, tout était fini. Quand la Forsat est arrivée à 17 heures, il n’y avait plus de problèmes à Sikasso. Comment aurait-elle tiré sur la population ?

On parle tout de même d’une personne tuée par la Forsat à Sikasso

Cela n’a jamais été prouvé, même par la direction générale de la santé. Quelques jours après le passage de la Forsat, certains ont dit à Sikasso que ses éléments avaient tiré sur la foule. Or, il faut savoir que la Forsat a un protocole strict. Je ne les vois pas suivre des ordres ne respectant pas leur protocole. Vous imaginez des gens super entraînés et bien préparés qui tirent dans la foule avec comme résultat 11 morts ? Même les yeux bandés, quand vous tirez dans une foule, il n’y a pas 11 morts. Logiquement, cela ne tient pas. Je ne prends pas position, mais je dis juste : vérifions et enquêtons. Une fois que cela sera fait, on pourra situer les responsabilités.

La lettre du Premier ministre Boubou Cissé demandait pourtant des explications quant à l’emploi de la Forsat dans ces événements…

Beaucoup n’étaient pas convaincus sue le déploiement ou non de la Forsat. C’est quand ils ont vu la correspondance de la primature demandant qui a employé la Forsat qu’ils ont commencé à penser que c’était vrai. Cela n’est pas bon, car ils nous fragilisent. En tout cas, ce que je sais, c’est que cette force spéciale a été créée pour lutter contre le terrorisme et ne sort pas de ce cadre. Chaque fois que nous l’avons utilisée à Bamako, c’était contre des nids criminogènes et, Dieu merci, ils n’ont pas eu besoin de tuer quelqu’un ou de tirer pour neutraliser. C’est vraiment malheureux de mêler la Forsat à des considérations politiciennes ou de bas niveau. Ce n’est pas bien et cela ne rend service à personne.

Propos recueillis par Olivier Dubois

Le Point

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