À coup de palinodie, de tchou et de tcha, comme on le dit sous nos cieux, le Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des Forces Patriotiques, a réussi à piéger la CEDEAO et à la pousser à la faute en prenant ses ‘’mesures fortes’’. Comment en est-on arrivé là ?
C’est clair, l’objectif de cette organisation régionale basée à Abuja est de ‘’promouvoir la coopération et l’intégration dans la perspective d’une Union économique de l’Afrique de l’Ouest en vue d’élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d’accroître la stabilité économique, de renforcer les relations entre les États membres et de contribuer au progrès et au développement du continent africain’’. Si les objectifs initiaux étaient essentiellement économiques, la Communauté a par la suite pris en charge les questions politiques. C’est fort de ce mandat que très vite, l’organisation a pris à bras le corps le dossier malien où une contestation a mis le pays en ébullition.
Le mot d’ordre principal
Le M5-RFP, en convoquant un meeting, le 5 juin 2020 sur le Boulevard de l’indépendance, avait pour revendication principale la démission forcée du Président Ibrahim Boubacar KEITA. L’ultimatum était qu’il devait quitter le pouvoir, au plus tard à 18 heures, ce 5 juin 2020.
Puis vint, le meeting du 19 juin. La mission qui était censée lui remettre l’appel à la démission de la Contestation n’est jamais arrivée à destination.
La veille, le Président du Comité stratégique, Choguel Kokalla MAIGA, déclarait : ‘’Ce qui est recherché aujourd’hui et écrit, c’est la démission du Président de la République et cela est inchangeable’’.
Du 18 au 20 juin, une Mission d’information ministérielle de la CEDEAO séjourne dans notre pays. Avant de quitter le pays, elle publie des résolutions qui sont immédiatement rejetées par le M5-RFP.
Première pirouette
Dans son Mémorandum daté du 30 juin, on peut lire les exigences suivantes : ‘’le M5-RFP, conscient de ses lourdes responsabilités en ces moments critiques, prenant en compte les nombreuses sollicitations, dont celles de l’Imam Mahmoud Dicko, et en signe d’esprit d’ouverture au dialogue, exige la mise en place de cette Transition dans les conditions ci-après :
1-La dissolution immédiate de l’Assemblée nationale ;
2- La mise en place d’un organe législatif de transition ;
3- Le renouvellement intégral des membres de la Cour constitutionnelle ;
4- La mise en place d’un gouvernement de Transition, avec les caractéristiques ci-après :
a) Le Premier ministre est désigné par le M5-RFP ;
b) Il ne peut être demis par le président de la République que dans les conditions prévues par la Charte de transition ;
c) Il forme son Gouvernement en entier ;
d) Il nomme aux hautes fonctions nationales (Administration, Justice, Forces armées et de sécurité …).
5- L’adoption d’une Feuille de route de refondation de l’État et de sauvegarde de la démocratie, de l’unité nationale, de la paix et de la cohésion sociale, assortie d’un chronogramme précis, à l’issue de concertations nationales ouvertes à toutes les forces vives de la Nation ;
6- Le respect des textes relatifs au droit et à la liberté syndicale, à la justice sociale et aux engagements entre les parties ;
7- L’adoption d’un pacte pour la stabilité sociale, la sécurité, la croissance et le développement ;
8- L’adoption d’un mécanisme de suivi-évaluation annuel ;
9- Le détachement des services exécutifs de l’État de la présidence de la République.
*Un accord politique sur l’ensemble de ces points sera dûment signé avec de solides garanties de sa mise en œuvre jusqu’à la fin du mandat en cours.
*Une Charte de transition précisera et formalisera les termes convenus dans l’accord politique pour concilier les dispositions constitutionnelles actuelles avec les organes pertinents de la Transition.
*Le M5-RFP exige également la libération du Chef de file de l’opposition, l’Honorable Soumaïla CISSE, victime d’enlèvement depuis plusieurs mois’’.
Dans ce Mémorandum, il n’est nulle part question de la démission du Président IBK qui a disparu de la nomenclature des revendications.
Le 10 juillet, le Mémorandum est caduc ; toutes les revendications sont remises en place avec en sus la désobéissance civile qui est déclenchée, laquelle se transformera rapidement en émeutes avec des morts, des destructions des biens publics et privés.
Deuxième pirouette
Du 15 au 19 juillet, une Mission de bons offices conduite par l’ancien Président nigérian Goodluck Jonathan séjourne à Bamako. Les résolutions sanctionnant cette mission sont rejetées par le M5-RFP qui a entre-temps renoué avec sa principale revendication qui est la démission du Président de la République.
Le 23 juillet, une Mission de haut niveau de la CEDEAO comprenant 5 chefs d’État est à Bamako en vue de contribuer à la paix et à la stabilité. Elle s’abstient de tout communiqué final, des ‘’mesures fortes’’ étant en perspectives.
Au lendemain du départ des chefs d’État de la CEDEAO qui ont rencontré, dans la capitale, les parties à la crise, le M5-RFP oublie sa principale revendication qui est la démission du Président de la République par souci de respect des lois de la République et des textes communautaires et se lance même dans une opération de séduction : ‘’au demeurant, notant la préoccupation des Chefs d’État relative à la « ligne rouge » interdisant tout changement anticonstitutionnel de régime, le M5-RFP rassure que les exigences et actions populaires du Peuple malien s’inscrivent dans le respect les dispositions constitutionnelles maliennes et celles communautaires de la CEDEAO. C’est clair désormais : le M5-RFP, profondément attaché à la légalité, n’est demandeur d’aucune violation des textes.
Nouvelle cabriole, le samedi, interpellé par les jeunes du M5-RFP, Choguel dit haut et fort que la revendication initiale, à savoir, la démission forcée du Président IBK est maintenue.
La bourde monumentale
À l’issue de la conférence extraordinaire des chefs d’État de la CEDEAO, ce lundi, par visioconférence, 6 mesures tombent : la démission immédiate des 31 députés dont l’élection est contestée y compris le Président du Parlement ; Une recomposition rapide de la Cour Constitutionnelle, conformément aux dispositions constitutionnelles du Mali. Le Parlement proposera ses représentants après la démission des 31 membres dont l’élection est contestée. En cas de difficulté de nomination des membres de la Cour Constitutionnelle par les différentes Instances, le Président de la République utilisera l’article 50 de la Constitution pour nommer les 9 membres. La CEDEAO venait ainsi de commettre la faute lourde de conséquences. Parce qu’autant on ne peut pas faire démissionner un député et l’article 50 porte en lui-même ce qui empêche son recours par le Président de la République.
Le M5-RFP, dans un communiqué daté du même jour, se délecte de sa victoire et tourne la CEDEAO en bourrique : ‘’en fait, les décisions du Sommet des Chefs d’État de la CEDEAO reposent sur des approximations très improbables telles que la démission hypothétique de députés dont l’élection est contestée, l’injonction faite à M. Ibrahim Boubacar Keïta d’user de pouvoirs exceptionnels constitutionnels pour une reconstitution au forceps de la Cour constitutionnelle, la composition partielle d’un gouvernement, etc. Aussi, le M5-RFP constate, avec regret, que les conclusions du Sommet des Chefs d’État ne tiennent pas compte de la profondeur et de la gravité de la crise sociopolitique qui hypothèque l’avenir du Mali, ne correspondent aucunement aux attentes et aspirations du Peuple malien et surtout violent les lois et la Constitution du Mali que respectent le Mouvement’’.’’
C’est ainsi que l’organisation communautaire, en voulant contribuer à la résolution de crise malienne, en a rajouté en tapant en côté. Il s’est complètement pris les pieds dans la nasse du piège du M5-RFP.
PAR BERTIN DAKOUO
Info-Matin