L’image, et probablement les propos aussi, ne sont certainement pas passés inaperçus pour les téléspectateurs de l’ORTM. Nous avons vu, au début du mois de juillet, le responsable de la filiale sud de Sikasso de la CMDT affirmer que « nous tenterons de sauver ce qui peut l’être ». Propos illustratifs de la crise qui frappe de plein fouet et qui préfigurent la catastrophe qui guette l’équilibre socio-économique du Mali. « Nous avons eu la Covid 19 avec le virus, nous aurons la Covid 20 avec la crise 20 » prédit un connaisseur du secteur.
« Tout le monde doit travailler à ce qu’on fasse du coton. Le coton est très sensible. Son importance est capitale. Le coton impacte fortement la population rurale ». Ces propos d’un banquier de la place, en l’occurrence le directeur général de la BNDA, cachent mal ses inquiétudes concernant la crise du coton. La BNDA joue gros dans la campagne agricole et particulière dans la campagne cotonnière. Au titre de la campagne de l’année dernière et celle de cette année, elle a mis près de 230 milliards pour financer les fournisseurs d’intrants. Il faut croire que les craintes de notre banquier étaient fondées. Cette année, les producteurs de coton se sont détournés de la culture de coton. En cause les tergiversations et les atermoiements du gouvernement.
Selon un document interne de la CMDT, à la date du 10 juillet dernier, le pourcentage des semis est de 17,58%. Or l’année dernière, à la même date, ce pourcentage était de 91,15%. En français facile, les prévisions ont fondu comme beurre au soleil ou comme du coton qui a pris feu. En effet, pour une prévision de 810.000 ha, seuls 170.000 ha ont pu être semés pour la campagne.
La colère des producteurs de coton. Jamais dans l’histoire récente du secteur, les producteurs de coton n’ont vu un PDG de la CMDT cavaler par monts et par vaux, avalant la poussière, passant de villages en villages, de champs en champs. En effet, entre mai et juillet, le PDG de la CLMDT Baba Berthé a passé plus de temps avec les producteurs que dans ses bureaux. L’objectif était d’expliquer les mauvaises nouvelles qu’il devait leur annoncer tout en essayant de les convaincre de cultiver le coton. Baba Berthé avait la redoutable mission de dire aux producteurs que le prix du kilogramme de coton allait baisser au même moment que le prix des intrants allait prendre l’ascenseur. En effet, le prix du kilogramme de coton a été fixé à 200 francs contre 275 l’année dernière tandis que celui des intrants passait de 11.500 à 18.000 c’est-à-dire que l’État renonçait à la subvention. Le sang des producteurs n’a fait qu’un tour. Non seulement leurs revenus chutaient mais les intrants devenaient inaccessibles. Malgré toutes les explications et la bonne foi du PDG de la CMDT, les producteurs ont refusé.
Il se trouve qu’au moment où la mission d’explication passait, les conséquences de la Covid 19 se faisaient sentir sur le marché international du coton. Les principales usines sont à l’arrêt en Chine, en Inde, au Singapour ce qui a entraîné une chute sans précédent des prix. Ici au Mali, les cours, les magasins sont pleins à ras-bord. Au niveau des ports, impossible d’exporter le coton. C’est la raison que la CMDT avance pour justifier la baisse du prix du coton. Pour ce qui est des intrants, le PDG a expliqué au paysan que l’État doit plus de 100 milliards à la CMDT au titre de la subvention des engrais. Assailli de toutes parts par les crises sécuritaires au nord et politiques au Sud, le gouvernement n’a pu promettre que 10 milliards. Et de supplier presque les producteurs de coton de ne pas se détourner du coton. Pour les amadouer, le PDG de la CMDT leur dira que les 10 milliards seront utilisés pour rehausser le prix du coton de 200 à 215. Les producteurs pensent que l’État peut faire nettement mieux en gardant le prix de l’année dernière et en maintenant la subvention des engrais. Pour eux, l’arrivée de la Covid ne peut pas justifier la surenchère du prix des intrants. « L’année dernière déjà, ils avaient tenté la même augmentation. L’État doit faire des efforts. Nous allons rendre compte à la base mais personne ne peut nous obliger à cultiver le coton » affirment-ils. Mais les paysans reprochent aussi à la CMDT son manque de réactivité et sa lenteur pour donner les informations. « Il ne fallait pas attendre la tombée des premières pluies pour informer les producteurs. Si on cultive dans ces conditions nous serons piégés par les charges. Qui va payer à notre place ? Et puis, cette campagne est déjà boycottée par la mauvaise information » déclarent-ils de manière sentencieuse. On était à la fin du mois de mai-début juin. Suffisamment remontés, les producteurs lancent un ultimatum. « Si la CMDT ne réagit pas positivement avant le 10 juin, il n’y aura pas de semis. Même si la CMDT augmente le prix du coton à 300 francs après, nous ne participerions pas à la campagne de cette année » décident-ils.
Le gouvernement louvoie. A la fin de cette première mission, le PDG de la CMDT sait très bien que l’année est compromise. Il ne lui restait plus qu’à limiter les dégâts. Compte-rendu est fait au Premier ministre en l’absence de gouvernement. Branle-bas de combat. Le Premier ministre et le Président de l’Assemblée nationale rencontrent une délégation de producteurs de coton. Mais au lieu de prendre le taureau par les cornes et annoncer les mesures idoines, le gouvernement mégote et la joue petits bras. Ainsi, le prix du coton a connu une légère hausse pour être fixé à 250 francs, loin des 275 de l’année dernière. Mais surtout, les engrais ne seront pas subventionnés. Cette politique de tout petits pas du gouvernement est perçue par les coton-culteurs comme un manque de volonté politique d’aider la filière et peut-être un manque de respect à leur endroit. Ils campent sur leurs positions et décident de ne pas cultiver du coton cette année. Quand le gouvernement a pris la menace au sérieux, il était trop tard pour la culture. En effet, ce n’est que le 25 juin 2020 que le gouvernement a décidé de ramener le prix des engrais à 11.000 francs au lieu des 18.000 francs.
La direction générale de la CMDT et ses techniciens ont fait le tour des champs pour encourager la culture du coton, donnant des dates souvent surréalistes. Les producteurs de coton les écoutaient poliment car beaucoup étaient passés à autre chose. Pour avoir traîné les pieds avant de prendre les bonnes décisions, le gouvernement est responsable de la crise qui frappe le secteur du coton. Entre avril et fin juin, le gouvernement a louvoyé en satisfaisant les producteurs au compte-gouttes. Selon plusieurs acteurs de la filière, les conséquences vont être terribles pour l’économie malienne.
Le coton fait vivre directement ou indirectement 4,5 millions de Maliens. Des secteurs comme les transports (70% des gros porteurs fonctionnent grâce au coton qu’ils amènent aux ports), les huileries (beaucoup de propriétaires de petites unités ont fermé quand les grosses font de l’importation de la graine de coton du Burkina Faso), l’aliment bétail, les banques. La mauvaise gestion de la filière coton sera payée cash. Pour le PIB, on parle d’une perte sèche de près de 1000 milliards. On comprend alors aisément pourquoi notre interlocuteur cité au début de l’article parle de Covid 20. Ce qui est sûr, nous sommes en train de filer du mauvais coton. Sans jeu de mots.
Aly Kéita
Source: La nouvelle République