La manipulation de ces produits chimiques et leurs emballages accroissent la menace de maladies
s’est installée. Au fil des saisons, la totalité des pesticides importés ne sont pas utilisés et deviennent rapidement obsolètes et encombrants. De plus, une partie des emballages vides utilisés ne bénéficiant pas de gestion rationnelle deviennent des déchets dangereux. L’usage inadéquat et inapproprié de ces pesticides obsolètes par les usagers constitue un danger et un risque important pour l’environnement et la santé de nos populations.
Aux côtés des structures agréées, à cause de la forte demande, la grande majorité des commerçants et revendeurs se livrent à des ventes anarchiques incontrôlées et non autorisées dans les endroits publics notamment les marchés, dans les rues par les vendeurs non avertis au vu et au su de tout le monde sans être inquiétés.
Ces commerçants et vendeurs ambulants, sans une formation préalable et en violation de la loi d’homologation et d’autorisation, proposent aux usagers une gamme impressionnante de produits chimiques (liquides, poudre, gaz), censés combattre les insectes qui s’attaquent aux cultures, détruire toutes sortes de nuisibles et les mauvaises herbes. Beaucoup de personnes se lancent dans ce commerce juteux, ignorant les dégâts que peuvent poser ces produits sur la santé de l’homme, de l’animal et sur l’environnement.
Il faut noter qu’en dehors des paysans, ces produits sont utilisés dans beaucoup de familles pour se protéger des insectes, moustiques, cafards, salamandres, souris. Par ailleurs, les pesticides sont également utilisés en santé animale pour lutter contre les ectoparasites et autres vecteurs de maladies. La vente et l’utilisation non adaptée de ces pesticides et notamment de ceux non autorisés ou obsolètes ont des conséquences dévastatrices et les victimes des intoxications sont généralement les manipulateurs de ces produits, les enfants et les candidats au suicide. Aussi, les personnes les plus sensibles sont les femmes (allaitantes ou en grossesse).
Faut-il d’abord rappeler que le pesticide se définit comme toute substance ou association de substances chimiques ou biologiques qui est destinée à repousser, détruire ou combattre les organismes nuisibles ou à être utilisé comme régulateur de croissance des plantes. Il existe plusieurs sortes de pesticides qui sont, entre autres, les insecticides (contre les insectes), les fongicides (contres les champignons), les bactéricides (contre les bactéries), les raticides ou rondenticides (contre les rats et souris), les herbicides (contre les mauvais herbes) et les avicides (contre les oiseaux granivores).
Les pesticides, un problème de santé publique- La situation dans notre pays est d’autant plus préoccupante que la qualité de la plupart des produits reste douteuse. Les vendeurs ambulants manipulent à main nue des poudres et liquides chimiques sans la moindre précaution. Ces produits sont achetés et utilisés par les personnes ignorantes qui ne pensent qu’à l’extermination des nuisibles dans leur champ ou à la maison. Aujourd’hui, rares sont les familles qui n’utilisent pas des insecticides pour lutter contre les moustiques ou les souris, ignorant la provenance de ces produits et leurs effets indésirables.
Derrière le ministère de l’éducation nationale, toutes sortes de produits chimiques en poudre et liquides sont proposées aux passants. L’un de ses vendeurs ambulants, Cheick Oumar Coulibaly explique ne pas connaître la provenance de ces produits. Il s’approvisionne dans les magasins et reconnaît ne pas connaître la dangerosité sur la santé de l’homme en cas d’utilisation inappropriée. Son seul objectif est de vendre ces produits et faire des bénéfices. Dans la plupart des magasins situés au niveau du Quartier du fleuve, beaucoup de gérants qui se prennent pour des professionnels du domaine avancent que ces produits proviennent de l’extérieur mais en ce qui concerne l’autorisation de vente, ils n’en savent pas beaucoup. Issa Diarra, gérant d’un magasin explique que ces produits sont probablement d’origine chinoise. Notre interlocuteur reconnaît que la mauvaise utilisation de ces pesticides peut avoir des effets néfastes sur la santé.
À la vente anarchique s’ajoute la réutilisation des emballages vides de ces pesticides. Ces emballages sont recherchés à longueur de journée par les femmes et les enfants sur des dépôts d’ordures pour être vendus et réutilisés pour la conservation d’aliments liquides tels que le lait, le miel, l’eau et les boissons. Ces emballages réutilisés représentent une source d’intoxication permanente pour les populations rurales qui sont les premières utilisatrices de ces déchets.
Faisant l’état des lieux, Dr Mamadou Camara, environnementaliste et expert en gestion des pesticides, explique qu’en 2010-2011, 972.000 emballages vides de pesticides ont été générés dans les zones de production du coton. Ce chiffre est monté crescendo passant de 1.780.000 en 2011-2012 à près de 4 millions d’unités en 2018-2019. Selon lui, il y a deux grands types d’intoxications liées aux pesticides qui sont l’intoxication aigue et l’intoxication chronique. Et de préciser que la plupart des pesticides sont des perturbateurs endocriniens, c’est-à-dire qu’ils perturbent le fonctionnement normal de l’organisme. Pour lui, les pesticides sont à l’origine de plusieurs problèmes de santé notamment les malformations congénitales, les cancers de foie et de poumon et plusieurs maladies métaboliques, telles que l’hypertension et le diabète. à cela s’ajoutent le déséquilibre et la destruction de l’écosystème.
Il prévient que n’importe qui ne doit pas être autorisé à vendre les pesticides. Pour vendre des pesticides, il faut avoir un agrément de mise sur le marché délivré par le ministère en charge de l’Agriculture sur avis du Comité national de gestion des pesticides. Et pour avoir ce agrément, il faut avoir fait des formations dans le domaine des pesticides, avoir comme principale activité la vente des pesticides (on ne peut vendre du pesticide et en même temps vendre du riz ou du lait dans le même magasin), avoir un local approprié et enfin payer 50.000 Fcfa pour sa délivrance valable pour cinq ans.
La loi n°02-014 du 3 juin 2002 instituant l’homologation et le contrôle des pesticides dans notre pays, en son article 3 stipule «qu’il est interdit d’importer, de fabriquer, de formuler, de conditionner ou de reconditionner, de stocker, d’utiliser ou de mettre sur le marché tout pesticide non homologué ou non autorisé». La même loi dans son article 16 dispose que sans préjudice des dispositions du code pénal et du code des douanes, sont punis d’un emprisonnement de trois mois à trois ans et d’une amende allant de 100.000 Fcfa à 1 million de Fcfa ou de l’une de ces deux peines seulement et sans préjudice des dommages et intérêts éventuels : tous ceux qui sauf dérogations accordées spécialement, pour des besoins de recherche et d’expérimentation, importent fabriquent, formulent, conditionnent, reconditionnent, stockent, utilisent ou mettent sur le marché tout pesticide non homologué ou non autorisé.
Selon le Dr Camara, sont considérés comme obsolètes, tous les pesticides ayant dépassé leurs dates de péremption (c’est-à-dire généralement deux ans après leur date de fabrication), les pesticides interdits par la réglementation en vigueur ainsi que les pesticides non autorisés/non homologués, les produits endommagés ou dégradés qui représentent des modifications notables dans leurs propriétés physico-chimiques, les produits non identifiables (qui ont été par exemple transvasés ou reconditionnés et qui ont perdu leur étiquette. L’utilisation de ces pesticides obsolètes présente des conséquences sur la santé.
Selon l’étude socio-économique de l’utilisation des pesticides au Mali, (FAO/CILSS/2000), les estimations des intoxications aux pesticides sont de 30 à 210 décès par an, 329 cas par an d’intoxications nécessitant une hospitalisation, 1.150 à 1.980 cas d’intoxications chroniques par an. En 2000, le coût moyen des intoxications était de 570 millions de Fcfa soit 19 % du coût total de l’utilisation des pesticides au Mali. Ce coût comprend les coûts de médicaments, les frais d’hospitalisation, la perte de main d’œuvre ainsi que le remplacement de main d’œuvre.
Gestion des pesticides obsolètes- Des études plus récentes réalisées au Mali ont pu démonter la présence des pesticides dangereux, tel que l’endosulfan interdit officiellement depuis près d’une décennie, dans le lait de vache vendu par les différents points de collecte et plus grave encore, ce pesticide a été retrouvé dans le lait maternel, une situation qui dénote l’exposition de la population aux dangers et risques liés à ces substances dangereuses. Il n’existe pas de structure pérenne de gestion des pesticides obsolètes au Mali. Il y a eu par le passé le Programme africain relatif aux stocks de pesticides obsolètes (PASP), une initiative des responsables de l’Afrique avec l’appui des partenaires au développement.
Cette initiative fait suite au constat des cas de pollution de l’environnement occasionnés par les stocks de pesticides obsolètes dans les états du continent africain, notamment au Mali. Ce projet lancé en juin 2007 a révélé la présence de 834 tonnes de pesticides obsolètes, 27 tonnes d’emballages vides, 1,13 tonne de produits vétérinaires périmés, 375 tonnes d’équipements contaminés, 135,2 tonnes de matériels contaminés dont les semences, des engrais et de l’aliment bétail. Ces produits étaient situés dans 249 magasins et sur 231 sites à travers les 8 régions et le District de Bamako. Ce projet qui fondait l’espoir de beaucoup d’environnementalistes pour lutter contre les pesticides obsolètes a été clôturé le 31 décembre 2012 sans être parvenu à élimer les pesticides inventoriés.
La Banque mondiale a repris son partenariat avec le gouvernement dans le cadre d’un nouveau projet dénommé « Projet d’élimination et de prévention des pesticides obsolètes du Mali (PEPPO-Mali), rattaché à la direction nationale de l’assainissement et du contrôle des pollutions et des nuisances (DNACPN). Ce projet visait l’élimination des pesticides obsolètes publics et des déchets apparentés et la réduction des risques dans trois sites prioritaires contaminés à haut risque.
Selon l’ancien coordinateur du PEPPO, Demba Sidibé, la gestion des produits chimiques n’était pas prise en compte dans notre pays. «Quand nous avons commencé ce programme, personne ne savait ce que c’est que les pesticides même les douaniers. Il fallait que toutes les parties prenantes, l’environnement, l’agriculture, la douane, les utilisateurs, la police soient impliquées dans la gestion de ces produits. Que chacun puisse comprendre ce que c’est que les pesticides, son utilisation et ses effets néfastes sur la santé et l’environnement. Cela n’a pas été chose facile au départ, mais on a réussi avec la contribution de l’état et des partenaires. C’est ainsi que le Mali, pour une première fois, a pu faire l’inventaire de tous les pesticides et produits vétérinaires obsolètes et des déchets associés sur l’ensemble du territoire avant de procéder à leur sécurisation », se félicite Demba Sidibé.
Après 12 mois d’exécution, 552 tonnes de pesticides obsolètes et déchets apparentés disponibles ont été reconditionnés et sécurisés dans 64 conteneurs de 40 pieds et transportés à l’étranger pour incinération. Le PEPPO-Mali a été clôturé le 31 janvier 2020. Mais depuis lors les services en charge tardent à mettre en place une structure de gestion de ces pesticides obsolètes qui inondent les rues et magasins de Bamako et des autres régions du Mali. Est-ce à dire que le péril environnemental plane toujours sur nos têtes ?
Anne-Marie Kéïta
Source :L’ESSOR