« Qui a bu boira ». La maxime est bien connue et plusieurs observateurs peinent à faire confiance aux hommes en uniformes, qui font irruption sur la scène politique nationale. L’appétit venant en mangeant…
A priori, à travers leurs premières apparitions publiques, la junte militaire de Kati, rassemblée au sein du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) jouit d’un soutien populaire, émanant surtout du « peuple M5-RFP ». Et les premiers discours tenus par les chefs des tombeurs d’IBK semblent rassurer sur leur volonté de poser les jalons d’un nouveau Mali. En plus, en assurant que c’est aux Maliens de définir les contours exacts de la Transition, les hommes forts du CNSP inspirent confiance, pour peu que cela se consolide par des actes et faits de foi, de loyauté et de patriotisme avéré. Mais, il est de notoriété que tous les auteurs d’un changement à la tête d’un pays ne tarissent de messages porteurs d’un certain optimisme, d’un certain espoir surtout quand la gouvernance en cours était très contestée.
La preuve, le capitaine Amadou Haya Sanogo avait fustigé le régime moribond d’Amadou Toumani Touré en 2012… Il sera suivi d’IBK qui avait dénoncé la mauvaise gouvernance d’ATT avant de se rendre à l’évidence à l’exercice du pouvoir.
Le CNSP a-t-il les moyens nécessaires pour mener à bien sa mission, celle d’arrêter le désordre pour poser les jalons d’un nouveau départ pour le Mali? Difficile de répondre, dans la mesure où ces jeunes officiers supérieurs sont réputés tous des hommes de terrain, mais pas des experts dans le domaine de la gouvernance, surtout d’un pays en crise multidimensionnelle.
Quid du glissement de langage noté le week-end, portant sur une « transition politique civile » qui pourrait « être dirigée par un militaire ou un civil » ? Serait-ce l’expression d’une prudence ou d’un calcul lié à toute éventualité ? L’on en perçoit certaines appréhensions, dans la mesure où tous les Maliens souhaitent vivement que Kati tienne ses engagements pour restaurer l’espoir… Quid des informations relatives à la durée de la transition, de 3ans, démenties ensuite par les hommes forts de Kati ? Cela semble traduire que certains militaires voudraient bien prolonger cette transition non encore amorcée. Car, il est évident que des militaires de terrain (inhospitalité, conditions difficiles de travail, hantise des attaques de l’ennemi), qui se retrouveraient dans la bureaucratie bamakoise, veuillent bien prolonger ce cadre…hospitalier (plus de privilèges et de prestiges)
En outre, peut-on parier sur une collaboration efficiente avec des expertises nationales en vue de réussir la Transition ? Rien ne permet de l’affirmer, surtout que les chefs militaires de la junte peinent à assumer leur rôle. C’est pourquoi, c’est plusieurs heures après leur « opération » que l’opinion publique connaîtra le nom du « président du CNSP ». Le colonel Assimi Goïta n’a-t-il pas hésité quelque peu avant d’accepter jouer le rôle de chef de la junte ? Qu’est-ce qui explique, le cas échéant, cette hésitation, signe d’un doute en soi ? Un manque de confiance pour assumer cette lourde responsabilité à laquelle il n’était certainement pas préparé ? Pourquoi malgré la présence d’un général dans le groupe, Général Cheick Fantamady Dembélé, l’honneur a échu au colonel Goïta, le patron des forces spéciales précédemment basées à Sofara (cercle de Djenné) d’être propulsé à la tête de la junte ? A-t-il librement consenti ou s’y est-il résigné ?
En plus, les observateurs s’inquiètent de la non-suspension de la Constitution en vigueur rendant ce coup d’Etat une opération avec un goût d’inachevé, source de questionnements. Comment une junte peut-elle « prendre ses responsabilités » en s’inscrivant dans la Constitution en vigueur ? Ont-ils arraché le pouvoir ou ont-ils simplement précipité sa chute ? Cette deuxième hypothèse semble l’emporter.
Il faut signaler du reste qu’au sein des militaires tombeurs d’IBK, il y avait 3 courants de pensée : un premier groupe qui voulait un transition dirigé par des militaires, un deuxième groupe qui voulait un transition menée par des militaires associés à des technocrates de la société civile( sans les politiques auxquels ils ne font pas confiance) et un dernier groupe, qui conçoit une période transitoire gérée par les militaires, les politiques et la société civile. Ne peut-on pas craindre des divisions en leur sein ? Si c’est un militaire qui va prendre la tête de la Transition, Colonel Goïta voudrait-il jouer ce rôle par « frère d’arme interposé », la CEDEAO refusant qu’un militaire en activité soit le chef de la Transition?
Ce sont là autant de questions qui ne rassurent point, surtout que les défis des nouveaux hommes forts du pays sont immenses. L’on peut tout de même plaider pour qu’ils élargissent leurs bases de concertations afin de maximiser les chances de gagner le pari du nouveau Mali.
Cela passera par une grande capacité d’écoute, une détermination féroce face aux épreuves et éventuels pièges des détracteurs.
Bruno D SEGBEDJI
Mali Horizon