Le caractère putschiste de la rupture constitutionnelle du 18 août 2020 serait-elle en passe de s’affirmer ? La question taraude l’esprit chez quiconque s’intéresse au devenir politique du Mali depuis les événements du 18 août 2020. En guise d’indicateur de tendance par rapport à cette problématique institutionnelle, l’analyse de l’Acte fondamental n°001/CNSP du 24 août 2020 ne rassure point quant au maintien de la trajectoire démocratique incarnée des mois durant par le Mouvement patriotique du M5-RFP.
La négation du M5-RFP
L’Acte fondamental fait l’impasse totale sur le M5-RFP. Cette négation de l’action patriotique du M5-RFP sans lequel cette intervention militaire n’aurait pu devenir réalité, apparaît dès le Préambule de l’Acte fondamental n°001/CNSP. Ce Préambule met sous éteignoir le rôle joué par le M5-RFP au prix du sang, pour faire chuter le dictateur IBK. C’est à peine si l’Acte concède difficilement et de manière quelque peu alambiquée, que le « caractère populaire des événements du 18 août 2020 a conduit à la démission de IBK ». Le M5-RFP a été dilué dans le brouhaha populaire. Au contraire, les Forces de Défense et de Sécurité mis en exergue quant à elles, font l’objet de toutes les éloges pour « leur contribution et leur comportement patriotique qui assurent la continuité du pouvoir d’Etat ». En prime et conformément au vieux dicton comme quoi l’on n’est mieux servi que par soi-même, une attention particulière est portée à la « Déclaration du 19 août 2020 portant création du Comité National de Salut Public ».
A titre de comparaison, on constate que le ton est à mille lieux du Préambule de l’Acte fondamental n°1/CTSP du 31 mars 1991 qui célèbre plutôt le peuple : « considérant que la lutte du peuple malien pour l’instauration d’une société fondée sur un idéal de liberté, de démocratie et de justice sociale a abouti le 26 mars 1991, à la suspension de la Constitution du 2 juin 1974 et à la dissolution des institutions mises en place par celle-ci… ». Au-delà du peuple plus générique, il tresse spécialement des lauriers à l’équivalent du M5-RFP que fut le Comité de Coordination des Associations et Organisations Démocratiques dans la lutte du peuple malien pour l’instauration d’une démocratie pluraliste.
Le monopole militaire des institutions de transition par le CNSP
L’Acte fondamentale n°001/CNSP a remis tout le pouvoir d’Etat entre les mains du CNSP dont nul ne sait la composition. Son article 29 très avare en mots, se contente simplement de nous apprendre qu’il est composé ainsi qu’il suit : un Président, des Vice-Présidents, des membres. Il renvoie à un règlement intérieur l’organisation et les modalités de fonctionnement du CNSP. Cela ne l’empêche toutefois pas, par anachronisme juridique évident, de stipuler en son article 31 ce qui relève de l’organisation et du fonctionnement même : « Le Comité National pour le Salut du Peuple se réunit en session ordinaire et en session extraordinaire. Il institue les Commissions qu’il juge utiles pour l’accomplissement de sa mission ».
Il est prévu à l’article 32 que le CNPS est présidé par un Président désigné en son sein qui fait office de Chef de l’Etat et qui est doté de certaines prérogatives de Président de la République. Il est d’ailleurs marrant de lire à ce titre, qu’il dispose des pouvoirs exceptionnels de Président de la République à l’instar de l’article 50 de la Constitution du 25 février 1992 suspendue. Cette disposition aberrante revient en quelque sorte à insérer un pouvoir exceptionnel dans un pouvoir exceptionnel. On le prendra pour une simple clause de style.
Enfin, il ressort qu’aucune mention n‘est faite du gouvernement dans l’Acte fondamental.
Vers un cycle interminable de système constitutionnel relais : une Constitution de transition en attente d’une autre constitution de transition !
L’Acte fondamental n°001/CNSP du 24 août 2020 semble condamner définitivement le Mali à un cycle sans fin de système constitutionnel relais, allant d’une constitution transitoire à une autre. Son article 30 très explicite à cet égard dispose : « Le Comité National pour le Salut du Peuple a pour mission d’assurer la continuité de l’Etat en attendant la mise en place des organes de transition ». On fera remarquer ici que ce rôle conféré à tort au CNSP par l’article 31, équivaut à celui qui fut exercé de facto, sans fondement juridique aucun, par le Conseil National de Réconciliation Nationale (CNR) dans la période comprise entre le 26 mars 1991, date du coup d’Etat et le 31 mars 1991, date d’adoption de l’Acte fondamental n°1/CTSP du 31 mars 1991 faisant office de Constitution de l’Etat. En ce qui concerne le CNSP, cette période s’étendait entre le 18 août 2020 date du coup d’Etat et le 24 août 2020 date d’adoption de l’Acte fondamental n°001/CNSP.
Le cycle sans fin de système constitutionnel relais institué est également attesté à l’article 41 de l’Acte fondamental n°001/CNSP où il est stipulé ainsi qu’il suit : « Avant l’adoption d’une Charte pour la transition, les dispositions du présent Acte qui s’appliquent comme dispositions constitutionnelles…… ». Cette alchimie de constitutions de transition successives dénote tout simplement d’un amateurisme inqualifiable au sein de la rédaction de l’Acte fondamentale n°001/CNSP du 24 août 2020. Ce genre de système juridique relais a pour unique but de mettre en place un cadre normatif destiné à assurer la continuité de l’activité juridique de l’Etat, dans l’attente non pas d’un nouvel Acte fondamental appelé Charte de transition, mais plutôt de l’adoption de la Constitution définitive devant célébrer la nouvelle République.
Un acte fondamental fondamentalement entaché de bricolages juridiques monstres
Tout système constitutionnel relais qualifié d’Acte fondamental, de « pré-constitution », de « constitution provisoire », de « constitution intérimaire », de « constitution transitoire » ou de « petite constitution », repose sur l’idée de rupture constitutionnelle entraînant la suspension de la Constitution en vigueur et la dissolution conséquente des institutions mises en place par celle-ci.
Dès lors, l’article 41 de l’Acte fondamental n°001/CNSP du 24 août 2020 s’avère un modèle inouï de bricolages juridiques que ne mérite pas une République digne de ce nom. L’article 41 est ainsi libellé : « Avant l’adoption d’une Charte pour la transition, les dispositions du présent Acte qui s’appliquent comme dispositions constitutionnelles, complètent, modifient ou suppléent celles de la Constitution du 25 février 1992. Toutefois, les dispositions de la Constitution du 25 février 1992 s’appliquent tant qu’elles ne sont pas contraires ou incompatibles avec celles du présent Acte ».
L’alinéa 1er de l’article 41 a la prétention de faire « compléter », « modifier » ou « suppléer » les dispositions de la Constitution du 25 février 1992. L’idée intenable derrière cette grossièreté juridique, paraît que l’Acte fondamental n°001/CNSP ne constitue pas en soi une constitution transitoire qui se substituerait à la Constitution suspendue du 25 février 1992. L’Acte est en quelque sorte logé au rang de texte modificatif de la Constitution du 25 février 1992 sans pour autant justifier cette révision au regard des procédures constitutionnelles de révision constitutionnelle telles que prévues en son article 118. L’Acte fondamental n°001/CNSP du 24 août 2020 n’a pu à aucun moment produire un quelconque effet juridique complétant, modifiant, ou suppléant la Constitution du 25 février 1992. L’Acte fondamental n°001/CNSP se substitue à la Constitution de 1992 suspendue avec l’ensemble de ses institutions.
Quant à l’alinéa 2, il monte d’un cran sur l’échelle des aberrations juridiques de l’article 41 en mettant le Mali sous le régime de deux constitutions superposées, la Constitution du 25 février 1992 et l’Acte fondamental n°001/CNSP du 24 août 2020, dont les dispositions respectives s’appliquent tant qu’elles ne sont pas « incompatibles » ou « contraires ». C’est le comble de l’amateurisme juridique de haut volet.
Un faux pas sur le chemin du retour à la constitutionnalité
L’Acte fondamental n°001/CNSP du 24 août 2020 n’a pas sa place sur le chantier du nouvel ordonnancement juridique. Il est disqualifiant pour la transition qui s’ouvre, à la fois à cause du déficit de concertation qui l’entache dans la forme et de l’amateurisme juridique qui le plombe dans le fond.
L’Acte fondamental n°001/CNSP du 24 août 2020 n’a manifestement pas capitalisé sur l’expérience de 1991. Chacun sait que le succès relatif de la transition de 1991 s’explique par l’atmosphère de consensus dans laquelle elle a baigné. En 1991, le CNR initiateur du coup d’Etat avait assez rapidement noué le dialogue avec le Comité de Coordination des Associations et Organisations Démocratiques. C’est ainsi qu’au bout de quatre jours seulement allant du 26 au 29 mars 1991, fut constitué le Comité de Transition pour le Salut du Peuple (CTSP) avec ses 25 membres dont 10 militaires.
C’est dans le CTSP avec sa composition et ses missions que s’est exprimé le compromis patriotique entre le Comité de Coordination des Associations et Organisations Démocratiques (CCAOD) et le Conseil National de Réconciliation Nationale (CNR). Pourquoi 91 ne servirait-il pas de référence ? Pourquoi 91 n’enseignerait-il pas au CNSP que la transition pourrait capoter en l’absence de concertations sincères et effectives avec le M5-RFP et le reste des forces vives patriotes acquises au vrai changement dont a soif le peuple souverain du Mali.
Dr Brahima Fomba
(USJP)
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