Après des mois de manifestations populaires, un soulèvement militaire a débouché sur l’arrestation du Président malien Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août 2020, le contraignant à dissoudre l’Assemblée nationale et à démissionner de ses fonctions de chef de l’État. Tôt le matin du 19 août, cinq officiers militaires sont apparus à la télévision nationale pour annoncer une transition : une image classique des coups d’État africains.
La communauté internationale a largement condamné le coup de force. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), notamment, a imposé des sanctions au Mali, malgré le risque d’aggraver une situation humanitaire déjà préoccupante.
Sans surprise, ces réactions s’alignent sur les normes internationales et traduisent le besoin d’éviter la création d’un dangereux précédent, à un moment où plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest entrent dans des périodes électorales potentiellement tendues.
Cependant, réduire les événements maliens de la semaine dernière à un exemple supplémentaire d’abus de pouvoir par les militaires appelant une condamnation de principe passerait à côté de l’essentiel.
Ces condamnations témoignent d’un manque d’introspection et de responsabilisation de la part de la communauté internationale, qui a raté plusieurs occasions de désamorcer la crise avant le coup d’État. Elles révèlent également la profonde contradiction entre la position de principe adoptée par la communauté internationale d’une part, et d’autre part la demande locale de changement politique en faveur d’une gouvernance plus réactive, plus responsable et plus légitime.
Considérer le coup d’État comme un nouvel abus de pouvoir des militaires nous fait passer à côté de l’essentiel
À l’évidence, le changement politique par un coup d’État est intervenu en réponse à l’impasse créée par un dysfonctionnement institutionnel et une inertie gouvernementale prolongée, dans un contexte de profonde rupture du contrat social. Cette situation a mis à rude épreuve la résilience de la démocratie malienne et la patience d’une population désabusée face à la récurrence de conflits violents et de crises sociales.
La perte de confiance de la population dans les institutions nationales a sans doute atteint son apogée en avril, lorsque la Cour constitutionnelle a altéré les résultats des élections législatives. Les Maliens ont été confrontés à la difficile question d’imaginer des options de changement politique, dans un contexte où les mécanismes démocratiques étaient perçus comme peu fiables, corrompus et malhonnêtes.
Sans pour autant cautionner le coup d’État, il est primordial de reconnaître qu’il est l’aboutissement d’un soulèvement populaire contre un système démocratique défaillant et une impasse politique prolongée. Alors que faire à présent ? Comment sortir de cette situation ?
Contrairement aux putschs classiques, la prise de pouvoir du 18 août semble avoir été méthodiquement orchestrée, avec peu ou pas d’effusion de sang,. Les artisans de ce coup ont poussé le président à dissoudre l’Assemblée nationale avant de démissionner, ce qui reflète une fine connaissance du droit constitutionnel.
Ils ont rapidement annoncé leur intention de mettre en place une transition inclusive, invitant les acteurs sociaux et politiques à tracer ensemble une nouvelle voie pour tous les Maliens. Ils ont également rassuré les acteurs nationaux et internationaux sur leur engagement à œuvrer pour des questions essentielles, telles que la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et de réconciliation de 2015 et la poursuite de la collaboration avec les partenaires militaires étrangers dans la lutte contre le terrorisme.
Les processus nationaux de réforme du secteur de la sécurité et de transformation du service public devraient démarrer durant la transition
Tout ceci suggère que le coup d’État, s’il est rapidement accompagné par un cadre socio-politique inclusif et participatif, pourrait s’avérer une occasion pour les Maliens de renégocier le contrat social et de s’entendre sur des principes de gouvernance plus sains.
Mais ce potentiel refondateur ne pourra se concrétiser que si la transition est explicitement mise à profit pour restaurer les valeurs démocratiques et réinitialiser les pratiques de gouvernance après des décennies d’abus. Pour mettre en place une sortie de crise, les partenaires du Mali doivent arrêter de se focaliser uniquement sur la durée de la transition et les personnalités qui devraient la conduire, et se concentrer plutôt sur les résultats positifs qui pourraient en être attendus.
La transition devrait être évaluée à l’aune d’un mandat clair qui corresponde aux attentes des Maliennes et des Maliens. Elle devrait préparer le terrain pour le lancement des réformes attendues de longue date dans les domaines des services publics, de la gouvernance économique, de la gouvernance du secteur de la sécurité et de l’administration électorale. La durée et les modalités de la transition devraient découler de ce mandat, et non l’inverse.
Aucun changement substantiel ou durable dans les systèmes de gouvernance ne se produira sans une véritable appropriation nationale. Par conséquent, la définition des priorités de transition devrait provenir d’une conversation nationale, plutôt que d’être imposée par des partenaires extérieurs.
Les dialogues politiques précédents (notamment ceux de Ouagadougou, du processus d’Alger, la Conférence d’entente nationale de 2017 et le Dialogue national inclusif de 2019) offrent, comme point de départ, un diagnostic clair des lacunes de la gouvernance au Mali. Les discussions à venir devraient s’atteler à définir l’ordre des priorités à traiter pendant la transition, de manière à initier les changements nécessaires et à les rendre irréversibles.
La transition doit être évaluée à l’aune d’un mandat clair qui corresponde aux attentes des Maliennes et des Maliens
Les réformes électorales structurelles, essentielles pour créer l’espace nécessaire au renouvellement de l’élite et des pratiques politiques, au-delà d’une simple redistribution des rôles entre anciens acteurs, devraient faire partie des priorités. Cela contribuerait à obtenir un changement qui ne soit pas que cosmétique. Pour éviter les conflits d’intérêts, les dirigeants du coup d’État et de la transition ne devraient pas être autorisés à se présenter aux prochaines élections.
Les processus nationaux de réforme du secteur de la sécurité et de transformation des services publics ne doivent pas être remis à plus tard. Il doivent démarrer pendant la transition, quitte à être poursuivis ensuite par les autorités élues.
Il appartient aux Maliennes et aux Maliens de déterminer si la transition doit être civile ou militaire. Si l’option d’une transition militaire est retenue, des mesures visant à atténuer le risque d’une aggravation de la situation sécuritaire pendant que les dirigeants militaires s’occupent de questions politiques devront être envisagées. L’histoire récente du pays illustre la propension des groupes extrémistes violents à exploiter tout vide ou lenteur institutionnels pour faire avancer leur projet.
Pour évaluer la sincérité de la transition et s’assurer qu’elle reste sur la bonne voie, un suivi attentif du climat sociopolitique est nécessaire à toutes les étapes, en s’appuyant sur des indicateurs clés, notamment le respect des libertés civiles et le non-recours aux régimes d’exception tels que les états d’urgence. Dans le cadre du suivi de la transition, le contrôle démocratique devra aussi veiller au risque d’enrichissement illicite des acteurs de la transition.
Le respect des droits humains tout au long de la transition, y compris la liberté de réunion, la liberté de la presse et le droits des dignitaires du régime déchu à des procès libres et équitables, le cas échéant, devra aussi faire l’objet d’une attention particulière. En plus de faire l’objet d’engagements formels de la part des acteurs de la transition, tous ces éléments devraient être surveillés par des entités nationales et internationales indépendantes jusqu’à la fin de la transition.
C’est peut-être ce qu’il faut pour que le coup de 2020 débouche sur des résultats plus positifs que les précédents : plus de transparence dans la vie publique, des processus de réforme irréversibles, des pratiques de gouvernance plus saines et une confiance accrue des populations dans les institutions.
Ornella Moderan, cheffe de programme, Sahel, ISS Bamako
Cet article a d’abord été publié sur le site de l’Institut d’études de sécurité (ISS)
Source: Le Pays