Dans l’interview qui suit, le président du Haut conseil des Maliens de l’extérieur (HCME) se prononce sur la situation politique dans le pays. Habib Sylla explique aussi les propositions faites par nos compatriotes établis à l’extérieur pour la transition et dénonce l’attitude de la Cedeao vis-à-vis du Mali
L’Essor : Quelle est votre analyse sur l’évolution de la situation politique au Mali ?
Habib Sylla : Je pense que des pas ont été faits mais il reste encore beaucoup à faire pour le retour de la cohésion sociale. Les jeunes officiers militaires ont fait un boulot remarquable en conduisant ce passage sans effusion de sang. C’est extraordinaire, mais le plus dur reste à faire. Il s’agit d’amener l’ensemble de la classe politique à regarder dans la même direction et naturellement, faire en sorte que le peuple s’implique aussi pour que nous retrouvions notre vivre ensemble.
La rencontre d’échanges de samedi allait permettre de faire un autre grand pas vers cette réconciliation retrouvée. Mais ce n’est que partie remise puisqu’elle a été reportée. Beaucoup de personnalités avaient répondu à l’appel du CNSP. Ce qui veut dire que les gens sont disposés à venir écouter et certainement contribuer.
L’Essor : Quel va être l’apport du HCME pour le retour à une situation normale dans le pays ?
Habib Sylla : Le Haut conseil des Maliens de l’extérieur, avec toute l’expérience emmagasinée ailleurs, va apporter sa contribution. Être à l’extérieur est aussi une école. Vu la diversité et les politiques conduites par les différents pays où sont établis nos compatriotes, chacun a pu emmagasiner quelques expériences surtout avec les crises que connaissent certains d’entre eux et les solutions mises en pratique pour en sortir.
Il ne faut pas oublier aussi que les 4 à 5 millions de Maliens établis à l’extérieur sont en contact avec leurs familles restées au pays. Avec elles, nous partageons le fruit de la chasse. Il est plus facile pour nous de les orienter afin qu’ils suivent une direction.
Lors des élections, nous sommes comme des grands électeurs, nous orientons nos parents par rapport à ce que nous représentons pour eux. Nous pouvons les convaincre facilement à suivre la voie tracée qui nous mène vers une réconciliation. D’autre part, nous-mêmes sommes des soldats économiques et aussi des ambassadeurs parce que l’image de notre pays, c’est à travers nous. On ne peut que contribuer à ce que les choses marchent mieux afin qu’on puisse nous respecter dans nos pays de résidence. Nous avons déjà élaboré un document que nous avons transmis au CNSP.
Nous ne disons pas que tout est bon dedans, mais les autorités militaires y trouveront quelque chose qui reflète le point de vue des Maliens de l’extérieur. Pour que cela soit mis en œuvre, il faut que les militaires, les partis politiques et l’ensemble des forces vives se donnent la main car une seule partie ne peut résoudre les problèmes du Mali. Surtout que la Cedeao veut nous mettre à genou pour nous faire accepter des choses que notre situation ne permet pas.
L’Essor : Justement, quelle est votre lecture des sanctions de la Cedeao à l’encontre de notre pays et quelle solution préconisez-vous pour y faire face ?
Habib Sylla : Pour faire face à tout cela, il n’y a que l’unité parce que ce qui est arrivé au Mali est arrivé dans certains pays membres de la Cedeao. Mais une telle rigueur n’a pas été imposée à ceux-ci. On leur a laissé des portes pour résoudre le problème en fonction des situations qu’ils traversent. Au Mali, avec ce qu’on voit, nos amis de la Cedeao doivent faire attention, se dire que nous sommes aussi membres de cette organisation, mais que nous avons notre spécificité et notre particularité.
On souhaite des accords pour nous maintenir dans cette organisation dont le Mali est membre fondateur, mais il faut qu’ils prennent en compte notre situation. Avec le voisinage, nous sommes en coopération gagnant-gagnant et chacun contribue au développement de l’autre.
Nous avons surtout de nombreux compatriotes établis dans les pays membres de la Cedeao et aussi ils ont leurs ressortissants au Mali. Donc, toutes les conditions sont réunies pour que ses dirigeants fléchissent un peu leur position afin de permettre à nos nouvelles autorités de prendre leur envol par rapport à la situation sécuritaire, économique et politique du pays.
L’Essor : Lundi, une délégation du HCME a été reçue par le CNSP à Kati. De quoi avez-vous parlé ?
Habib Sylla : C’était une rencontre d’échanges par rapport à la situation du moment surtout que le CNSP propose des concertations avec toutes les couches de la nation sur la transition. Nous avons dit notre idée sur cette transition dans un document que nous leur avons soumis. En tant que représentants des Maliens de l’extérieur, nous leur avons fait aussi des propositions pour faciliter le séjour de nos compatriotes dans leurs pays de résidence car il y a actuellement beaucoup de manquements.
L’Essor : Quelle durée proposez-vous pour la transition ? Êtes-vous pour le choix d’un militaire ou d’un civil pour la diriger ?
Habib Sylla : Une transition trop courte à mon sens n’est pas intéressante, mais trop longue aussi risque d’être compliquée car nous avons en face, la communauté internationale. Je pense que par rapport au creux et aux problèmes qui sont là, la transition pourrait s’étaler sur deux ans sinon les trois ans restants du mandat de l’ancien président. Pour nous, elle doit être dirigée par un Malien tout court c’est-à-dire quelqu’un qui a des compétences, connu pour sa rigueur et sa moralité, qu’il soit militaire ou civil.
Il n’y a pas que des bons Maliens au sein de la société civile ou de la classe politique. Il y a des mauvais aussi. C‘est la même chose chez les militaires où il y a des officiers intègres et des mauvais. Mais je ne verrai pas de mal à ce qu’un militaire dirige la transition. Il y a des pays où des militaires ont très bien réussi.
L’Essor : Un appel du Haut conseil des Maliens de l’extérieur à lancer ?
Habib Sylla : Qu’aucun camp ne fasse de cette situation actuelle sa propriété. Evitons l’euphorie, entendons-nous et donnons-nous la main : les politiques, la société civile et l’ensemble des forces vives de la nation. Les militaires aussi doivent savoir qu’eux seuls ne peuvent pas réussir s’ils ne sont pas accompagnés.
Propos recueillis par
Dieudonné DIAMA
Source : L’ESSOR