Plus de cinq ans après les faits, le procès des attentats de janvier 2015 par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly s’est ouvert ce 2 septembre à Paris. Tous trois ayant été abattus par les forces de l’ordre, ce procès sera celui des complices présumés. Sur les quatorze accusés, onze sont présents à l’audience, trois jugés par défaut. Ils encourent entre dix ans de prison et la réclusion à perpétuité.
Les trois accusés absents de ce procès semblent être parmi les plus impliqués dans les attentats et en savaient vraisemblablement beaucoup sur leur préparation, eux qui sont partis en zone irako-syrienne quelques jours avant les attaques.
Mehdi Belhoucine est justement accusé d’avoir justement « exfiltré » Hayat Boumedienne, la compagne d’Amedy Coulibaly, qui aurait elle aidé à financer les attentats par l’intermédiaire d’escroqueries. Mohamed Belhoucine, frère de Mehdi, serait lui le mentor de Coulibaly, dont il aurait rédigé le serment d’allégeance à l’organisation État islamique lu dans une vidéo de revendication.
Les frères Belhoucine présumés morts
Tous trois font l’objet de mandats d’arrêt, même si les frères Belhoucine sont présumés morts ; c’était aussi le cas pour Hayat Boumedienne, avant qu’un témoignage la donne toujours vivante en octobre 2019. Poursuivis, comme la plupart des accusés, pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, Hayat Boumediene et Mehdi Belhoucine encourent 20 ans de prison. Mohamed Belhoucine risque lui la perpétuité pour complicité de crime terroriste. Un chef d’accusation – le plus lourd dans ce dossier – qu’il partage avec Ali Riza Polat.
Ce franco-turc de 35 ans sera le principal accusé présent. Détenu depuis mars 2015, il apparaît « à tous les stades de préparation » des attentats selon le parquet. Il aurait notamment aidé Coulibaly mais aussi les frères Kouachi à se procurer leur arsenal. Les autres prévenus, dont plusieurs anciens co-détenus de Coulibaly, sont soupçonnés d’avoir apportés un soutien logistique aux tueurs en fournissant des armes ou des véhicules.
Onze accusés présents
Nezar Pastor Alwatik et Amar Ramdani ont été incarcérés par le passé avec Coulibaly à Villepinte (Seine-Saint-Denis), et étaient affectés comme lui à la buanderie de la maison d’arrêt. Pour les juges, ils ne pouvaient ignorer, comme d’autres proches du jihadiste renvoyés à leurs côtés, les « convictions islamistes radicales » d’Amedy Coulibaly et son adhésion à l’idéologie de l’EI. Ils seront jugés pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Les investigations ont révélé de très nombreux contacts téléphoniques entre Coulibaly et ses ex-codétenus, ainsi que des rencontres physiques juste avant les attaques. L’ADN de Nezar Pastor Alwatik a en outre été retrouvé sur deux armes découvertes dans un logement loué par Coulibaly et à l’intérieur d’un gant saisi à l’Hyper Cacher.
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Amar Ramdani est, lui, soupçonné d’avoir fait l’intermédiaire entre Coulibaly et Saïd Makhlouf, dont l’ADN a été mis en évidence sur la lanière d’un taser en possession du jihadiste dans l’épicerie casher. Ramdani et Makhlouf s’étaient rendus plusieurs fois fin 2014 en région lilloise, d’où proviennent les armes de Coulibaly. Là-bas, ils avaient rencontré Mohamed Fares, interpellé dans ce volet armes après avoir été désigné fin 2017 dans un courrier anonyme. Selon les investigations, Fares est en lien avec deux des armes qui étaient en possession de Coulibaly, dont un fusil d’assaut.
Abdelaziz Abbad et Miguel Martinez, qui vivaient et travaillaient à Charleville-Mézières (Ardennes), d’où sont originaires les femmes des frères Kouachi, sont eux accusés d’avoir recherché des armes pour Saïd Kouachi. En lien avec Ali Riza Polat, ils s’étaient adressés à Metin Karasular et s’étaient rendus dans son garage, à Charleroi, en Belgique. Une liste recensant les prix de munitions et de détonateurs, rédigée par Polat selon une expertise, a été retrouvée dans ce garage. Metin Karasular a par ailleurs acheté à Amedy Coulibaly une Mini Cooper immatriculée au nom d’Hayat Boumeddiene.
(Avec AFP)
♦ «Ce n’est pas le procès des auteurs, c’est le procès de la logistique»
Trois questions à Pierre Conesa, historien et ancien haut fonctionnaire au ministère français de la Défense, sur ce que l’on peut attendre de ce procès.
RFI : Que peut-on véritablement espérer de ce procès qui s’ouvre aujourd’hui ?
Pierre Conesa : Moi, je trouve que ce procès a une valeur extrêmement importante parce que c’est le procès des réseaux. Ce n’est pas le procès des auteurs, c’est le procès de la logistique. Or, la plupart du temps, en appliquant un droit de paix ou un droit classique de responsabilité, très souvent les membres des réseaux de soutien disent qu’ils ont prêté une voiture parce qu’ils connaissaient depuis longtemps les frères Kouachi ou qu’ils les ont logés parce qu’ils n’avaient pas de logement, etc. En fait, ce n’est pas vrai. Ce n’est pas une logique de soutien neutre ou si vous voulez d’amitié, c’est une logique de soutien d’assistance à un groupe terroriste. Donc, la sévérité des sanctions qui seront prononcées à l’issue de ce procès à l’égard de tous ces gens qui ont été impliqués, puisque la justice a retenu leur caractère pénal, est extrêmement importante pour dissuader, encore une fois, les réseaux qui sont toujours présents sur le territoire. N’oubliez pas qu’on a quand même cinq ou six tentatives d’attentats qui ont été déjoués cette année seulement.
Vous parlez des réseaux de soutien. On parle souvent des petites mains concernant cette affaire. Le procureur national antiterroriste, Jean-François Ricard, réfutait ce terme. « Non, les gens jugés aujourd’hui ne sont pas des petites mains. Il est faux de les considérer comme des gens sans intérêt ». Vous partagez cette analyse ?
Tout à fait. Parce que, encore une fois, on s’est souvent sorti de difficultés en expliquant qu’un attentat a été fait par un homme isolé qui a été pris tout d’un coup d’un instinct de folie. Non, c’est faux. Aucun attentat n’a été le fait d’un individu totalement isolé d’un contexte dans lequel sa radicalisation n’était pas apparue, etc. Il faut revenir notamment sur la notion de non dénonciation de crimes, c’est-à-dire que, quand vous avez des réseaux qui savent que la radicalisation est en cours, qu’il y a un risque de dérive, que des gens disparaissent, il faut sensibiliser au fait, et la communauté musulmane française y est prête d’ailleurs, que la dénonciation soit faite en amont. Sinon, quand l’attentat arrive, on dira que les services ont failli, ce qui est le cas effectivement en janvier 2015 – les frères Kouachi étaient quand même allés au Yémen, ce qui n’était pas une destination totalement indifférente –, mais on ne peut pas augmenter les effectifs de police en fonction des fichés S qui ne cessent de grossir si on ne procède pas en même temps à une politique pénale qui consistera justement à permettre aux services de renseignements de fonctionner. On est dans cette situation où le débat est tout à fait décalé par rapport à la réalité aujourd’hui en France.
Cinq ans après ces attentats, qu’en est-il aujourd’hui de l’état de la menace terroriste en France ?
Des gens mieux placés que moi nous ont signalé que cette menace n’était pas diminuée. Simplement, la réorganisation qui a suivi les attentats de 2015 a été effectivement extrêmement importante. Maintenant, j’attire l’attention sur le débat politique. J’avais personnellement fait un rapport sur la contre-radicalisation qui était sorti en décembre 2014. C’est sorti dans le plus grand silence médiatique, parce qu’encore une fois, on s’approchait des fêtes de Noël, il y avait les élections municipales trois mois plus tard, et tout d’un coup, en janvier 2015, le terrorisme revient en pleine figure. C’est-à-dire qu’on commence enfin à utiliser le terme de « salafiste » alors qu’à l’époque, on parlait d’islam radical mettant tous les musulmans au pied du mur. On est dans une situation où la classe politique est totalement décalée par rapport à la réalité. C’est là, à mon avis, que la faillite est la plus importante.