Accueil FRANCE En France, l’épidémie de coronavirus fragilise aussi les jeunes diplômés

En France, l’épidémie de coronavirus fragilise aussi les jeunes diplômés

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Alors que le gouvernement de Jean Castex a annoncé fin juillet un plan d’accompagnement pour les 750 000 jeunes de 16 à 25 ans entrant cet automne sur le marché de l’emploi, les plus diplômés d’entre eux, titulaires d’un bac+5 et au-delà, peinent souvent à trouver un poste. Une situation particulièrement alarmante pour Isabelle Recotillet, économiste au CNRS.

« J’en ai marre ». C’est ainsi que commence le message posté par Laëtitia Blanville sur les réseaux sociaux. Diplômée d’un master de droit depuis deux ans, la jeune femme désespère de trouver un emploi stable. Malgré ses centaines de candidatures, elle n’a pour le moment qu’un poste de juriste à temps partiel, payé 916 euros nets par mois. « À 26 ans, je suis encore aidée financièrement par mes grands-parents, confie-t-elle. C’est une situation difficile sur le plan économique comme sur le plan du moral. »

Qu’ils soient diplômés des « promo Covid » ou sortis de l’université depuis un an ou deux, de nombreux jeunes diplômés ont, comme elle, des difficultés à trouver un emploi adapté à leurs compétences. Une situation qui illustre la complexité d’intégrer le marché du travail, selon Isabelle Recotillet, consultante indépendante et chercheure associée au laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST), rattaché au CNRS.

« Les indicateurs n’ont jamais autant été dans le rouge »

« Le contexte est très préoccupant, estime-t-elle. Même après la crise économique de 2008, les offres d’emploi et les embauches n’étaient pas aussi peu nombreuses. Les indicateurs n’ont jamais été autant dans le rouge qu’en ce moment. » L’APEC, l’Association pour l’emploi des cadres, a ainsi observé une chute de près de 41 % des offres destinées aux jeunes diplômés durant le premier semestre 2020 par rapport à l’an dernier.

« Déjà que depuis une vingtaine d’années, deux tiers des premières embauches se font en contrat à durée déterminée, reprend l’économiste, la crise amenée par le Covid-19 risque de précariser durablement les jeunes. » Et si l’activité reprend progressivement, les embauches sont encore ralenties.  

Attendre ou partir, chacun sa stratégie

Les diplômés doivent donc recourir à des stratégies nouvelles pour parvenir à joindre les deux bouts. Anouk, 25 ans, est titulaire d’un master de science politique délivré par la Sorbonne à Paris. Elle a multiplié les stages pour essayer de trouver un débouché dans le secteur qui l’intéresse, la production audiovisuelle. Mais le confinement a eu raison de ses espoirs : « La dernière entreprise dans laquelle j’ai fait un stage m’avait laissé entendre qu’en cas de commandes, je pourrais être embauchée. Mais avec la crise sanitaire, cela n’a pas eu lieu, et j’ai terminé mon stage sans possibilité d’être intégrée. » La jeune femme a donc décidé d’aller tenter sa chance à Berlin, persuadée de ne pas pouvoir trouver d’emploi en France actuellement.

Certains préfèrent attendre une conjoncture plus favorable. Pauline Girardot postule ainsi à des « jobs étudiants » malgré son master de politiques culturelles. « J’ai passé un entretien d’embauche pour être hôtesse d’accueil dans un musée, confie-t-elle. Autant trouver un travail alimentaire qui me laisse le temps de m’investir dans des associations et des projets personnels, jusqu’à ce que la situation se débloque. »

Un risque de déclassement en cascade

Isabelle Recotillet nuance cependant : « Les très diplômés restent les plus protégés sur le marché du travail, notamment en cas de mauvaise conjoncture. » Le rôle du diplôme se renforce en effet à mesure que la conjoncture se dégrade et les titulaires d’un bac+5 et au-delà conservent ainsi plus de chances de trouver un emploi que les autres. Mais la durée des recherches s’allonge et l’emploi trouvé peut être plus précaire. « Il sera compliqué pour ces jeunes de trouver un emploi de cadre, auquel leur diplôme leur donne normalement accès, prévoit-t-elle. Ils risquent de devoir se contenter d’un emploi moins bien rémunéré. »

Laëtitia Blanville envisage ainsi d’accepter un emploi en dessous de son niveau d’études, au risque d’être surqualifiée : « J’ai un diplôme de juriste, mais on m’a dit en entretien qu’il fallait au moins cinq ans d’expérience préalable en tant qu’assistante pour obtenir un poste », soupire-t-elle. Elle postule donc maintenant à des postes d’assistante juridique, qui demandent normalement un niveau d’étude moins élevé, de bac+2 ou bac+3

« C’est un phénomène de déclassement courant qu’on observe en situation de crise », analyse Isabelle Recotillet. Confrontés à un marché de l’emploi « bouché », les plus diplômés se rabattent sur des postes et des salaires inférieurs à leur niveau de qualification. Ils occupent alors les postes réservés aux diplômés de niveau licence, qui eux-mêmes se rabattent sur des postes accessibles niveau bac. Un phénomène de déclassement en cascade qui concourt à précariser l’ensemble des jeunes, quel que soit leur niveau d’études, et qui touche particulièrement les plus fragiles.

Des conséquences violentes et sur le long terme

« Les seniors et les jeunes sont toujours les plus faibles en situation de crise, poursuit l’économiste. Ce sont les premiers dont les entreprises se séparent en cas de difficulté, et les derniers à bénéficier des effets de la reprise, qui profite avant tout aux 25-49 ans. » Selon Isabelle Recotillet, l’impact de la crise sanitaire s’étalera probablement sur une période d’un à deux ans, et ses conséquences risquent d’être « longues et violentes ».

Face à cette situation, le Premier Ministre, Jean Castex, a assuré que « l’État accompagnera chaque jeune qui en a besoin » à travers le plan « un jeune, une solution », lancé durant l’été 2020. Doté de 6,5 milliards d’euros, il propose des mesures pour accompagner les jeunes de 16 à 25 ans vers la formation et l’emploi au sortir de la crise du Covid-19. Une aide au recrutement de 4 000 euros est ainsi mise en place pour les entreprises embauchant un jeune entre août 2020 et janvier 2021.

Mais pour Isabelle Recotillet, les mesures incitatives ne sont pas forcément les plus efficaces : « Lors des crises précédentes, ce type d’incitation semble avoir surtout provoqué un effet d’aubaine. Les entreprises en ont profité alors qu’elles auraient de toute façon embauché, mais sans stabiliser pour autant leurs recrutements. Il va falloir être très attentifs à l’évolution de la situation durant les six prochains mois. »

RFI

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