Caroline Roussy : Ce qu’on observe c’est qu’il y a eu des concertations nationales qui n’ont pas nécessairement fait consensus. Certaines personnes se sont un peu senties exclues, cela dépend des localités ou des groupes d’appartenance comme le Mouvement du 5 Juin par exemple. Malgré cela, tout le monde affiche une volonté pour aller vers une transition qui sera conduite par une personne de la société civile.
C’est ainsi qu’on nous le présente, mais il faudrait définir ce qu’est la société civile puisque Ba N’Baou a fait sa carrière dans l’armée pendant plus de 40 ans et il a été ministre de la Défense dans l’un des gouvernements d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Son vice-président est actuellement le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta.
À quoi va servir ce gouvernement de transition ?
C.R. : Cette transition a été imposée par l’extérieur. Il faut noter qu’un certain nombre de politiques sont restés en retrait, ce qui signifie clairement qu’eux ne souhaitent pas participer à cette transition en vue d’échéances présidentielles. Il est intéressant de voir à quoi va servir la transition et quels sont les chantiers prioritaires qui vont être mis en avant. Est-ce que cela signifie travailler particulièrement sur le processus électoral pour la prochaine présidentielle au Mali ? Comme le voudrait la Cédéao ? Cela me semble insuffisant et ne réglerait en rien les problèmes de fond auxquels est confronté le Mali depuis plusieurs années voire décennies, avant même l’arrivée d’IBK au pouvoir. La crise sociale est très forte. Il y avait une croissance qui était plutôt positive depuis quelques années mais dans plusieurs secteurs, les besoins de première nécessités n’étaient pas fournis, en termes de scolarité, hôpitaux etc. Des enseignants ont manifesté avec le M5 pour une augmentation de leurs salaires. La crise économique a été accélérateur de cette crise sociale qui a resurgi sur le politique.
Quel est le rôle de la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest)?
C.R. : La Cédéao a voté des sanctions contre le Mali et a mis en place un embargo, même s’il est à géométrie variable. Il y a une dissension assez patente entre la ligne dure d’Abidjan et une ligne un peu plus flexible du côté de Dakar. Alassane Ouattara mais aussi Alpha Condé vont eux-mêmes vers des élections dans les semaines qui arrivent. On voit bien qu’il y a la tentation d’envoyer un message à leurs propres citoyens par effet de miroir. Beaucoup se sont quand même insurgés au Mali et ont été soutenus par des partis d’opposition du Burkina-Fasso, du Cameroun (etc.) contre ces sanctions injustes. Le Sénégal avait tout à perdre puisque son port convoie le plus de marchandises vers Bamako qui n’a pas d’accès à la mer.
Ces sanctions sont vécues par le peuple malien comme une humiliation. À la base c’était l’expression d’une coagulation de mécontentement autour du M5 avec des musulmans pratiquants, des laïcs, des socialistes, des enseignants… C’était un mouvement très représentatif de la société malienne qui était à bout de souffle et qui avait ce besoin de manifester ensemble contre un système complètement bloqué.
Comment la France se positionne-t-elle face à cette situation ?
C.R. : La France a condamné le coup d’État, ce qui, au regard des textes normatifs internationaux semblait être un processus normal, avant de « prendre acte » du coup d’État. Beaucoup d’analystes disent qu’étant donné que la France a la mission Barkhane, elle devait être infiltrée et au courant de ce qui se préparait. Donc elle a lâché IBK. Certes, c’est une hypothèse possible. Ce que j’observe, c’est qu’après 7 ans de présence française, plus de 600 attentats ont été déjoués, mais il n’y a pas non plus une franche réussite. On est quand même face à une expansion de la menace terroriste et de la criminalité organisée dans son ensemble. L’épicentre était le Mali et cela se répand depuis quelques années au Burkina Fasso et au Niger.
C’est une situation délicate pour la France. En ce qui concerne la transition il n’y a pas eu d’avancée majeure en un mois. La force française reste au service du Mali et la junte a demandé à ce que le partenariat continue, de même que celui avec la Minusma (mission de l’ONU au Mali). Mais la France reste critiquée, qu’elle reste ou qu’elle parte. À tout cela s’ajoute un sentiment anti-français exacerbé par des acteurs politiques eux-mêmes.
Entretien réalisé par Laureen Piddiu
Source :lamarseillaise.fr