Ce mardi 22 septembre, le Mali fête les 60 ans de son indépendance. 60 ans marqués par trois guerres et quatre coups d’État – le dernier, il y a un mois -, mais 60 ans marqués aussi par de vraies avancées démocratiques. De 2000 à 2002, Ousmane Sy a été le ministre de l’Administration territoriale du président Konaré. Il est l’auteur de Reconstruire l’Afrique à partir des dynamiques locales, aux éditions Gamana et Charles Léopold Mayer. En ligne de Bamako, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
Rfi : Vous qui aviez 11 ans en 1960 et qui vous souvenez donc de l’accession de votre pays à l’indépendance, est-ce que vous pensez que le Mali a rempli tous les espoirs placés en lui ?
Ousmane Sy : Je suis loin de penser que le Mali a rempli tous les espoirs. Parce que, quand on regarde le parcours jusqu’à maintenant, bien sûr, il y a des acquis incontestables, mais en dehors des libertés qui ont été conquises et renforcées, on est effectivement beaucoup plus libres aujourd’hui. En dehors de cela, je crois que pour le reste il est difficile de dire que cela a été un succès.
Du côté du développement, c’est plutôt un échec, c’est cela ?
Du côté du développement, il faut le dire franchement, c’est un échec, parce qu’aujourd’hui je ne suis pas sûr que les gens vivent mieux qu’ils ne vivaient dans les années 1960.
L’année 1960 a été marquée par l’éclatement de la Fédération du [Mali + Sénégal]. Est-ce que cela reste une blessure intime pour beaucoup de Maliens ?
Je crois que beaucoup de Maliens regrettent forcément cet éclatement de la Fédération du Mali, surtout quand on regarde un peu l’évolution des deux pays. Si ces deux pays étaient restés ensemble, peut-être qu’on aurait eu plus de stabilité. On aurait eu plus de développement.
Le Mali aurait eu un débouché maritime et le Sénégal aurait eu une profondeur…
Un marché. Un marché plus grand.
Quatre putschs en soixante ans… Comment expliquez-vous le poids des militaires dans la vie politique de votre pays ?
On a eu quatre putschs en soixante ans, mais on a eu trois rébellions armées, aussi, en soixante ans. Tout cela montre qu’en fait ce pays a été bâti sur des options qui restent comme un boulet au pied de ce pays.
Vous parlez de ces trois rébellions armées… La question du Nord-Est en effet lancinante dans l’histoire de votre pays. Quelle est la solution ?
Ce pays est parti avec un boulet au pied. Depuis l’indépendance, on a fait un choix de type d’État unitaire, centralisé, qui n’a pas permis à tout le potentiel de ce pays de s’exprimer. Les deux caractéristiques importantes dans notre pays, c’est que c’est un pays de grande diversité. Diversité humaine, diversité des territoires. Et je crois que l’option que l’on a faite, de partir avec un État unitaire centralisé, qui s’est efforcée pendant soixante ans à uniformiser un pays qui a la diversité dans ses gènes, est un boulet. Je crois qu’aussi longtemps qu’on n’affrontera pas cette question, les coups d’État et les rebellions vont se multiplier.
Les rébellions nourrissent les coups d’État, qui nourrissent les rébellions ?
Exactement, c’est un cycle infernal.
Vous avez écrit un livre sur la décentralisation. Préférez-vous le fédéralisme ou la décentralisation ?
J’avoue que, du point de vue du principe, je n’ai rien contre la fédération. Je crois que le problème important, c’est que l’on doit trouver un système institutionnel qui tienne compte des deux caractéristiques dont j’ai parlé, la diversité humaine et la diversité territoriale. C’est un pays qui est au centre de l’Afrique de l’Ouest, c’est un pays qui fait le lien entre le Sahara et l’Afrique noire. Je crois que c’est une caractéristique sur laquelle nous n’avons pas suffisamment réfléchi. C’est pour cela que toutes les options d’évolution institutionnelle doivent être ouvertes.
Faut-il plus de personnalités du nord de votre pays dans l’appareil d’État, peut-être au poste de Premier ministre, comme au Niger ?
On a eu cela au Mali. On a eu un Premier ministre Touareg, comme au Niger. Le premier Premier ministre d’Amadou Toumani Touré est un Touareg. Le problème n’est pas une question de Touareg ou de Peul, le problème est le système institutionnel dans lequel nous sommes installés. En fait, ce qui ne fait plaisir, ni aux Touaregs, ni aux Peuls, ni aux Sénoufos du sud. C’est que simplement les Touaregs s’expriment par la rébellion, parce que c’est beaucoup plus culturel, à la différence des sédentaires qui ont d’autres systèmes d’agir que la rébellion armée. Mais je crois que notre grande panne depuis l’indépendance, c’est que nous avons fait une option d’un système institutionnel qui n’est pas à l’image de notre nation.
Et qui est trop centralisé…
Qui est trop centralisé… Et pire, qui veut même uniformiser. Aussi longtemps que nous voudrons uniformiser tout dans notre pays – uniformiser la gestion des territoires, uniformiser la gestion des communautés -, nous ne sortirons pas des problèmes. Nous aurons des révoltes avec des coup d’État et ainsi de suite.
Beaucoup disent que l’une des faiblesses de l’État malien, ce sont ses vieilles pratiques de corruption et de clientélisme. Vous êtes d’accord et si oui quel est le remède ?
Je crois qu’aussi longtemps que l’État n’est pas adopté par les communautés, l’État est senti comme un corps étranger. Je crois que la corruption va être socialement admise et c’est à cela que l’on assiste aujourd’hui. Je crois qu’il faut régler le problème par : quel type d’État il faut aujourd’hui pour que les populations s’identifient à cet État et considèrent que les biens publics sont leurs biens.
Voulez-vous dire que le Mali, ce sont plusieurs communautés juxtaposées, mais pas encore une nation ?
C’est une nation, une nation qui puise son origine de très loin. Ce que je veux dire, c’est que l’État n’est pas en adéquation avec la nation. Le Mali est une nation. L’origine de la nation malienne vient des grands empires. Jusqu’au niveau de la famille, nous sommes mélangés. Vous trouverez rarement une famille malienne où il n’y a pas trois ou quatre ethnies mélangées. Donc la gestion de la diversité est un problème pour l’État, mais pas pour la nation malienne. La gestion de la diversité n’est pas un problème pour nous.
Source : RFI