Alors que le pays observe un moratoire depuis 1991, Kaïs Saïed s’est prononcé pour la peine capitale après le meurtre d’une jeune femme la semaine dernière près de Tunis. « Quiconque tue une personne sans aucune raison mérite la peine de mort », a déclaré le chef de l’État lundi soir. Plusieurs ONG rappellent que la peine de mort n’a pas de vertu préventive.
C’est un meurtre qui est venu relancer le débat sur la peine de mort, après presque trois décennies de moratoire en Tunisie. Rahma, 29 ans, disparue à la sortie de son travail, a été retrouvée la semaine dernière près de l’autoroute entre la capitale Tunis et le quartier résidentiel de la Marsa. Très vite, un suspect a été arrêtée et a affirmé l’avoir tuée et avoir volé son téléphone, a indiqué le ministre de l’Intérieur.
« Il semble que le tueur (présumé, NDLR) avait déjà tué quelqu’un auparavant et avait été gracié », a commenté le président Kaïs Saïed lors d’un conseil de sécurité lundi soir. « Nous lui fournirons toutes les conditions de légitime défense, mais s’il est prouvé qu’il a tué une ou plusieurs personnes, je ne pense pas que la solution soit (…) de ne pas appliquer la peine de mort », a-t-il ajouté.
Le meurtre avait déclenché une vague d’émotion, notamment sur les réseaux sociaux. Mais des ONG comme la Ligue des droits de l’homme ont rappelé que la peine de mort était une atteinte aux droits qui n’avait pas de vertu préventive.
Chokri Latif, président de la Coalition tunisienne contre la peine de mort, qui regroupe un collectif d’associations, estime de son côté que le président de la République a outrepassé ses prérogatives. « Pour moi l’intervention du président de la République ne devait pas se faire de cette manière. En tant que garant de la Constitution, il devrait en premier lieu respecter le système politique tunisien, qui est basé sur la séparation des pouvoirs. Le pouvoir exécutif ne doit pas s’immiscer dans la sphère du pouvoir de la justice, estime-t-il. Et il ne doit pas s’instaurer lui-même en tant que juge pour dire que telle ou telle personne dont l’affaire est en instruction est un criminel, et prononcer un verdict à son encontre, la peine de mort. Autre chose : nous, nous sommes une République dont la référence est la Constitution. Et lui, il se référait à la charia. Il dit : “voilà le texte clair et net auquel je me réfère pour le rétablissement de la peine de mort, c’est le Coran.” Et il a donné le verset. On ne baisse pas les bras malgré les menaces. On me menace moi-même de viol, moi et les membres de ma famille. Clairement, ils l’écrivent, ils n’ont pas peur sur les réseaux sociaux. Ces menaces-là ne nous feront pas baisser les bras. »
Malgré le moratoire, la Tunisie continue de prononcer régulièrement des condamnations à la peine capitale. Depuis 2015, près de 300 condamnations à mort, dont certaines ne sont pas définitives, ont été prononcées en Tunisie. Et dans les prisons tunisiennes, près d’une centaine de personnes ont été condamnées à la peine capitale. Leurs peines ont été commuées en réclusion criminelle à perpétuité.
RFI