Dans une lettre adressée aux nouvelles autorités, Adam Ba Konaré, écrivain et historienne, a encore frappé fort les esprits. Elle est vraiment présente sur la scène politique à travers ses différentes publications et n’hésite pas à s’adresser directement à un chef de l’État en fonction pour porter la contradiction ou pour mettre la puce à l’oreille ou même pour dénoncer une situation
ans sa lettre au Comité national pour le salut du peuple (CNSP), l’historienne fait un rappel des faits pour essayer de montrer la voie à suivre. Elle consacre plusieurs paragraphes au soulèvement populaire porté par le M5-RFP et qui a favorisé la chute du président Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août dernier. L’ex-Première dame ne tarit pas d’éloges sur l’autorité morale de ce mouvement populaire qui, selon elle, s’est comporté en vrai meneur d’hommes. «L’action de l’imam Dicko a été une agitation de fond, une déferlante gromelante et menaçante, hurlante et agissante, qui a agrégé les frustrations populaires.
Dans ses diatribes roboratives, Mahmoud Dicko est dans la mobilité phraséologique et physique, soufflant le chaud et le froid, avançant et reculant, s’engageant et se rétractant. Il cogne, se replie, lime son discours avant de rebondir derechef en anathèmes. Il dit et se dédit, entre et sort, part et revient, revient et repart, tantôt caustique, tantôt émoussé, mais toujours, en appelant à la sagesse, au calme, à la non-violence, à ne pas mettre à feu le Mali, à rentrer à la maison sans faire de casses…», apprécie-t-elle.
Le pouvoir étant désormais entre les mains du CNSP, Adam Ba Konaré avoue que la première visite que le colonel Assimi et ses compagnons ont réservée au général Moussa Traoré a «congelé» son sang. «GMT avait étonnamment un visage et un regard de félin. Me redressant de mon siège, je me suis demandée si c’était un nouveau syndicat qui surgissait : le syndicat des frères, pères et grands-pères d’armes, ou si c’était la même logique de réhabilitation de Moussa Traoré, «ce grand républicain» qui se poursuivait», dit l’auteur de la lettre tout ouvrant une brèche, celle de la mort suspecte du père de l’indépendance, Modibo Keïta, renversé par le même GMT en 1968.
«Colonel Assimi Goïta, savez-vous qu’à la mort, et dans des conditions suspectes, le 16 mai 1977, de Modibo Keïta, c’est un communiqué laconique de Radio Mali qui a annoncé la nouvelle, comme étant simplement celle d’un «instituteur à la retraite ?». Aucune allusion à son statut d’ancien président de la République. Ceux qui ont assisté à son enterrement ont été dispersés à coup de grenade lacrymogène, certains emprisonnés, d’autres obligés de s’expatrier.
Il a été refusé à sa veuve Mariam Travélé de porter le deuil», rappelle-t-elle. Pour Adam Ba Konaré, il reste maintenant à organiser des funérailles nationales pour le père de notre indépendance. «Le discours à la nation du 22 septembre du colonel Assimi, dans lequel il reconnaît en Modibo Keïta «le grand homme d’État et nationaliste convaincu», est un indicateur d’espoir dans cette exhortation. Plus qu’une réparation, ce sera un acte de justice», estime-t-elle.
L’ex-Première dame invite les autorités de la transition à «sortir de l’ornière des recettes usées et des mesures que sempiternellement, dans une grande sécheresse d’imagination et d’inspiration, on préconise pour résoudre les crises en Afrique, à commencer par le rappel des troupes : classe politique, société civile, syndicats, religieux, chefs traditionnels, forces dites vives». Mieux, Adam Ba pense qu’une clarification institutionnelle s’impose.
Faudrait-il doter les autorités morales – religieux et chefs traditionnels – d’un statut défini au sein de la République avec le risque de créer la confusion ? Faudrait-il les y éloigner et les dissoudre dans l’agrégat citoyen, dotés des mêmes droits et méritant le même respect que l’ensemble des citoyens de la République, ou faudrait-il maintenir le statu quo ?», s’interroge-t-elle, ajoutant que ce débat devrait être engagé de manière hardie et responsable.
L’épouse du président Konaré insiste : «Pour l’heure, acceptons une gestion paritaire entre l’armée et les civils. Soyons froids et placides, lucides et pragmatiques. L’armée est le cœur à la fois perturbateur et régulateur du pouvoir». Pour finir, elle pense qu’il faut faire de ce temps de transition un temps de travail, de désintéressement, de rigueur et d’humilité, un temps de vertu. Autrement dit, pas de cérémonies, festivités et commémorations budgétivores et tapageuses. Bref, nous devons être seulement humbles.
Madiba KEITA
Source : L’ESSOR