Des usines transforment les sachets usagés pour fabriquer des baignoires, des seaux, des cuvettes, des brosses. Tout un business s’est organisé autour de cette activité
Les dépôts d’ordures (souvent sauvages) existent dans plusieurs quartiers de Bamako, rendant la vie difficile pour les riverains. En certains endroits, ces déchets domestiques débordent sur les routes, bloquent la circulation. Dans ces tas d’immondices, une grande partie constitue les sachets plastiques, non biodégradables et nuisibles à l’environnement.
Mais ils ont une utilité après avoir servi la plupart du temps comme récipients pour transporter des aliments ou des condiments. Les sachets plastiques sont très recherchés par les femmes et hommes qui fouillent les ordures à la recherche d’objets à revendre. Ces individus passent des journées sur les montagnes d’ordures. Elles amassent les sachets plastiques et les revendent à des fabriques qui font du recyclage pour insuffler une seconde vie à ces déchets.
En la matière, la concurrence est souvent rude entre ces braves dames qui sont loin d’être tirées à quatre épingles. Elles semblent au contraire fières de mettre en relief leur apparence «dépravée». Les plus téméraires et les plus assidues d’entre elles semblent tirer leur épingle du jeu. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir les dépôts de transit d’ordures et autres dépotoirs de Bamako et sa périphérie.
Lundi 7 septembre dernier. Le ciel est nuageux, le temps menace. L’horloge affiche 10h 25 mn. Le dépotoir de déchets, qui a poussé entre les collines de Badalabougou, au beau milieu de l’espace universitaire, sent au fur et à mesure que l’on s’approche de l’Université internationale d’excellence (UIE). Aucun moyen de protection ne semble suffir pour éviter de respirer l’odeur nauséabonde qui s’y dégage. Pas même un masque.
Visiblement heureuses dans cet environnement, des femmes consacrent une bonne partie de leur journée à y ramasser les déchets sans se plaindre des odeurs nauséabondes qu’ils dégagent. Fatoumata Doumbia est l’une de ces ramasseuses de déchets plastiques. Cette quinquagénaire qui dit avoir perdu tous ces enfants, découvre ce travail grâce une de ses amies.
«Avant, je vendais des galettes qui s’achetaient à peine. Chaque jour, je quitte Daoudabougou à pied à 8 heures du matin pour venir ici et je retourne en famille vers 18 heures », confie cette dame. à côté d’elle sont déposés, à même le sol, deux gros sacs remplis «de plastiques ramassés durant une semaine de collecte». Où amenez-vous ces déchets plastiques ?
«On ne fait que parler dans le vide, car on ne voit aucun résultat après nos entretiens avec la presse. Je refuse de dire un mot», s’emporte une dame, avant de lancer un poignet de déchets en guise de plaisanterie comme pour nous dissuader de l’approcher.
LE KG À 100 F CFA- Sa camarade Djénèba Coulibaly, mère de cinq enfants, répond sans hésiter. Ces déchets plastiques sont gardés pour un homme qui passe au dépotoir tous les samedis pour les acheter. Cet acheteur, précise Djénéba, arrive à bord d’un minibus «Sotrama». Il récupère tous les déchets plastiques que nous avons pu collecter. Il paye le kg à 100 Fcfa. Djénéba Coulibaly peut vendre souvent entre 10 à 20 kg de déchets plastiques. Grâce à cette somme, elle nourrit ses cinq orphelins et arrive couvrir d’autres besoins personnels.
Mais ce n’est pas sans difficulté. «En cette période d’hivernage, les sachets plastiques sont presque introuvables. Ils sont emportés par les eaux de pluie ou ensevelis dans la boue. Quand ils sont trempés, les clients refusent de les acheter. C’est la période des vaches maigres pour nous», se plaint-elle. Aussi, est très élevé le risque de contracter des maladies comme les maux de dos, la toux, sans oublier les courbatures, ajoute-t-elle. Mais on n’a rien sans peine, paraphrase Djénéba comme pour se consoler.
Molobali Doumbia se présente comme la présidente de toutes les ramasseuses opérant sur les dépôts et décharges de Bamako. Elle opère depuis plus de dix ans au niveau du dépotoir de Badalabougou. Cette vieille, mère de cinq enfants dont un garçon, aide son mari en exerçant cet emploi afin de subvenir aux petites dépenses familiales. «Depuis 4 heures du matin, je sors de chez moi à Sabalibougou pour rentrer au-delà de 16 heures, sauf si la pluie m’en empêche. Excepté les vendredis, je viens tous les jours assembler les déchets plastiques et les bidons d’eau vide», explique-t-elle. Le commerce des bidons est moins rentable depuis l’avènement de la Covid-19. Les gens ont peur de venir s’en procurer, déplore la ramasseuse.
Concernant les déchets plastiques, des clients : une femme et deux hommes, viennent les acheter à raison de 100 Fcfa le kg. Molobali révèle vendre entre 20 à 25 kg par semaine en cette période d’hivernage. En saison sèche, elle peut vendre plus de 40 kg par semaine. « Face à la conjoncture actuelle, certaines d’entre nous se reconvertissent en ramasseuses de restes de nourritures. Elles les sèchent avant de les vendre aux marchands d’aliments bétail et aux pêcheurs. Ceux-ci les utilisent comme appâts pour ferrer les poissons. Le soleil se fait rare. Il est difficile de faire sécher les provisions», murmure-t-elle. Chaussée d’une paire de bottes arrivant au niveau des genoux, elle patine au milieu des mouches qui bourdonnent.
Comme elle, leurs clients profitent de cette activité. Sofiana est l’un des acheteurs chez Molobali Doumbia. Ce trentenaire confirme qu’il achète les déchets plastiques auprès de ces femmes pour les revendre aux Chinois disposant d’une usine de recyclage à Sotuba, en Commune II du District de Bamako. «Je loue deux Sotrama chaque semaine pour le transport des déchets plastiques. Je les revend à partir de 125 Fcfa voire 300 Fcfa le kg», indique-t-il.
Et précise que le prix du kg dépend de la qualité de la marchandise. Sofiana monnaie par semaine trente à quarante sacs de 100 kg remplis de déchets plastiques achetés auprès de ses clientes des dépotoirs de Badalabougou et de Lafiabougou. «Auparavant, j’avais des soucis même pour payer le prix de condiments. Tel n’est plus le cas aujourd’hui pour lui», se réjouit-il.
GRANDE CAPACITÉ- «Mama Plastico» est une usine de recyclage ou de valorisation des déchets, installée au quartier Sans-Fil. L’entreprise existe depuis 2004, rappelle son responsable Tony Dahdah. Sa structure travaille, selon lui, avec 2.000 femmes de Bamako et de l’intérieur. Un premier et un second tri a lieu après l’achat des sachets plastiques. «Ils seront amenés à la machine broyeuse après le lavage et le séchage. Ils sont ensuite transformés en granulés de plastique », précise l’industriel.
Les pilules sont mélangées à d’autres polyéthylènes et badigeonnés de colorants suivant des proportions bien déterminées. S’ensuit un processus qui aboutit à la production de gaines électriques et de bâches noires. Ces produits finis seront alors écoulés sur les marchés. Leur capacité de production dépasse les déchets plastiques fournis par Bamako, assure notre interlocuteur.
En effet, l’entreprise recycle dix tonnes de déchets plastiques par semaine dont deux jours de recyclage et deux jours de traitement. Elle emploie environ cinquante personnes divisées en quatre équipes : deux le matin et deux le soir. Elle achète le kg de déchets entre 200 à 300 Fcfa. «Une centaine de femmes viennent chaque jour avec des déchets plastiques. Nous partions vers elles au départ. Ce n’est plus le cas maintenant », relève Tony Dahdah. Il déclare rencontrer souvent des problèmes avec des femmes qui mettent des cailloux dans les sacs pour les alourdir.
Implantée à Sotuba, non loin du cimetière, une autre usine recycle les déchets plastiques pour en faire des baignoires, des seaux, des cuvettes, des brosses à laver les habits (Yirinin) et des kits de lavage des mains. Pour le chef personnel, Abdramane Sinayogo, les polyéthylènes (les plastiques élastiques tels que les sachets de sucre, les sachets noirs) sont recyclés au niveau de son usine. «Une seule personne peut nous fournir entre 200 à 500 kg par jour. Une trentaine de femmes nous fournissent par jour. Après vérification, les sachets sont mis dans les machines qui les transforment en pâtes, avant de les acheminer vers des moules pour la finition», explique-t-il.
Au Grand marché de Bamako, ces produits finis issus de ces déchets plastiques se vendent comme de petits pains. Rencontrée devant la boutique d’Ousmane Doumbia, vendeur de ces articles, la future mariée Aminata Traoré est venue se munir de baignoires, de «yirinin» et de seaux pour son futur foyer. «Ces ustensiles ont une longue durée de vie. Je m’en procure pour éviter de dépendre des voisines quand je serai chez moi», sourit-elle.
Interrogé, le commerçant Ousmane Doumbia explique que les prix varient de 5.000 à 12.500 Fcfa, selon les modèles et la taille des différents kits. «Je gagne bien ma vie grâce à cette activité, surtout en cette période de crise sanitaire. Je peux vendre plus de 40.000 Fcfa par jour», se réjouit-il, regrettant le fait que la maladie recule, faisant baisser l’affluence devant son commerce.
Source: Essor