Après quelques mois de contestation qui a conduit au renversement du régime IBK, le Mouvement du 5 juin–Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) s’estime lésé dans l’attribution des postes de responsabilités de la transition politique. C’est du moins ce que laissent entendre les responsables de son comité stratégique.
Vent debout contre la gestion du Président Ibrahim Boubacar Keïta, le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques a envahi la rue jusqu’à la chute de régime le mardi 18 aout 2020, à travers un coup d’Etat. Dans l’euphorie, sa mobilisation simultanée après l’arrestation des dignitaires a été magnifiée par la présence des militaires putschistes. A cette occasion, les émissaires de la junte ont annoncé avoir parachevé la lutte du M5-RFP à travers ce coup de force. Une manière de réconforter et de légitimer le mouvement contestataire. Ainsi, les responsables dudit mouvement se prenaient pour un allié privilégié et incontournable des nouvelles autorités militaires, sous l’appellation du Comité national pour le salut du peuple (Cnsp). Malheureusement pour le M5-RFP, cette victoire n’a été que de courte durée. Car, a-t-on constaté, au fil du temps, les signes et gestes du Cnsp ne présageaient pas les résultats escomptés. Marginalisé dans la prise des décisions, le M5 se sent méprisé par les militaires. Car, à l’heure du partage de gâteau qui ne dit pas son nom, Choguel Kokalla Maïga et les siens sortent bredouilles. Le M5 n’a non seulement obtenu le poste de Président de la transition, mais il a aussi perdu celui de Premier ministre. Une situation qui est assimilable à un désenchantement au sein du mouvement contestataire.
Méfiance : le torchon commencera par brûler entre le CNSP et le M5-RFP à partir de l’organisation des journées de concertation nationale pour définir la charte de la transition. A cette étape, un premier communiqué appelant les Maliens à ces assises a été fait par la junte, sans particulariser le M5 qui réclame la paternité de chute d’IBK. Le tir étant rectifié après le premier report, le M5 jugera très peu la quarantaine de cartes d’invitation à lui attribuées par le Cnsp. Cette situation a d’ailleurs créé une dissension interne au mouvement. Car, le clan Issa Kaou N’Djim, proche de l’autorité morale du mouvement, critiquait publiquement le président du M5, Choguel Kokalla Maïga, d’avoir procédé à une répartition disproportionnée desdites cartes.
Dans son schéma de conservation du pouvoir, le Cnsp avait floué tout le monde, y compris son allié logique, le M5, en gardant au secret la charte élaborée à l’issue de la concertation. Il a fallu la pression de l’organisation sous-régionale, la Cedeao, pour que ce document soit rendu public. Dès lors, la méfiance s’est installée entre le Cnsp et le peuple. Pour ne rien arranger, la junte a procédé à la mise en place d’un collège de désignation du Président de la Transition, sans le M5. C’est dans les conditions obscures que ce collège a été mis en place. Là aussi, les membres dudit collège n’ont pas pu se faire valoir. Car sans critère, elle a annoncé son choix porté sur le Colonel-major à la retraite Bah N’Daw. Le collège n’a fait que prendre acte de ce choix, tout en promettant de l’accompagner, a-t-on appris.
S’agissant du choix du Premier ministre, comme dans un jeu d’enfants, le Cnsp a fait semblant d’associer le M5-RFP. Le plus avertis et moins avides comme Choguel Kokalla Maïga, ayant compris le jeu, ont refusé de se donner en spectacle en envoyant des multitudes de CV. Car, ils savaient que la junte avait son agenda préétabli. La suite leur donnera raison. Car non seulement aucun des 14 CV envoyés n’a été retenu, mais aussi le Cnsp n’a trouvé personne de crédible au sein du M5 pour occuper la primature. Il a ainsi jeté son dévolu sur l’ancien ministre des Affaires étrangères d’ATT, Moctar Ouane.
Les plaintes du M5-RFP
Après sa marginalisation, Choguel Kokalla Maïga, responsable du M5-RFP, n’a pas caché son amertume face à la gestion oligarchique à laquelle s’adonne la junte. Après la désignation du Président Bah N’Daw le 21 septembre, le M5-RFP laisse croire une volonté de confiscation de sa victoire par les militaires. Car, rappelle Choguel K. Maïga, c’est le M5-RFP qui a commencé la lutte. Avant de prévenir le Cnsp qui devrait savoir que les Maliens n’aiment pas l’ingratitude. La personne qui a applaudi le pouvoir aujourd’hui est la même personne qui se retourne contre lui, quand il constate qu’il y a eu ingratitude et trahison, a-t-il déclaré. Même s’il reconnait que son organisation a été prise en contrepied par le Cnsp, Choguel Maïga affirme reconnaitre la qualité du Président nommé. Toutefois, regrette-t-il, la méthode par laquelle le choix a été fait n’est pas bonne.
« Nous avons entendu dans un communiqué lu sur les antennes de l’Ortm que le collège qui a désigné le président et le vice-président de la transition aurait en son sein deux représentants du M5 RFP. Ça ne correspond pas à la vérité. Le M5-RFP n’a pas siégé au sein du collège. Le M5 RFP a été saisi par écrit, par le président du CNSP, pour demander de designer deux représentants qui devraient siéger au sein du collège qui, à son tour, devait choisir le président et le vice-président de la transition. En retour, le M5-RFP a adressé un courrier au CNSP pour lui demander de lui donner un certain nombre d’informations, en l’occurrence la composition du collège, la qualité de ceux qui y participent, la clé de répartition, les critères de désignation du président et du vice-président », a-t-il expliqué.
Aussi, poursuivra Choguel Maïga, le M5-RFP a demandé au CNSP de lui communiquer la version finale consolidée issue des travaux qui se sont passés entre les experts du M5-RFP et ceux du Cnsp. ‘’En réponse à votre courrier cité en référence, je vous informe que le Comité stratégique du M5-RFP se réjouit de l’aimable invitation qui lui a été adressée pour participer au Collège de désignation du président et du vice-président de transition le lundi 21 septembre 2020. Toutefois, le Comité stratégique du M5-RFP souhaite, préalablement à sa participation audit collège, avoir par écrit de la part du Cnsp, des précisions sur son mode de fonctionnement, sa composition, les conditions de réception des candidatures et de désignation du président et du vice-président de transition. Au besoin, le Comité stratégique du M5-RFP est disposé à participer à une réunion d’urgence pour harmoniser nos positions. Aussi, le Comité stratégique du M5-RFP souhaite avoir les versions finales consolidées issue des travaux qui se sont passés entre les experts du M5-RFP et ceux du Cnsp. Mais cette requête est restée sans suite. Nous avons constaté avec regret que tout ce qui avait été convenu et acté entre les deux délégations il y a deux jours a été purement et simplement biffé », s’est-t-il plaint. Pour lui, Mahmoud Dicko a invité a été invité au sein du collège comme personne ressource.
L’amertume de Cheick Oumar Sissoko
Dans l’une de ses récentes sorties médiatiques, le patron de EMK, Cheick Oumar Sissoko, membre du comité stratégique du M5-RFP, a exprimé son désenchantement. De son point de vue, le M5-RFP a été driblé par le Cnsp. Il s’est finalement retrouvé « laissé au bord du quai ». Car, explique-t-il dans les colonnes de nos confrères de l’Indépendant, « le partenariat que nous avons mis en place a été conclu en ces deux points. Nous prenons la présidence de la Transition, vous prenez la primature …». Mais pour des raisons encore inavouées, le M5-RFP s’est vu coiffé au poteau. Acclamé hier par le M5 après la chute d’IBK, le Cnsp est aujourd’hui vomi par une grande partie du mouvement contestataire.
Oumar KONATE
Source: La Preuve