Sur une prévision initiale de 810.000 hectares, moins de 200.000 sont consacrés au coton cette année. Pour le géant de l’Or blanc, le manque à gagner peut être estimé à plusieurs dizaines de milliards de Fcfa
L’Essor : Monsieur le Président directeur général, pouvez-vous nous édifier sur les causes du malentendu qui a abouti au refus de nombreux paysans de cultiver le coton ?
Pr Baba Berthé : Il y a eu un élément déclencheur pour que nous assistions au boycott massif de la culture du coton. Tout est parti de deux évènements. L’un qui était un peu antérieur à l’avènement de la Covid-19. Il s’agit de la guerre commerciale que se livre la Chine et les États-Unis d’Amérique. Cette guerre avait tiré les cours mondiaux du coton vers le bas de sorte que déjà à la fin de l’année 2019, nous avions assisté à une contraction des cours mondiaux.
Lorsque la maladie à coronavirus a fait son apparition, cela a eu une incidence sur le niveau de la demande. Car, la pandémie a occasionné la fermeture des unités industrielles de textiles, de filatures, les unités de tissage, d’impression principalement dans les pays asiatiques. Or, la première destination du coton du Mali ce sont les pays asiatiques dont les usines ont fermé. Corrélativement puisque le coton n’est pas consommé, il y avait des stockages. Les ports aussi ont fini par fermer, donc l’offre et la demande n’avaient pas de cohérence de sorte que les cours ont baissé. Le coton a perdu au moins le tiers de sa valeur sur le marché mondial.
Ce que nous pouvons signaler à ce niveau, c’est que, ce que la CMDT ne gagne pas comme ressource de commercialisation de la fibre de coton sur le marché mondial, elle ne peut pas donner aux producteurs. La CMDT paie le coton à partir des ressources générées par la commercialisation de la fibre et si le cours baisse, cela veut dire que les ressources de la CMDT baissent et la CMDT n’a pas le choix que de venir expliquer aux producteurs voilà le niveau des cours mondiaux.
Ce n’est pas la CMDT qui détermine le prix, c’est une commission prix de l’Interprofession du coton présidée par les producteurs qui fixe le prix d’achat de base du coton graine à partir des éléments qui sont donnés à savoir les ventes, les cours et les tendances des cours. Cette commission prix de l’Interprofession du coton a déterminé le prix à 200 Fcfa. Mais, parallèlement, il se trouve que depuis quatre campagnes, il y avait quelques difficultés de remboursement de la subvention des engrais. L’état depuis la campagne 2009 – 2010 avait décidé aussi de subventionner les engrais du système coton et depuis quatre ans, l’état éprouve quelques difficultés à rembourser à la CMDT l’équivalent de la subvention des engrais.
Au regard de ces difficultés, les acteurs de la filière à savoir les producteurs, la CMDT, l’OHVN se sont mis d’accord pour transférer la subvention de l’engrais au coton graine. C’est-à-dire le prix d’achat du coton graine plus le bonus. Le niveau du bonus dépend de la somme que l’état met à la disposition des cotonculteurs pour subventionner la filière.
Le montant qui était indiqué dans le plan de campagne pour appuyer les cotonculteurs, ce montant était de dix milliards qui, rapportés sur une production de 700 000 tonnes, donnaient environ 15 Fcfa/kg. Ce bonus a été ajouté au prix du coton pour donner 215 Fcfa/kg. La subvention étant transférée sur le prix d’achat du coton, alors les engrais devraient être cédés à leur prix coûtant.
Quand les paysans ont vu cela, premièrement, ils ont fait une comparaison par rapport à ce qu’ils ont gagné l’année dernière pour la campagne précédente 2019-2020. Ils avaient reçu par kilo 275 Fcfa. Parallèlement, l’engrais leur a été cédé à 11.000 Fcfa. Cette année, ils se disent qu’ils vont recevoir pour chaque kg de graine vendu 200 Fcfa plus 15 Fcfa correspondant à la subvention de l’état. Cela fait 215 Fcfa mais corrélativement, l’engrais leur serait cédé à son prix coûtant.
C’est là que ça a commencé à grincer. Deuxièmement, ils ont vu qu’au Burkina Faso, il y a eu un prix de base fixé à 240 Fcfa et parallèlement, l’engrais était cédé aux producteurs burkinabé à 14.000 Fcfa contre un peu plus de 18.400 Fcfa dans notre cas pour le complexe et quelque 16.000 Fcfa l’urée. Ils ont dit qu’habituellement, les conditions du producteur malien sont plus favorables que celles du burkinabé et donc ils ont dit qu’ils ne feront pas de coton parce qu’ils ne gagnent pas.
Nous avons organisé des campagnes de sensibilisation à travers la zone cotonnière. Par la suite, l’état a fait un effort à partir du 7 juin 2020. Les réactions des producteurs qui allaient dans le sens de l’amélioration du prix d’achat du coton et des efforts à faire pour baisser le prix de cession des intrants ont été consignées dans un rapport qui a été transmis au gouvernement. Ils ont demandé un effort supplémentaire à l’état, estimant que leur revenu est négativement impacté par les conséquences de la Covid-19.
C’est à la suite de ce rapport que le gouvernement a accepté ce bonus. Ainsi, le prix d’achat du coton graine est passé de 215 Fcfa/kg à 250 Fcfa/kg. Malgré cet effort, il y a eu quelques contradictions entre les producteurs. D’autres ont dit qu’ils feront du coton pendant que d’autres ont indiqué qu’ils ne le feront pas pour des raisons internes aux coopératives. Voilà comment ils ont décidé de boycotter le coton.
La deuxième explication qu’il faut ajouter est que quand bien même on a réuni toutes les conditions pour que les producteurs aillent faire du coton, les pluies se sont arrêtées. Dans la zone cotonnière, il n’y a pas eu de pluie entre le 15 juin et le 7 juillet 2020. Quand vous demandez à des producteurs de Koutiala, de Sikasso, de Fana de semer du coton au delà du 30 juin, ils estiment que c’est un gros risque. Ils risquent de ne pas couvrir les charges d’exploitations. Cela explique en plus en grande partie cette contre performance de la campagne en cours.
À ces points évoqués cités plus haut s’ajoutent l’influence des élections législatives et le mouvement de renouvellement des organes des sociétés coopératives qui ont aussi fait que nous sommes à un niveau de réalisation très faible cette année.
L’Essor : à combien peut-on estimer la baisse de la production cotonnière et le manque à gagner pour la CMDT ?
Pr Baba Berthé : C’est une année catastrophique. Sur une prévision initiale de 810.000 ha, nous sommes à moins de 200.000 ha. Pour le manque à gagner, vous me poser une colle, car les cours du coton fluctuent sur le marché mondial. Je ne peux pas vous le dire à l’heure actuelle d’autant plus que nous avons une partie importante du coton dans nos usines. Le manque à gagner peut être estimé à plusieurs dizaines de milliards de Fcfa.
L’Essor : Le refus de certains paysans de cultiver le coton n’est pas le seul problème. Il y a aussi la crise sanitaire liée à la Covid-19. Quel est son impact sur la CMDT et plus généralement sur le secteur coton ?
Pr Baba Berthé : La baisse de la production cotonnière touche plusieurs secteurs de l’économie nationale. La fibre de coton vendue sur le marché mondial est une source importante d’entrée de devises. Une baisse importante sera notée à ce niveau. Quant à la CMDT, l’effet combiné de la pandémie de Covid-19 et de la baisse de la production cotonnière a durement affecté sa trésorerie. Les revenus de la société vont considérablement baisser, ce qui affectera sa capacité d’investissement. Il y a des charges non compressives, il faut les assurer et notre production ne permet pas de couvrir ces charges. Cela veut dire qu’il faut s’attendre à des problèmes.
également, nous allons nous retrouver avec un niveau de stocks record impressionnant. C’est un niveau inédit. On avait fait des commandes d’intrants pour une superficie de plus de 800.000 ha et nous avons réalisé moins de 200.000 ha. Cela veut dire que nous avons le reste des intrants dans les magasins, il faudra payer ou il faudrait poursuivre les échanges avec les partenaires pour faire face aux échéances qui sont là.
Un autre problème est la difficulté à vendre le coton ou quand on le vend, on le vend à perte. Car nous avons un seuil de rentabilité qu’il est difficile de dépasser en ce moment, les cours ne le permettent pas. Mais parallèlement en face il y a des dépenses. Cet aspect est davantage aggravé par le fait que même quand nous parvenons à vendre, les traders n’embarquent pas parce que le consommateur final lui n’est pas prêt. En plus, il y a l’action des gouvernements de quelques pays tels que l’Inde, le Brésil. Le premier concurrent, c’est le Brésil.
Il fait du coton mais transforme une faible quantité. L’Inde aussi fait du coton mais ce coton avec le coronavirus a été racheté par l’état indien qui le remet sur le marché mondial avec un prix qui revient à 120 à 140 fois moins cher que le coton africain à qualité équivalente. Ce sont des aspects qui font que nous sommes en difficulté. Ce n’est pas seulement le Mali mais tous les pays producteurs du coton en Afrique qui font face à la même difficulté. Notre situation est très grave. Mais avec le concours de tous les acteurs, de tous les partenaires de la filière, je pense qu’on peut rapidement remonter la pente.
Par ailleurs, la baisse de la production des cultures se fera sentir au niveau du personnel saisonnier de la CMDT, des producteurs de coton, des niveaux des fournisseurs d’intrants agricoles, des opérateurs des produits pétroliers. Plusieurs dizaines d’usines sont installées pour la trituration de la graine de coton. La baisse de la quantité de la graine de coton induira une baisse de l’huile et d’aliment bétail produits au Mali. Pour satisfaire les besoins du pays, l’importation de ces produits deviendra obligatoire. Aussi, le chômage d’une partie des travailleurs de ce secteur sera inévitable.
L’Essor : Quelles mesures urgentes proposez-vous aux autorités pour permettre de maintenir les exploitations agricoles en position de travail afin qu’ils puissent cultiver l’année prochaine ?
Pr Baba Berthé : Les travaux préparatoires de la nouvelle campagne agricole ont commencé. Divers scénarii sont esquissés en vue de la relance de la culture du coton dans un contexte où les cours mondiaux sont encore faibles. Ces scénarii, élaborés par la direction générale de la CMDT et soumis aux autres acteurs, sont en cours d’examen. De même, un plan de communication tendant à remobiliser les acteurs autour de nos stratégies et objectifs de production et de commercialisation sera adopté.
L’Essor : Est-il besoin d’augmenter la capacité d’égrainage de la CMDT ? Si oui, comment comptez-vous vous y prendre ?
Pr Baba Berthé : Absolument. Il est bien que la CMDT travaille pour augmenter sa capacité d’égrainage. Nous projetons d’aller loin principalement pour la filiale de Kita vers laquelle un nombre massif de producteurs se déplacent. Dans les prochaines années, il faut absolument avancer très vite pour permettre à Kita de faire face à la production qui est là. Il y a une usine avec une capacité nominale de 50.000 tonnes. L’an dernier, nous étions à plus de 80.000 tonnes. Il y a une partie du coton de Kita que nous avons transférée vers les usines de Bamako et de Ouélessébougou. Alors pour ne pas nous retrouver en face de ces contraintes logistiques, il est bien que nous allions très vite vers la réalisation d’une deuxième usine à Kita peut-être même une troisième parce qu’à Kita ça va aller très vite.
Également, dans les anciens bassins de production, il y a un bon nombre d’unités industrielles qui sont aujourd’hui obsolètes. Ce sont des usines de première génération dont le fonctionnement pose énormément de problèmes. Il y a besoin de les remplacer progressivement. Il ne s’agit pas de les arrêter tout de suite mais par une programmation, il va falloir aller vers l’implantation de nouvelles unités plus modernes.
L’Essor : Avez vous un dernier mot ?
Pr Baba Berthé : Je salue tout le personnel de la CMDT, de l’OHVN. Je salue aussi les producteurs et leur dire que rien ne doit nous opposer et rien ne nous oppose. La CMDT n’a rien à refuser aux producteurs. L’état du Mali aussi n’a rien à leur refuser. Quand on se parle, il y a de forte chance qu’on comprenne les contraintes des uns et des autres.
Je souhaiterais que le personnel de la CMDT, de l’OHVN et les producteurs comprennent que l’état aussi peut avoir momentanément des difficultés comme c’est le cas actuellement. Lorsqu’elles ne sont pas connues, elles peuvent déboucher sur des blocages. Je pense que ce sont les conséquences d’une incompréhension que nous avons connues pendant la campagne malheureusement les pluies n’attendent pas.
Propos recueillis par
Aminata Dindi SISSOKO
Source : L’ESSOR