Le marché de ce matériau, essentiel dans les bâtiments et les travaux publics, est loin d’être réglementé. Importateurs et revendeurs appliquent les prix comme bon leur semble. Toutes les astuces sont bonnes pour écouler la machandise et faire le maximum de profits.
Le ciment est un produit très prisé au Mali, un pays constamment en chantier. Ce produit est utilisé dans la construction des bâtiments, des briques, des dalles, du béton et dans d’autres travaux. Dans notre pays, le marché du ciment a enregistré une croissance de 5% en 2019, la production atteignant près de trois millions de tonnes.
De nos jours, la forte augmentation de la production locale est devenue une réalité. En effet, de 750.000 tonnes en 2018, l’industrie malienne du ciment a injecté sur le marché 1.135.000 tonnes en 2019, soit une croissance de 51%.
Face à la croissance de la production locale, les trois cimenteries sénégalaises (Ciments du Sahel, Soccocim et Dangote), principaux fournisseurs du marché de notre pays, ont globalement vu leurs ventes chuter de 13% : de 1.900.000 tonnes en 2018 à 1.660.000 tonnes en 2019.
À l’inverse, la production locale a porté sa part de marché à 41% contre seulement 28% en 2018. Trois sociétés de production sont présentes sur le marché. La plus ancienne est Diamond Cement, avec deux sites de production à Gagontéry, dans le Cercle de Bafoulabé (Région de Kayes) et à Dio, dans le Cercle de Kati (Région de Koulikoro).
À la quincaillerie Zoulka’ada, sise à Sébénicoro en Commune IV du District, le commerçant Ayouba Traoré nous a expliqué que le ciment local est livré au grossiste au prix de 87.000 Fcfa la tonne contre 90.000 Fcfa pour les détaillants. Le sac coûte 4.500 Fcfa l’unité. Ce chef de famille affirme vendre uniquement du ciment “Made in Mali” (frabriqué au Mali) de qualité CIMAF qui est le plus sollicité sur le marché par les constructeurs. Le commerçant a ajouté qu’il y a six mois, le prix du ciment au détail était fixé à 125.000 Fcfa la tonne contre 100.000 Fcfa pour la vente en gros dont l’unité était vendue à 5.500 Fcfa.
Par ailleurs, interrogé sur la cherté du ciment malien comparé aux marchés des pays voisins, Ayouba Traoré a simplement dit ignorer la raison de cette situation.
Notre équipe de reportage s’est rendue à la quincaillerie de Modibo Keïta qui s’impose aussi comme un spécialiste dans la vente du ciment en provenance du Sénégal et du ciment local. Pour lui, le prix des différentes qualités de ciment varient souvent. « Ce qu’on produit chez nous coûte plus cher mais il arrive aussi des moments où le ciment importé est plus cher. En tant que revendeur, il nous est difficile d’expliquer cela mais, on arrive à vendre les deux qualités.
C’est l’essentiel mais, je pense que la cherté du prix se situe au niveau de nos usines », a dit Modibo Keïta, le propriétaire de la boutique de ciment. D’après lui, le ciment sénégalais s’écoule souvent plus que le nôtre, pour sa qualité car, certaines personnes disent que le ciment sénégalais contient plus de colle que le nôtre.
« Il y a une différence de 2.500 Fcfa entre les deux qualités de ciment. Le prix de la tonne du ciment malien est de 87.500 et 90.000 Fcfa pour le ciment sénégalais. Chez lui, le sac de ciment malien coûte 4.425 Fcfa contre 4.500 Fcfa pour le sac de ciment en provenance du Sénégal. Pour lui, tout dépend de l’efficacité de la stratégie de la vente et les prix ne sont pas standards, chacun vendant ses produits à sa guise.
PAS DE PRIX FIXE-Modibo Diakité, un revendeur de ciment, nous raconte son expérience en ces termes : « Il nous arrive des fois d’acheter le ciment du Sénégal à un prix inférieur à celui du Mali. Pour le Mali, il faut débourser 87.500 pour avoir le ciment CIMAF alors que celui du Sénégal nous revient à 86.000 Fcfa. Si on y ajoute les frais de déchargement du camion qui s’élèvent à 500 Fcfa, nous nous retrouvons avec une somme de 86.500 Fcfa. Nous avons du mal à expliquer cette hausse de prix», dira-t-il aussi.
Selon Modibo Diakité, souvent le ciment malien baisse jusqu’à hauteur de 85.000 Fcfa si c’est la marque Diamond. Par contre, il assure que pour le ciment sénégalais, le prix varie entre 86.500 et 87.500 Fcfa. Notre interlocuteur soutient qu’il cède le sac de ciment du Sénégal à 4.750 Fcfa contre 4.500 Fcfa pour celui du Mali, sans pour autant expliquer clairement cette différence. « En temps de crise, s’il y a une rupture de stock, les deux différentes qualités de ciment seront livrées au même prix allant de 95.000 à 100.000 Fcfa.
À son avis, il n’y a pas de prix fixe et chaque commerçant évalue sa marchandise en fonction de sa
provenance. Les deux qualités de ciments, surtout la qualité CMM provenant de chez nous, sont achetées par les clients maliens pour sa proximité avec celle du ciment sénégalais dont le prix est de 87.500 Fcfa pour la vente en gros.
« Je me ravitaille surtout à la quincaillerie Zoulca’ada et Bon prix car, ils vendent moins chers que plusieurs autres fournisseurs», déclare ce père de trois enfants qui explique avoir trois qualités de ciment malien (CIMAF, CMM, DIAMOND) et trois qualités sénégalaises (DIANGOTE, SAHEL, Soccocim). Parmi toutes ces marques, ce commerçant estime que le CIMAF, tout comme le ciment SAHEL, est convoité par les Maliens, même quand le prix de la tonne grimpe.
Par contre, chez Lassana Camara, propriétaire de la quincaillerie Bon prix, le prix d’une tonne du ciment malien s’élève à 79.500 Fcfa sans marchandage car, il trouve que chez lui, la marchandise est beaucoup moins chère que chez beaucoup d’autres. Précisons que ce chef de famille, qui exerce ce métier depuis 5 à 6 ans, ne vend que du ciment local. S’agissant du marché, cet opérateur économique estime qu’il ne peut rien dire sur la cherté du prix du ciment importé mais, en ce qui concerne le ciment de chez nous, le prix est abordable sauf en cas de rupture.
Cependant, un responsable d’une grande structure de ciment qui a voulu garder l’anonymat faute d’autorisation de sa hiérarchie, attribue la hausse du prix du ciment local à une anomalie dans le processus. «Il y a malheureusement des pratiques immorales qui découragent certaines couches sociales, notamment les jeunes. Le plus souvent, les déclarations au niveau des frontières sont mal faites à cause des surévaluations ou des sous-estimations. Cette situation favorise surtout tout importateur qui dispose donc d’une marge de manœuvre pour vendre son produit moins cher », revèle-t-il.
Cet importateur nous relate que quand quelqu’un importe 60 tonnes de ciment du Sénégal, une fois arrivé à la frontière, il doit le déclarer à la douane. Et la personne peut évaluer sa marchandise à moins de 60 tonnes dans le but de dissimuler le vrai poids afin de diminuer la taxe à payer. Du coup, elle se retrouvera en face « des industriels locaux qui, pourtant, offrent sur le marché un produit fini conformément à la législation nationale en vigueur. Mais, il a attiré notre attention sur le fait que ce produit importé devient plus compétitif que celui qui a été importé.
Autre raison avancée par notre interlocuteur : les exonérations. « Il y a beaucoup de gens qui extrapolent les exonérations en ces termes : « L’exonération sur une marchandise de 1.000 tonnes peut être établie sur la base de 1.500 tonnes. De ce fait, il ne payera pas de taxes pour le supplément, c’est-à-dire les 500 tonnes de plus. Ce sont ces pratiques qui sont à la base des problèmes de compétitivité entre les importateurs et les locaux. Et les producteurs locaux se sentiront plus lésés que les importateurs», précise-t-il.
Fadi Cissé
Source: L’Essor- Mali