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Mamadou Mohamed Coulibaly : «Il nous faut un état fondé sur les dimensions réelles de la société malienne»

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Bien plus qu’une simple révision de la loi fondamentale, les autorités de la Transition proposent un nouveau contrat social qui prendra en compte toute la diversité de la Nation. C’est ce qu’explique le ministre de la Refondation de l’état, chargé des Relations avec les Institutions dans cette interview

L’Essor : La Refondation de l’état est l’une des grandes missions assignées à la Transition. Quelle lecture faites-vous du concept «refonder l’état » et pourquoi notre pays en a réellement besoin ?

Mamadou Mohamed Coulibaly : Au-delà des concepts et définitions théoriques, la refondation est le métier de la Transition. Cette Transition, c’est pour refonder l’état. Le pays sort d’une longue crise multidimensionnelle et on a vu que les reformes courantes n’ont pas pu résoudre les problèmes qui étaient posés. Il faut donc revoir les choses en profondeur. Vous savez bien que cette Transition fait suite à un mouvement social, dont la demande était effectivement de refonder l’état. Mais le concept refonder l’état existe dans notre environnement politique depuis un certain temps.

Il y a eu des groupements politiques qui se sont baptisés acteurs de la refondation. C’est dire qu’on a senti qu’il fallait totalement reconstruire l’état qui a failli en 2012. Maintenant, dans un premier temps, il nous appartient de rétablir la confiance du Malien aux institutions. Il faut restaurer l’autorité de l’état. Et pour cela, il faut que l’état soit présent sur l’ensemble du territoire, que les services sociaux de base soient rétablis dans les endroits où ils sont interrompus et que l’administration soit présente partout. Nous avons également les problèmes de paix et de sécurité.

Il faut reconstruire également le tissu social. Voilà un certain nombre de situations qui rentrent dans notre dictionnaire de la refondation. Donc, il va falloir certainement restructurer, réviser, relire. Le chantier de la refondation touche un peu tous les secteurs. Je pense qu’il est nécessaire et qu’il y va de l’avenir de cette Nation qui a été menacée dans ses fondements.

L’Essor : Pensez-vous que 18 mois suffiront pour mener à terme un tel chantier ? Si non quelles seront vos priorités ?

Mamadou Mohamed Coulibaly : Ce n’est pas au ministre de la Refondation de l’état de dire tout le contenu de la refondation, parce qu’il faut écouter d’abord les Maliens qui ont demandé cette refondation. Nous, nous avons pour tâche d’abord de procéder à l’écoute pour que l’on puisse avoir une vision partagée de ce qu’il y a à refonder. Et en fonction de cela, vont se déterminer toutes les actions.

Le gouvernement s’est déjà doté d’un Programme d’actions gouvernemental qui définit des orientations bien précises, des lignes d’actions dans lesquelles nous devons nous inscrire. Vous savez que la Transition a ses instruments : une Charte, une feuille de route, des organes de la Transition qui ont été mis en place et le dernier, qui est le Conseil national de la Transition, ne saurait tarder. Tout cet ensemble doit fonctionner pour aboutir, au sortir de la Transition, à un état refondé.

C’est-à-dire que la Transition devra assurer, sur la base de textes nouveaux, des élections qui puissent donner les nouvelles institutions de la République conformément au dispositif normatif que nous aurons. Nous avons une nouvelle Constitution à élaborer, une loi électorale à refaire et nous avons aussi à redéfinir les règles du jeu politique. Ce sont là les grandes priorités pour la Transition. Ce qui va nous permettre de passer le témoin aux nouvelles institutions d’un Mali nouveau, du « Mali Kura ».

L’Essor : Depuis un peu plus d’un mois que vous êtes à la tête du département commis à cette tâche, avez-vous déjà entrepris des actions ?

Mamadou Mohamed Coulibaly : Bien sûr qu’on a commencé déjà à baliser le champ de la réflexion. Et comme je vous l’ai dit, notre action doit s’inscrire dans le cadre du Programme d’actions gouvernemental, mais aussi de la lettre de mission du Premier ministre qui détermine quelles sont nos attributions spécifiques. D’ailleurs ce week-end, nous avons organisé au sein du département un séminaire pour l’élaboration de notre programme d’activités. Cependant, il y a des chantiers déjà ouverts. On sait que le Mali fait face à des questions de souveraineté. Nous avons le problème de l’intégrité territoriale et celui de la sécurité nationale qui se posent.

Il nous faut travailler en même temps à améliorer la gouvernance. Déjà, on est dans la démarche de la décentralisation, également de la déconcentration pour une régionalisation qui va nécessairement amener les questions de réorganisation territoriale, de redécoupage administratif. Il faudra certainement revoir également le découpage électoral lui-même, avant d’arriver au processus référendaire et électoral. Voilà un peu la dynamique dans laquelle nous nous inscrivons actuellement.

L’Essor : Parlant de vos activités, on vous a vu dans certaines structures pour des visites. Est-ce une façon de remobiliser la troupe pour aller vite et engranger rapidement des résultats ?

Mamadou Mohamed Coulibaly : Effectivement, depuis notre prise de fonction nous avons été sur le terrain. C’est une démarche qui s’inscrit dans le cadre de l’écoute, parce qu’il est important de comprendre d’abord ce qu’attendent les populations. Nous sommes allés voir des leaders d’opinion et les différentes personnalités qui en savent sur l’état et ses rôles, sur ce qui a été fait jusqu’ici pour nous en inspirer, pour prendre conseil afin de mieux appréhender toute l’envergure de la question de la refondation de l’état.

Nous avons été voir également les légitimités traditionnelles, dont la définition du statut reste pendante depuis un certain temps. Il est important qu’elles prennent leur part dans l’action publique, dans la gestion de la chose publique. Nous voulons avoir une démarche participative.

La refondation ne peut pas être le travail d’un seul cabinet et ni du seul gouvernement, ce sont toutes les populations maliennes qui doivent y participer. Donc, nous avons écouté tout ce monde pour que la définition que nous aurons des nouvelles normes, de la Loi fondamentale, puisse prendre tout le monde en compte. Nous n’oublierons pas la diaspora qui a beaucoup contribué d’ailleurs aux luttes citoyennes.

Le nouveau projet doit prendre en compte toute la diversité de la Nation, il doit répondre aux besoins d’inclusion des populations maliennes souvent en marge à cause de la langue étrangère que l’état utilise. C’est dire qu’il y a une dimension linguistique dans les transformations que nous projetons de faire. Et bien entendu, il va aussi falloir poser des actes concrets que les populations pourront apprécier dans l’effort d’amélioration de la gouvernance. Donc, il faudra lutter contre l’impunité, l’injustice et toutes les pratiques de corruption qui sont à la base de toutes les difficultés que nous connaissons aujourd’hui dans notre société. Tout cela marque notre volonté de faire du processus, un processus participatif avec la confiance retrouvée du citoyen en l’état.

L’Essor : Les reformes politiques et institutionnelles sont très souvent sujets à polémique dans notre pays, obligeant parfois les gouvernants à renoncer aux initiatives. Quelle sera la particularité de votre démarche pour éviter d’éventuels blocages?

Mamadou Mohamed Coulibaly : Il faudra que nous sortions du conformisme, des sentiers battus, du mimétisme. Il nous faut réinterroger l’essence même de nos institutions. Donc, nous allons écouter les uns et les autres, ce n’est pas pour reprendre ce qui a été déjà fait, mais surtout aller sur la réalité profonde du pays. Nous allons nous baser sur les valeurs sociétales maliennes qui sous-tendent notre société et les rapports entre les individus. Fondamentalement, nous pensons que la refondation aura une dimension de refondation des savoirs. Nous avons des savoirs endogènes, une vieille civilisation qui a ses traditions et qui ont montré leur efficacité dans l’histoire.

Ce sont des choses que nous avons mises de côté alors qu’elles sont le reflet de l’être réel chez nous. Donc, il ne s’agira pas de refaire ce que les autres ont fait. Il s’agit réellement d’un processus novateur, faire en sorte que la Nation malienne soit le reflet de son héritage historique et identitaire, que l’état nous ressemble. Il ne s’agira pas de faire un état qui soit étranger aux populations, mais un état fondé sur les dimensions réelles de la société malienne. C’est cela qui nous permettra de ne pas reprendre simplement ce que les autres ont fait, mais d’aller au-delà. Il ne s’agit pas de faire une révision constitutionnelle, mais de sceller un nouveau contrat social.

Ce travail d’écoute se fera également sur la base des acquis du passé. Des efforts ont été faits dans le cadre de la révision et de l’adaptation de la Constitution, dans le cadre du Dialogue national inclusif. Il y a aussi l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger. Tous ces éléments seront pris en compte pour pouvoir donner au peuple malien les réponses qu’il attend dans la définition du nouveau contrat social.

L’Essor : Nombre d’observateurs estiment que les tares de nos institutions ne résident pas que dans les textes, mais aussi et surtout dans la qualité de ceux qui les animent. Partagez-vous cet avis et qu’envisagez-vous pour impulser un changement de mentalité ?

Mamadou Mohamed Coulibaly : C’est vrai que le comportement des gouvernants est pour quelque chose dans la faillite des institutions. Mais ces gouvernants ne tombent pas du ciel, ils sont les membres de la société. En réalité, le problème se pose à la société malienne elle-même, dans son fonctionnement. C’est pour cela que la refondation aura fondamentalement une autre dimension, celle de la citoyenneté. Cela va interpeller l’esprit civique des citoyens et les questions de la famille. Ce n’est pas que l’état seul qui n’a pas d’autorité. L’autorité parentale a été aussi remise en cause.

C’est un débat qui existe depuis les années 80. Il va falloir également réfléchir à trouver les voies et moyens pour faire en sorte que les mauvaises pratiques soient abandonnées. Et bien entendu, ça va demander que les gouvernants qui ont la volonté de ce changement puissent donner le bon exemple dans un premier temps. Et qu’ils puissent, dans un second temps, amener les citoyens à mieux jouer leurs rôles dans le contrôle des institutions.

Le contrôle citoyen doit être effectif pour éviter les dérives et les dérapages. Nous veillerons à ce que cette démarche soit suivie pour que les populations s’impliquent et pour que nous puissions davantage faire beaucoup plus de prévention que de répression. Ne pas permettre à la faute d’être commise. Il faudra mettre des garde-fous. Cela est une volonté des plus hautes autorités de la Transition.

L’Essor : Concrètement qu’est-ce qui peut être envisagé pour éviter les dérives ?

Mamadou Mohamed Coulibaly : Ce qui retient le plus l’attention, c’est l’abus des deniers publics, les phénomènes de corruption, d’enrichissement illicite. Mais ces dérives se pratiquent certainement à cause du fait qu’il y a un manque de vigilance quelque part, soit dans les textes, soit dans l’exercice du contrôle qui doit prévenir cela. Il y a des structures de contrôle. Il faudra renforcer le travail en amont et voir les situations qui peuvent occasionner les dérives. Nous, nous aurons à cœur et à tâche de renforcer la modernisation du service de l’état. Ceci va nous amener sur le champ du numérique.

Nous savons bien qu’avec l’outil numérique, nous sommes en mesure d’assurer beaucoup plus de fiabilité à nos actions et d’assurer plus la transparence de ces actions. Donc, de moins permettre les situations qui génèrent généralement les faits de corruption. Si vous avez moins de contact entre l’agent et l’usager, vous avez beaucoup moins de chance que s’établissent les liens qui conduisent au phénomène de la corruption.

L’Essor : Aujourd’hui, la situation sociopolitique, marquée par les difficultés dans la mise en place du CNT et les grèves, ne réduit-elle pas vos chances de réussir votre mission dans le délai imparti ?

Mamadou Mohamed Coulibaly : La Transition ne sera jamais un fleuve tranquille qui coule. Il y aura toujours des éléments d’agitation. Quand les gens revendiquent, cela est un droit qui leur est reconnu. Mais on peut se poser parfois des questions sur le moment. Nous avons constaté que le pays était en mal. Nous sommes en train d’essayer de comprendre comment pouvoir apporter des réponses pour corriger les défaillances au niveau de l’état. Peut-être que le moment n’est pas bien choisi que le front social se mette en ébullition, parce que cette situation nous empêche de travailler à répondre à la demande justement, et à mettre en place les solutions qui vont satisfaire leurs demandes.

Nous ne faisons que commencer et on nous présente des doléances. Certes l’état est une continuité, mais la Transition est une situation exceptionnelle. Il faudra plutôt que tous les acteurs aident le gouvernement de Transition à pouvoir ensemble déterminer les voies de solutions qui s’imposent aujourd’hui. Tout le monde a le droit de réclamer. L’état a des moyens limités. Mais, il faudra que nous nous écoutions et que nous allions raisonnablement vers des solutions pérennes. Il ne s’agit pas de satisfaire des besoins d’aujourd’hui et se retrouver demain dans de plus graves problèmes, parce qu’on y a pas pensé.

Donc, devant cette pression, nous appelons les partenaires sociaux à la raison, à plus de modération et à faire en sorte que ce partenariat d’écoute puisse exister pour qu’ensemble nous trouvions les solutions. Il n’y a pas de solution toute faite qui était là et que des gouvernants anciens refusaient de pratiquer. Non ! On est dans la recherche permanente de solutions.

Je dirais aux populations maliennes de faire confiance aux autorités de la Transition. Il faut que les gens fassent confiance aux autorités de la Transition qui sont en train de mettre en place l’organisation nécessaire pour sortir le pays de ces dérives du passé, pour rebâtir l’avenir sur des bases légitimes et sur la base de la vertu.

Propos recueillis par
Issa Dembélé

Source : L’ESSOR

 

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