Réélu avec 57,87 % des suffrages selon les résultats provisoires, le président sortant du Burkina, Roch Marc Christian Kaboré, entame son second mandat. La détérioration de la situation politique et sécuritaire sur le terrain risque de compliquer la promesse de campagne du président candidat de construire « un Burkina Faso meilleur pour l’ensemble des populations ». Portrait.
« Hakuna Matata ! » Cela signifie « tout va bien », en swahili. Cette formule qu’on a beaucoup entendue pendant les récents meetings électoraux du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), le parti au pouvoir au Burkina Faso depuis cinq ans, a finalement porté chance au président sortant, qui était candidat à sa propre succession.
Tout va en effet bien pour Roch Marc Christian Kaboré, qui a remporté la présidentielle du 22 novembre dès le premier tour. Avec 57,87 %, il a même réussi à améliorer son score par rapport au scrutin de 2015 lorsqu’il avait obtenu 53 % des suffrages. Le conseil constitutionnel doit encore proclamer les résultats définitifs.
Pour le camp présidentiel, ce score n’est pas une surprise. La plupart des responsables se disaient certains que la victoire serait « nette et sans bavure ». D’autres ont reconnu qu’ils étaient quelque peu soulagés. « Si le président Kaboré l’avait emporté avec 51 ou 52 % des voix, cela aurait pu ouvrir la voie à des contestations et le pays ne peut s’offrir le luxe d’une crise post-electorale », reconnaissait un proche du chef de l’État.
Face à la dégradation de la situation sécuritaire, dans le pays, suite à des attaques djihadistes récurrentes depuis 2015, les Burkinabè ont fait le choix finalement de la continuité : « Lui, il connaît déjà les problèmes. Des mesures sont déjà engagées. Autant lui faire confiance. Qui de ces opposants auraient fait mieux que lui à sa place ? C’est un problème qui dépasse notre pays », expliquaient des électeurs dimanche 22 novembre, jour du vote. Cela dit, la menace est réelle, au point que le jour du scrutin 2 000 bureaux de vote n’ont pas ouvert leurs portes, empêchant plus d’un demi-million d’électeurs dûment enregistrés d’exercer leur droit de suffrage.
Malgré la victoire claire et nette de son poulain, est-ce que tout va réellement bien pour le clan présidentiel ? Pas vraiment, puisque selon les résultats provisoires des élections législatives, le président élu n’aura pas la majorité absolue à l’Assemblée nationale qu’il espérait. Le MPP, fort de ces 56 députés, devra s’allier avec d’autres partis pour gouverner le pays, comme il l’a d’ailleurs fait dans la précédente législature. Avant l’annonce des résultats provisoires, le climat politique s’est toutefois tendu à Ouagadougou, suite notamment aux polémiques sur le mode de compilation dans les centres communaux. Le président Kaboré a joué l’apaisement et a tendu la main à l’opposition, avec laquelle il a promis de travailler en « concertation permanente ».
Un homme du sérail
Homme du sérail, Roch Marc Christian Kaboré fréquente les allées de pouvoir depuis bientôt quarante ans. Fils de Charles Bila Kaboré qui fut ministre à Ouagadougou dans les premiers gouvernements après l’indépendance du Burkina Faso, l’homme est issu de l’ethnie majoritaire mossi, mais il est aussi un catholique pratiquant dans un pays à majorité musulmane. Rentré au Burkina après des études supérieures en France pour devenir économiste, le président élu a fait ses débuts en politique dans les années 1980, aux côtés de Thomas Sankara. Âgé alors de moins de 30 ans, il a rejoint le régime révolutionnaire sankariste en tant que directeur général de la Banque internationale du Burkina Faso.
Thomas Sankara est assassiné en 1987. Ses affinités idéologiques avec le révolutionnaire disparu n’empêcheront pas le jeune banquier de faire équipe avec Blaise Compaoré, l’ami, le tombeur et le successeur de Sankara. Il entre dans le cercle du pouvoir d’abord en tant que ministre, puis comme président de l’Assemblée, et enfin comme Premier ministre. Véritable baron du régime, il occupera aussi un temps le poste stratégique de président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti au pouvoir. En tant que Premier ministre du Burkina, entre 1994 et 1996, il a eu à gérer les remous politiques de la dévaluation du franc CFA et ses effets néfastes sur la vie économique. L’exercice de ces différentes fonctions de responsabilité lui a permis d’acquérir sa stature d’homme d’État et son image d’homme à l’écoute.
Kaboré a été longtemps considéré comme le dauphin du « Beau Blaise ». C’était avant qu’il ne claque la porte du CDP pour protester contre la modification de la Constitution par Compaoré afin de s’éterniser à la tête du pays. Avec deux autres acteurs très importants de la vie politique, Salif Diallo, le stratège, et Simon Compaoré, le maire de la capitale, il fonde alors son propre parti, le Mouvement du progrès pour le peuple (MPP).
En octobre 2014, Blaise Compaoré est chassé du pouvoir par une insurrection populaire. Au terme d’une période de transition mouvementée qui va durer un an, Roch Marc Kaboré est élu président du Burkina dans le cadre de la première élection présidentielle réellement démocratique. Après vingt-sept années de pouvoir autocratique marqué par le népotisme et la mise au pas de l’opposition, l’élection en 2015 de Kaboré, considéré comme un homme modéré et connu pour sa sensibilité sociale, suscita de grands espoirs au « pays des hommes intègres ».
Sécurité versus développement
Or, c’est un bilan pour le moins contrasté. Au terme du premier quinquennat de Roch Kaboré, certaines régions du Burkina se sont enfoncées dans le chaos en conséquence des attaques récurrentes des groupes djihadistes, certains affiliés à Al-Qaïda, d’autres à l’organisation État islamique. Parfois, ces attaques sont suivies de conflits communautaires, entraînant une spirale de violences que les forces de l’ordre se sont révélées incapables de contenir. Depuis 2015, les attaques djihadistes ont fait quelque 1 200 morts et ont chassé de leurs foyers un million de personnes, soit un habitant sur 20.
Pendant la campagne électorale, le président Kaboré a toutefois tenté de défendre le bilan de son quinquennat. Ses équipes n’ont cessé de rappeler les réalisations du gouvernement. Celles-ci vont du renforcement de la politique de santé publique (gratuité des soins pour les femmes et enfants de moins de 5 ans) à l’assainissement de la gouvernance économique (modernisation de l’administration fiscale, accès aux crédits), en passant par la construction d’infrastructures (amélioration de la desserte en eau potable, mise en place de nouvelles infrastructures routières, meilleure couverture de téléphonie mobile et internet) et le pari de l’éducation (construction de lycées scientifiques). Ces progrès sont dûment répertoriés dans le dernier rapport de la Fondation Mo Ibrahim, qui vient de paraître.
Ce bilan est hélas miné par la descente aux enfers sécuritaires du Burkina au cours des dernières années. Pour les déplacés internes qui s’agglutinent dans les grandes villes, les réalisations socio-économiques impulsées par le président sortant semblent en décalage total avec leur vécu. Et la responsabilité ou non du chef de l’État dans la situation sécuritaire dégradée fait débat dans le pays. « C’est quelqu’un qui est sans doute arrivé avec une autre idée, plus sociale, plus dans la réconciliation après les dernières années difficiles du régime Compaoré, qui tout d’un coup a été aspiré par une problématique qui est loin de ce qu’il connaît », a expliqué à l’AFP Rinaldo Depagne d’International Crisis Group (ICG).
« Comment peut-on parler de développement s’il n’y a pas de sécurité », s’est interrogé Zéphirin Diabré, candidat malheureux à la présidentielle et l’un des poids lourd de l’opposition. Taxé par ses détracteurs d’immobilisme face au pourrissement de la crise sécuritaire, le président élu a promis plus de résultats pendant son second mandat dans la lutte contre les groupes djihadistes, sans pour autant accepter de dialoguer avec ces derniers, comme le lui demandent les leaders de l’opposition. Quoi qu’il en soit, il y a chez le président Kaboré, raconte son entourage, une prise de conscience à l’aube du nouveau quinquennat de la nécessité de renverser la tendance en matière de lutte contre le terrorisme, afin que les acquis sociaux et économiques ne soient pas ternis par l’insécurité. C’est sans doute la leçon des tournées effectuées par le président candidat dans les treize régions du pays dans le cadre de la campagne électorale.
Au fait, comment dit-on en langue locale « tout ne va pas bien ? »
Avec la contribution de Carine Frenk et Paulina Zidi
RFI