Provocation sur Twitter, nouvelles taxes douanières : la Chine a multiplié ces derniers temps les mesures vexatoires à l’encontre de l’Australie. Les relations entre les deux pays ont rarement été aussi mauvaises et, selon plusieurs experts, le monde devrait faire plus attention à la manière dont Pékin traite Canberra. Explications.
La photo a profondément choqué en Australie. On y voit un soldat australien qui tient un couteau et semble être sur le point de tuer un enfant afghan. Elle a été postée sur Twitter, lundi 30 novembre, par Zhao Lijian, l’un des principaux porte-parole de la diplomatie chinoise.
Pékin devrait “avoir profondément honte” d’avoir mis en ligne une image “aussi dégoûtante”, a immédiatement réagi Scott Morrison, le Premier ministre australien. Son gouvernement a, dans la foulée, exigé des excuses à Pékin. Il a aussi demandé à Twitter de faire disparaître ce message tout en accusant le responsable chinois d’avoir trafiqué la photo.
Une liste de quatorze griefs contre l’Australie
La provocation de Zhao Lijian, un diplomate habitué aux déclarations tonitruantes, “représente la déclaration la plus offensante qui puisse être faite à l’heure actuelle pour Canberra car elle touche un point très sensible en Australie”, souligne John Lee, spécialiste des relations internationales chinoises au Merics (Mercator Institute for China Studies), contacté par France 24. Elle rappelle, en effet, une enquête accablante de l’inspecteur général des armées australiennes qui concluait, mi-novembre, que des soldats des forces spéciales avaient “tué illégalement” au moins 39 civils et prisonniers afghans.
Mais quel rapport entre ces atrocités et la Chine ? Aucun, sauf à voir le tweet controversé de Zhao Lijian comme une énième goutte dans l’océan des relations sino-australiennes toujours plus conflictuelles. “Elles n’ont jamais été aussi mauvaises qu’actuellement”, reconnaît Heribert Dieter, spécialiste de l’Australie et des questions de géopolitique dans cette région à l’Institut allemand des Affaires internationales, contacté par France 24.
L’escalade actuelle a commencé en début d’année 2020, lorsque l’Australie a été le premier pays à demander une enquête indépendante pour déterminer l’origine de l’épidémie de Covid-19. Un appel qui “a[vait] d’autant plus froissé Pékin qu’il a[vait], d’abord, été fait par médias interposés sans passer par les canaux diplomatiques habituels”, rappelle le spécialiste du Merics.
Depuis lors, la Chine a imposé des taxes douanières à répétition sur les exportations australiennes, visant l’orge, le vin, le bœuf ou encore les fruits de mer. Pékin a même fait parvenir aux autorités australiennes une liste de quatorze griefs. La Chine y critique ce qu’elle appelle des subventions publiques à des projets de recherches “anti-chinois”, les condamnations par Canberra de la politique chinoise dans le Xinjiang ou à Hong Kong, ou encore le veto des autorités concernant une dizaine de projets d’investissement chinois en Australie. “Si vous érigez la Chine en ennemi, la Chine deviendra votre ennemi”, aurait déclaré un représentant du pouvoir chinois lors d’une conférence de presse, rapportait le Sydney Morning Herald le 19 novembre.
Le point culminant de quatre ans de tensions
En un sens, cette nouvelle séquences de tensions diplomatico-commerciales n’est que l’aboutissement de près de quatre ans de dégradations progressives des relations entre les deux pays. “En 2016, la polémique en Australie autour du bail de 99 ans accordé à une entreprise chinoise pour gérer le port de Darwin [qui se trouve près d’une base militaire américaine] a été l’un des premiers signes des problèmes à venir entre les deux pays”, rappelle John Lee, le chercheur du Merics.
Par la suite, le pays a souvent fait partie des premiers à dénoncer les agissements chinois dans plusieurs domaines. “Ils ont banni Huawei du développement du réseau 5G en Australie dès 2018, ont été les premiers à qualifier d’illégaux les agissements chinois en mer de Chine et on fait pression très tôt pour cette enquête indépendante sur l’origine de la pandémie de Covid-19”, énumère Patrick Köllner, vice-président du GIGA Institute for Asian Studies (Institut allemand pour les études mondiales et régionales), contacté par France 24. Il y a eu, en outre, “une manière très manichéenne et sans nuance d’évoquer la menace chinoise dans les médias australiens de l’empire Murdoch”, poursuit-il.
En somme, l’Australie a été “le premier grand pays à adapter sa diplomatie à la nouvelle manière dont la Chine de Xi Jinping aborde les relations internationales”, affirme ce spécialiste. Canberra a vu Pékin devenir plus agressif sur la scène internationale, s’est senti menacé et a sorti ses griffes.
Et l’Australie est devenue la première nation d’importance à en payer le prix. Mais elle est aussi la victime collatérale de la lutte de pouvoir que se livrent la Chine et les États-Unis. “Dans ce contexte de rivalité, la pression exercée par Pékin peut aussi être perçue comme une manière de tenter d’influencer les décisions de l’un des principaux alliés de Washington dans la région”, estime John Lee, le chercheur du Merics.
Paris ou Berlin après Canberra ?
Pour le Premier ministre australien, l’attitude de la Chine à l’égard de l’Australie doit interpeller “le monde entier”. “Ce n’est pas qu’une affaire bilatérale”, estime aussi le Financial Times dans un éditorial du 26 novembre. Pour le quotidien financier britannique, ”tous les pays démocratiques doivent suivre de très près la situation pour se préparer à contrer ensemble les pressions que la Chine pourrait vouloir exercer sur eux”, écrit le quotidien financier britannique.
“L’idée est que la Chine utiliserait l’Australie comme exemple. Ce ne serait, en réalité, qu’un signal envoyé aux autres pays tentés de critiquer Pékin”, résume Patrick Köllner, du GIGA Institute. “Il ne faut pas se leurrer, après Canberra, Pékin peut s’en prendre à Berlin ou Paris”, assure Heribert Dieter qui adhère à cette théorie.
Selon lui, l’offensive contre l’Australie illustre “pour la première fois comment Pékin cherche à contrôler dans un grand pays développé la manière dont on parle de la Chine”. Ce ne serait pas un hasard si la fameuse liste des 14 points incluait une vive critique contre la couverture médiatique de l’actualité chinoise. “Incapable de tolérer la libre expression à l’intérieur de ses frontières, la Chine cherche désormais à la museler dans d’autres pays”, souligne le Financial Times.
Mais l’Australie n’est pas la France ou l’Allemagne. “Elle est uniquement vulnérable à la pression chinoise”, souligne John Lee. Plus de 40 % des exportations australiennes sont destinées à la Chine et, de par sa situation géographique, “l’Australie n’a que peu d’alternatives pour ses produits”, précise ce chercheur.
Les autres puissances, notamment en Europe, sont moins dépendantes du commerce de la grande puissance asiatique. Mais tous les spécialistes interrogés par France 24 s’accordent à dire que les mésaventures australiennes doivent interpeller les autres puissances. Pour Patrick Köllner, le vice-président du Giga Institute, ce conflit commercial en Asie a l’avantage de montrer très clairement les termes du choix : “Soit on veut continuer à bénéficier économiquement du commerce avec la Chine au risque de devoir mettre les critiques en sourdine, soit il faut commencer à trouver des alternatives”.
France24