Alors qu’en vertu du cessez-le-feu conclu le 9 novembre, l’Azerbaïdjan reprend ce mardi 1er décembre possession du district de Latchin rétrocédé par l’Arménie, les autorités azerbaïdjanaises condamnent les contradictions de la France dans ce dossier.
De notre envoyé spécial à Bakou,
La résolution adoptée par le Sénat français la semaine dernière a semé le trouble en Azerbaïdjan. Ce texte, non contraignant mais très symbolique, demande la reconnaissance de la République du Haut-Karabakh. Les sénateurs, à une immense majorité de 305 voix contre 1, prennent position de manière radicale sur la question brûlante du statut de cette région, qui n’est toujours pas tranchée. Car reconnaître le Haut-Karabakh comme un territoire autonome reviendrait à sortir de la neutralité affichée par la diplomatie française depuis des années dans le cadre du groupe de Minsk, dont la France est co-présidente avec les États-Unis et la Russie, et qui occupe le rôle d’arbitre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
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À Bakou, le vote des parlementaires français ne passe pas et provoque des interrogations jusqu’aux cercles du pouvoir les plus modérés. L’ancien ambassadeur d’Azerbaïdjan en France, Elchin Amirbayov, désormais conseiller diplomatique du gouvernement, s’inquiète d’une fuite en avant, d’autant plus, pointe-t-il, qu’une résolution similaire co-signée par plusieurs députés La République en Marche pourrait bientôt être examinée à l’Assemblée nationale : « On comprend très bien que la valeur juridique de ces documents est assez limitée, par contre, en provenance de groupes politiques au pouvoir, la République en marche étant celui de la majorité, cela va encore une fois transmettre des messages négatifs en Azerbaïdjan, au niveau gouvernemental mais aussi au niveau du public. Et, bien sûr, cela ne va pas rester sans conséquences pour la crédibilité de la France en tant que médiateur au sein du groupe de Minsk, sans parler de la perception de la France en tant qu’intermédiaire de bonne foi. »
L’Azerbaïdjan a bien noté que l’exécutif français n’était pas sur la ligne du Sénat et que le quai d’Orsay, par la voix de Jean-Baptiste Lemoyne, le secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères, réaffirmait son ambition de trouver une solution négociée entre les deux parties. Mais dans l’opinion azerbaïdjanaise, dans les milieux nationalistes et sur les réseaux sociaux, la France est pointée du doigt. Les plus virulents réclament que Paris quitte la co-présidence du groupe du Minsk et que les entreprises françaises présentes en Azerbaïdjan soient sanctionnées d’une manière ou d’une autre.
Cet accès de crispation met en lumière les failles d’une entité mise en place en 1994, après la première guerre du Karabakh. Dans un premier temps, la force du groupe de Minsk a consisté à créer un espace de discussion directe au plus haut niveau entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, qui a débouché à la fin des années 2000 sur les « principes de Madrid », une feuille de route visant à trouver une issue pacifique à ce conflit. « À l’époque, Obama, Sarkozy et Medvedev ont vraiment fait pression sur les dirigeants des deux pays pour obtenir des concessions réciproques, relève le militant des droits de l’Homme Anar Mammadli, emprisonné pendant plus de deux ans pour avoir dénoncé des fraudes électorales lors de l’élection présidentielle de 2013. Mais ensuite, ils ont laissé filer, alors qu’ils auraient pu se servir des principes de Madrid comme d’un levier pour résoudre ce conflit. Quant à la guerre qu’on vient de traverser, je comprends bien la situation liée au Covid-19, mais lorsque des affrontements violents ont éclaté entre les forces azerbaïdjanaises et les forces arméniennes dès le mois de juillet, ce qui a chauffé à blanc la population et mis le gouvernement en porte-à-faux, les représentants du groupe de Minsk ne se sont pas rendus en Azerbaïdjan. Ni la France, ni les États-Unis n’ont activé à haut niveau leurs canaux diplomatiques. Et qui les a remplacés ? Les Turcs et les Russes. »
Une source proche de la présidence azerbaïdjanaise ajoute qu’Emmanuel Macron, de passage en Arménie à l’occasion du sommet de la Francophonie en 2018, n’a pas daigné faire le déplacement jusqu’à Bakou, malgré sa casquette de co-président du groupe de Minsk et contrairement à son prédécesseur, François Hollande, qui prenait soin de mieux ménager les deux voisins. Passivité française, diplomatie américaine en retrait sous l’ère Trump, jeux d’influence russe : empêtré dans ses contradictions, le groupe de Minsk n’aura pas été capable de prévenir un nouvel embrasement. Ni de négocier le cessez-le-feu total conclu il y a trois semaines entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, supervisé par un seul homme : Vladimir Poutine.
RFI