Entre 1982 et 2017, par les coups du destin et l’appel du devoir de l’État, l’instituteur Modibo Keïta a dû troquer la craie pour la cravate du diplomate, pour le fauteuil du ministre et pour le tapis rouge du Premier ministre. Dans cet ouvrage, c’est une carrière longue et riche que Modibo Gaoussou Keïta tente de résumer dans une esquisse de recueil de bonnes pratiques à chaque niveau administratif qu’il a eu à occuper. Non sans s’arrêter un moment sur l’importance des ressources humaines pour un pays comme le Mali
Les Maliens connaissent Modibo Keïta, l’ancien Premier ministre des présidents Alpha Oumar Konaré et Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et ancien ministre de Moussa Traoré. Pour autant, connaissent-ils l’auteur Modibo Gaoussou Keïta? Disons tout de suite que nous sommes devant la même personne. L’enseignant émérite, le grand commis de l’état, par surcroît l’homme d’état qui a été au-devant des affaires nationales auprès de trois chefs d’état pendant plus de trois décennies, par intervalles, a nourri, de l’avis de ceux qui l’ont côtoyé bien longtemps, en famille comme au travail, une vertu qui se raréfie : l’humilité.
à se demander si ce n’est pas cette humilité chevillée au corps qui l’a poussé, comme pour se confondre dans la masse et ne pas s’afficher au grand public, à ajouter le prénom de son père «Gaoussou » à la couverture de son livre «Les sentiers du service publics», qui a paru en septembre 2020 chez les EDIM, dans la collection «Parcours de vie ».
Nous sommes nombreux à partager la thèse de la revue web «psychologie.com», selon laquelle «écrire ses mémoires est non seulement un joli cadeau à faire à ses descendants, mais c’est aussi un excellent moyen de renforcer sa confiance en soi, de cultiver l’esprit de gratitude et de faire le point sur sa vie et ses désirs». Cela est bien discutable et nous sommes sûrs qu’en demandant au Premier ministre Modibo KEITA, que nous avons côtoyé, son opinion sur cette affirmation, il choisirait les parties «faire un cadeau à ses descendants» et «cultiver l’esprit de gratitude». Son livre «Les sentiers du service public» n’est visiblement pas les mémoires attendus de celui qui fut enseignant, directeur de service, ministre, ambassadeur, secrétaire général de la présidence de la République, Premier ministre, Haut représentant du président de la République. «Les sentiers du service public » ne nous disent pas tout de ce que l’auteur a amassé en expérience. Nous dirons qu’il fait une synthèse avec un brio d’enseignant, un tact de diplomate et une prudence de gestionnaire de la chose étatique.
L’éditeur lui-même a retenu en quatrième de page couverture un paragraphe qui résume en lui seul l’esprit de l’auteur :«la gestion des affaires publiques s’accomplit dans un faisceau de réalités complexes ; elle suscite de nombreuses récriminations, de nombreuses critiques dans un espace où s’affrontent l’intérêt général et la recherche des bonheurs privés, l’Ange et le Diable, le subjectif et l’objectif, les visions humanistes et les penchants carriéristes et électoralistes et tout cela est dans un environnement qui, au lieu de gérer la rumeur se laisse gérer par elle, où la pensée unique tend à supplanter la pensée nuancée». L’auteur fait cette réflexion dès l’introduction à la page 3. C’est un avertissement à prendre dès cette étape pour les lecteurs friands d’anecdotes, de critiques et de polémiques. On n’en trouvera pas pour les raisons qu’il évoque en page 4. En somme comme il l’écrit lui-même, il a regroupé «des pratiques empiriques», tout en évitant une approche descriptive de sa propre posture au fil des responsabilités à lui confiées.
Dans son livre de 101 pages, le grand commis de l’état a donc pris sa plume, non pas pour nous livrer des anecdotes que l’enseignant peut avoir à foison sur ses élèves, le diplomate sur ses homologues d’autres puissances dans les processus de négociations, le ministre du Travail sur les fonctionnaires qu’il administre ou les syndicalistes avec qui il négocie, le chef du gouvernement sur les ministres ou chefs de service ou même sur ses patrons de présidents. Rien de tout cela pour Modibo Gaoussou Keïta qui a juste «tenté, non pas de donner des leçons», mais de faire part de la façon dont il a administré et géré les services publics à toutes les étapes de sa carrière (page 4). Le lecteur modèle de ce livre pourrait bien être le cadre de l’administration publique qui commence le circuit administratif ou y évolue déjà. Les enseignants d’aujourd’hui peuvent trouver dans les pages réservées à la section «l’instituteur» -son premier poste à Kéniéba, en 1963- toutes les vertus à retrouver chez un maître d’école. «L’instituteur est un homme, un être de chair et de sang, on ne peut pas en douter mais la rigueur qu’il doit s’imposer ne doit pas être circonstancielle» conseille-t-il (page 10).
Dans l’organisation des services publics au Mali, l’on sait la hiérarchie verticale, de la direction à la section en passant par la division. Si vous y êtes en lisant ces lignes, l’ancien directeur de l’Institut pédagogique national (IPN) enseigne que les «accents qui soudent des cordes vocales de la section doivent être dans le ton de la division et constituer la mesure rythmique du chant de la direction nationale » (page 16). S’il y a une expérience qui aura marqué l’instituteur auteur, c’est bien la télévision scolaire dont il fut chef de projet en 1971. Il explique l’esprit, les succès et insuccès de cet outil pédagogique qui peut paraître pour le monde d’aujourd’hui un vague archaïsme.
Modibo Keïta connaîtra une brillante carrière à partir de 1977 comme directeur de cabinet puis ministre. à ce haut échelon de l’administration, le lecteur qui connaît aujourd’hui les rouages de l’appareil gouvernemental et donc ministériel s’attardera sur la partie «directeur de cabinet», un poste aujourd’hui remplacé par celui de «secrétaire général» dans l’organisation administrative des ministères. Celui qui fut directeur de cabinet du ministre de l’éducation nationale de 1979 à 1982 décrit ce poste «entre le marteau et l’enclume» et son titulaire parmi «les fonctionnaires les plus exposés aux critiques» (page 50). La suite, c’est son expérience ministérielle qui aura duré six ans à la tête du département du Travail et des Affaires étrangères. Le livre nous fait porter l’habit de ministre à cette époque que bien de nos compatriotes décrivent comme celle où l’autorité de l’état s’exerçait le mieux.
Ce n’est pas pour rien que plusieurs ministres qu’il a eus dans ses gouvernements le qualifient de source intarissable d’apprentissage de l’administration de l’état. Dès le début du chapitre réservé au «ministre de l’Emploi, du Travail et de la Fonction publique», il décrit une atmosphère vérifiable, aujourd’hui encore, à chaque changement de tête dans l’administration ministérielle. «Cette première prise de contact doit être l’occasion de certaines clarifications. Il faut mettre les cadres en confiance, annoncer que l’on arrive au département sans préjugés… » (page 48), semble-t-il conseiller à tout nouveau ministre. La partie réservée à son passage au ministère des Affaires étrangères est à conseiller aux étudiants en diplomatie ou en relations internationales et aux jeunes diplomates. Un véritable cours magistral où l’on doit faire la distinction entre «la politique extérieure» et la «diplomatie», le tout dans le contexte de l’époque.
Modibo Gaoussou Keïta compte jusque-là comme le seul qui a été Premier ministre deux fois sous deux présidents différents. Il a été le plus éphémère de l’ère Konaré (2 mois, 22 jours) et le plus ayant duré sous l’ère IBK (2 ans, 3 mois). Un cumul de 2 ans 5 mois qu’il décrit avec un ton pédagogique afin de faire comprendre au lecteur les relations administratives et politiques souvent complexes dans l’architecture institutionnelle que composent le Premier ministre et les ministres sous la direction du président de la République.
Il ne manque de poser une question sur un épisode important pour un Premier ministre qui prend fonction, à savoir la Déclaration de politique générale. Sûrement un sujet de dissertation pour les apprenants en sciences politiques ou administratives dans le contexte malien. «S’agit-il d’une Déclaration de politique générale telle que cet intitulé sous-tend ou d’un Programme de gouvernement tel qu’il est aujourd’hui présenté aux députés ?» (page 81), questionne-t-il tout en tentant de donner un début de réponse. Dans ce livre qu’il décrit comme un «itinéraire» pour lequel il n’a pas toujours été préparé, Modibo Gaoussou Keïta partage le viatique amassé sur «Les sentiers du service public », tout au long d’une riche et longue carrière qui doit faire rêver tout aspirant au service public.
Pour faire preuve de reconnaissance, il réserve un chapitre au rôle des ressources humaines, lui qui a été chef de service, ministre du Travail et chef de l’administration générale du Mali en tant que Premier ministre. «Le rôle et la place des ressources humaines révèlent une importance capitale dans la conduite et la réussite des projets de développement social, économique et culturel » (page 90) note-t-il, non sans rappeler aux agents de l’administration qu’«un cadre qui s’accomplit et s’épanouit à travers des activités quotidiennes qu’il sait utiles à la collectivité, donne le meilleur de lui-même dans les conditions matérielles difficiles et précaires» (page 94). à méditer pour le Mali d’aujourd’hui et de demain.
Correspondance
particulière Alassane
Souleymane Journaliste, ancien conseiller
technique à la Primature à retrouver à la librairie du Soudan : «Les sentiers du service public», de Modibo Gaoussou Keïta, (2020) Bamako, EDIM, Collection
parcours de vie,
101 pages
Source : L’ESSOR