Le général français François Lecointre est rentré le 12 décembre d’une visite d’inspection de 2 jours au Niger et au Mali, sa 7e visite sur le théâtre d’opération de la force Barkhane. Le chef d’état-major des armées est allé à la rencontre des soldats français et de leurs partenaires des forces armées maliennes. L’occasion de faire le bilan des opérations militaires un mois avant l’anniversaire du sommet de Pau, le 13 janvier prochain, date à laquelle pourrait être annoncée une évolution du format de l’intervention française. Le général François Lecointre est l’invité de RFI.
RFI : Vous revenez d’une visite d’inspection sur le théâtre de Barkhane, opération de l’armée française au Sahel et au Sahara. RFI était à vos côtés. Nous avons pu voir des aviateurs anglais à Gao, des militaires estoniens. On sait aussi que les Américains sont présents aux côtés des Français. Peut-on dire que la France n’est plus seule au Sahel ?
Général François Lecointre : La France fait tout ce qu’elle peut pour être la moins seule possible militairement au Sahel, ce qui n’est pas forcément très simple, non pas vis-à-vis des Américains qui, de façon constante et assez ancienne, mesurent bien l’intérêt qu’il y a à ce que nous luttions ensemble contre la menace terroriste qui se développe ici au Sahel. Et comme c’est une priorité de la défense américaine, ils sont très allants à nos côtés. En revanche, l’engagement des Européens, c’est quelque chose d’assez nouveau, en particulier dans le champ opérationnel qu’on appelle cinétique, c’est-à-dire le fait d’aller au combat. Les Européens sont engagés maintenant depuis 2012, dans un engagement de formation de l’armée malienne et c’est la première fois, grâce à Takuba [force européenne] qu’on arrive à entraîner les Européens à s’engager dans des missions de combat qui comportent du risque, et c’est assez positif. C’est encore progressif, il faut qu’on continue à travailler à cela. Mais en tout cas, je trouve que cela nous donne une perspective assez favorable. Le fait d’internationaliser les choses et de le faire avec les Européens à mon avis présente plusieurs intérêts. Le premier est de partager la charge, parce que c’est une charge financière, c’est une charge en risques, c’est une charge en responsabilité politique, de la partager avec les Européens, de les entrainer dans quelque chose qui leur permet de prendre conscience de la part des Européens d’une sorte de destin partagé dans une zone où il y a des risques. Puis, c’est effectivement d’être plus efficaces auprès des Maliens.
Il y a un an, lors du sommet de Pau, la France décidait d’envoyer un renfort de 600 hommes supplémentaires à Barkhane. Quel bilan tirez-vous de cette année d’activité ?
Je pense que le bilan complet, on le tirera et le président de la République le tirera précisément à la date d’anniversaire du sommet de Pau. Ce que j’observe, c’est que l’effort que nous avons consenti, a été de 600 personnes, mais sur le terrain en capacité opérationnelle, c’est plus de 600 personnes et il faut bien le mesurer comme ça. On est passé de 4 500 à 5 100, mais en réalité, nous avons un socle d’effectifs qui est engagé dans des missions de soutien, de protection de base, de soutien sanitaire, de logistique qui, de toute façon, est incompressible parce qu’on est déployé sur plusieurs emprises. Ce socle-là en réalité baisse en proportion dans la force en général quand on a au moins ces effectifs. Donc, les 600 effectifs supplémentaires qu’on a engagés ont été directement avec les effectifs opérationnels, engagés sur le terrain pour des opérations de combat, pour des opérations d’accompagnement de nos partenaires maliens, nigériens ou de la force conjointe G5 ou des Burkinabè. Donc, cela a été un facteur d’augmentation d’efficacité absolument remarquable. Et aujourd’hui, ce que j’observe, c’est qu’on a désorganisé l’ennemi dans le Liptako, il n’a plus la libre disposition de cet espace immense, il n‘est plus capable de contrôler les populations comme il le faisait ; on a désorganisé sa logistique, on a affaibli son commandement et on lui a infligé des pertes importantes ; et dans le même temps, on a autorisé et permis le retour de l’unité malienne et de l’unité nigérienne qui ont été reconquérir un certain nombre de places qu’elles avaient abandonnées parce qu’il y avait eu des massacres de garnisons complètes. Donc, pour moi, sur le plan strictement militaire, c’est un bilan très positif, même si tout est fragile évidemment. Mais c’est aujourd’hui un bilan très positif.
Barkhane, c’est un peu plus de 5 000 hommes aujourd’hui. Son format pourrait-il évoluer ? Les résultats sont-ils suffisants pour baisser les effectifs ou c’est trop tôt ?
D’abord, le format de Barkhane évolue en permanence. Et au-delà du format, il y a par exemple les déploiements de Barkhane. Est-ce qu’on est sur plus de bases ou moins de bases au Mali ? Est-ce qu’on fait un effort sur un autre pays ? Parce que je vous rappelle que Barkhane n’est pas déployée qu’au Mali. Donc, ce n’est pas qu’une question d’effectifs. Et je ne répondrai pas à votre question parce que c’est une question qui ressort d’un choix politique qui sera éclairé par la vision que j’apporterai au président de la République et à la ministre en matière opérationnelle. De toute façon, il faut que Barkhane évolue. Il faut qu’il y ait du mouvement, il faut que nous entrainions nos partenaires dans une dynamique qui va les faire évoluer vers plus d’autonomie pour les forces partenaires et vers plus d’implication pour les forces européennes.
L’engagement conjoint au combat que vous venez d’évoquer, c’est ce qu’il y a eu il y a quelques semaines avec l’opération Bourrasque qui a connu un succès dans le Liptako. Est-ce que c’est une façon de faire monter en gamme les armées partenaires ?
C’est une façon d’abord de leur donner confiance et c’est important, parce qu’il faut donner des succès aux armées partenaires. Ensuite, c’est une façon de les faire monter en gamme sur le plan opérationnel, évidemment. Et donc cela participe à l’autonomisation. Maintenant, cela n’est pas suffisant, parce que la réalité de cet engagement conjoint opérationnel, c’est qu’il n’a pas d’effet sur ce qui est le socle organique des armées, leur fonctionnement de tous les jours : le recrutement, l’instruction quotidienne. Et cela, ça n’est pas Barkhane qui peut le faire aujourd’hui. C’est plutôt l’EUTM [mission européenne de formation de l’armée malienne] et c’est un travail sur lequel il faut que nous nous penchions et que nous accentuions parce que la capacité à l’autonomie, au combat de ces armées-là reposera autant sur leur montée en puissance organique que sur ce qu’ils auront appris et sur ce qu’ils auront acquis en expérience au combat à nos côtés.
Il y a quelques jours, le général Namata, commandant de la force conjointe, indiquait sur l’antenne de RFI que l’émir du JNIM ou du RVIM [Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin – Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans], Iyad Ag Ghali, était un ennemi, qu’il fallait le combattre. Pourtant, à Bamako, il y a des voix dissonantes. Pensez-vous qu’il est possible aujourd’hui de négocier avec une partie des groupes armés terroristes, ou est-ce qu’il s’agit là d’une ligne rouge ?
D’abord, ce n’est pas un choix de militaires. C’est un choix des politiques, à commencer par les politiques maliens. Ensuite, il y a effectivement un positionnement de principe de la France qui considère qu’on ne négocie pas avec des terroristes. Cela ne veut pas dire pour autant qu’on ne négocie pas avec un ennemi. Si on veut s’entendre un jour, s’entendre avec quelqu’un qu’on a combattu, il faut être capable de choisir le bon partenaire avec lequel s’entendre, celui qui est représentatif, qui est légitime. Et donc ça posera un jour la question d’un accord politique qui se fera avec des gens qui à un moment ou à un autre ont été des ennemis de la force Barkhane, ont été les ennemis de la force armée malienne. Ensuite, je ne me prononcerai pas sur le degré d’acceptabilité morale ou le risque que nous prendrions d’ailleurs à aller négocier avec des terroristes dont on sait qu’ils sont extrêmement idéologisés et que leur objectif est de créer un Etat islamique dur au Mali, ce qui, là, est une appréciation politique qui n’est pas de mon ressort, mais qui évidemment comporte un danger puissant à la fois pour le Mali et puis par risque de contagion sur l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel.
Vous l’avez souvent répété : il n’y aura pas de victoire militaire au Mali sans retour de l’Etat de droit. Est-ce que vous constatez un mieux sur le terrain ?
Ce que j’observe sur le terrain, c’est un début de retour dans certains endroits d’autorités civiles : gouverneurs, maires, autorités de police. Objectivement, aujourd’hui, il y a un mieux. Il y a un mieux dans ce retour, peut-être pas de l’état de droit, mais de l’État, la réinstauration d’une forme de gouvernance publique dans certains endroits. C’est encore fragile, mais c’est rendu possible par le fait que la sécurité revient malgré tout dans des zones qui, encore une fois, sont un peu plus sous contrôle des forces armées maliennes, qui sont sécurisées par l’opération Barkhane. Et ça, pour moi, c’est un mouvement positif.