La deuxième audience publique de la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR), organisée le 5 décembre au Centre international de conférence de Bamako (CICB), a donné la parole aux victimes de violations graves des droits de l’homme commises au Mali. L’évènement a vu surgir des scènes horribles de notre histoire.
L’histoire est intéressante, mais parfois douloureuse. L’histoire du Mali ne déroge hélas pas à la règle. En 60 ans, le Mali a connu cycliquement quatre rebellions marquées par des violences.
Si les précédentes rébellions (1963, 1991, 2006) n’ont pas connu une réponse holistique en termes de traitement des différents enjeux liés aux violences qui les ont accompagnées, celle de 2012 a conduit à l’amorce d’un processus de justice dite transitionnelle.
La justice transitionnelle est une réponse à une violation systématique ou massive des droits de l’homme dont l’une des finalités est de reconnaitre les victimes tout en faisant avancer les objectifs de paix, de réconciliation et de démocratie.
Les mécanismes mis en place pour cette forme de justice sont nombreux au Mali. La Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR) en constitue le principal. A l’œuvre depuis 2013, la CVJR poursuit son travail dans l’exécution de son mandat, qui devrait prendre fin en 2021. Elle a organisé deux audiences publiques.
« Tribune d’expression »
Les audiences publiques de la CVJR diffèrent de celles des juridictions. Plutôt que de juger, de désigner des coupables ou des responsables, elles constituent une tribune d’expression pour les victimes de graves violations des droits de l’homme. Afin que ces dernières puissent exprimer les souffrances qu’elles ont subies. En mettant les victimes au centre, l’approche de la justice transitionnelle vise à intégrer à la mémoire nationale les récits et le vécu des victimes. La pratique a une vertu curative et permet un dialogue autour des victimes, pour que les violences auxquelles ont été confrontées ne se reproduisent plus.
La deuxième audience publique s’est tenue le 5 décembre 2020. Des victimes ont été entendues. Le récit de ce quinquagénaire, originaire du village de Bamba, dans le cercle de Koro, au centre du Mali, a suscité en moi des questionnements. L’homme a expliqué que le marché hebdomadaire de son village, où la seule échappatoire était le fleuve, a été quadrillé par des individus tirant à balles réelles sur la population civile et brûlant tout sur leur passage. Il a frôlé la noyade, et a perdu 14 membres de sa famille.
Des témoignages effroyables
Dans le même registre dramatique, le film des massacres d’Ogossagou a été revisité par un autre vieil homme de 50 ans qui, après le rappel de la fraternité légendaire ayant toujours régné entre Peul et Dogon, a rapporté les horreurs de ce 23 mars 2019. « Vers 5 heures du matin, notre village a été attaqué par des motocyclistes qui venaient de tous les coins de la rue (…) Ils se sont dirigés chez le chef du village qui a été égorgé avant de brûler les maisons. C’était horrible ! J’ai perdu ma femme et beaucoup d’autres membres de ma famille. J’ai finalement décidé d’abandonner le village avec le reste de ma famille… »
Les témoignages de survivants de Sobane-Da nous plongent dans l’ecchymose de la brutalité humaine : « Des individus armés sont venus dans notre village et ont commencé à tirer sur les gens. Les tirs ont continué jusqu’à minuit. Ils ont brulé toutes les maisons et emporté tout notre bétail. (…) Nous avons dénombré 102 morts que nous avons enterrés dans deux fosses communes. J’ai personnellement perdu 14 membres de ma famille… », se souvient douloureusement un témoin oculaire du drame.
Plus d’une dizaine de témoignages aussi accablants, et de toutes les époques, se sont succédé. Sidéré par l’ampleur des brutalités, la résilience des victimes pleines d’espoir pour la paix au Mali et leurs attentes, je me suis interrogé : pourquoi toutes ces horreurs ? Pensif à cet héritage non élogieux de notre pays, car il existe 19 000 récits de ce genre à la CVJR, je concluais tristement que l’histoire du Mali n’est pas faite que d’enfants de chœur.
Source : Benbere