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INGÉRENCE FRANÇAISE DANS LES AFFAIRES INTERNES AFRICAINES : LA DÉPUTÉE FRÉDÉRIQUE DUMAS REMONTE LES BRETELLES À MACRON

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Emmanuel Macron (centre droit) aux côtés du président guinéen Alpha Condé (g), du président ivoirien Alassane Ouattara et de Nicolas Sarkozy (d).

La députée française des Hauts-de-Seine et membre de la Commission des Affaires étrangères du parlement Français, Frédérique Dumas, a écrit au président Macron pour dénoncer l’immixtion de la France dans les élections en Afrique, son soutien au régime inconstitutionnel en Côte d’Ivoire, mais aussi sa grande ingérence dans les affaires internes africaines ! C’était le 12 décembre dernier. Un texte trop beau pour ne pas être porté à la connaissance de l’opinion publique africaine que nous vous proposons ici.

« Monsieur le Président de la République,

A la veille de l’investiture de Monsieur Alassane Ouattara comme Président de la République de la Côte d’Ivoire, je me permets de vous adresser un courrier afin de vous faire part de mes profondes inquiétudes et interrogations. En effet les conditions dans lesquelles se sont tenues les élections présidentielles en Côte d’Ivoire le 31 octobre 2020 et la manière dont la France y a réagi posent de véritables questions de fond dont les conséquences sont dorénavant devant nous.

 

Depuis des mois l’opposition unie appelait de tous ses vœux à la tenue d’un dialogue national qui se révélait impossible, contestait la composition de la Commission Electorale dite Indépendante, l’établissement du fichier électoral, l’invalidation de 40 candidats sur 44 et enfin la possibilité pour le Président sortant de briguer « par devoir » un troisième mandat contraire à l’article 55 de la Constitution qui stipule que le Président « n’est rééligible qu’une seule fois ». Par ses jugements des 15 et 25 septembre 2020, La Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples a ordonné au gouvernement ivoirien de réintégrer l’ancien Premier ministre Guillaume Soro et l’ancien Président Laurent Gbagbo dans le processus électoral sans qu’il ne soit fait aucune suite à cette injonction.

 

De l’ensemble de ces contestations est née une crise préélectorale faisant d’ores et déjà de nombreuses victimes. Malgré les demandes de l’instauration d’un véritable dialogue et de décalage des élections « encadrées », ces dernières ont été maintenues envers et contre tout. Le premier tour de l’élection présidentielle du 31 octobre s’est donc déroulé dans des conditions catastrophiques, difficulté de déploiement du matériel électoral et impossibilité d’ouvrir les bureaux de vote dans de nombreux districts, incidents sécuritaires majeurs, comme l’ont noté les observateurs de l’ONG Indigo partenaire de Initiative de Dialogue et de Recherche action participative en Côte d’Ivoire, ainsi que le rapport conjoint de la mission d’observation électorale (MIOE), de l’institut électoral pour une démocratie durable en Afrique (EISA) et du Centre Carter (TCC).

 

Malgré tous ces faits et la perpétuation de la crise devenue postélectorale, Monsieur Alassane Ouattara a été proclamé vainqueur avec un score de 94,27%. Le chiffre officiel de la participation, 53,90%, est encore plus problématique. Les observateurs indépendants estiment en réalité la participation autour de 10% alors qu’en démocratie la participation est le socle de ce qui fonde la légitimité.

Pendant ce scrutin et les jours qui ont suivi, les violences se sont poursuivies portant le bilan officiel à 85 morts et plus de 200 blessés graves. Le 11 novembre, dans un communiqué de presse, madame Michèle Bachelet, la Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, a fait ainsi part de ses sérieuses préoccupations concernant l’arrestation de plusieurs responsables de l’opposition.

 

Dès le mois d’août 2020, l’ONG Amnesty International avait pourtant alerté les opinions publiques et les chancelleries en publiant un rapport qui faisait état de la collaboration de certains éléments de la police ivoirienne avec des groupes d’hommes armés de machettes pour réprimer les manifestations. Amnesty déplorait également les arrestations de personnalités politiques ou de la société civile. Dans un autre rapport daté du 19 novembre 2020, la même ONG dénonçait l’horreur des violences post électorales. Ces crimes documentés ont été condamnés à deux reprises par le Secrétaire Général des Nations unies, Monsieur Antonio Guterres. Plusieurs dirigeants de l’opposition politique ont été ou continuent d’être pourchassés, violemment agressés et battus à l’intérieur de leurs domiciles avec parfois la destruction de tous leurs biens. D’autres sont emprisonnés, assignés à résidence ou dans la clandestinité.

 

Par ailleurs, la France est restée tout aussi silencieuse sur les violences en Guinée Conakry qui a amené le Président en exercice Monsieur Alpha Condé à briguer un troisième mandat en rupture avec la Constitution de son pays. Dès lors, se pose la question de savoir pourquoi, Monsieur le Président, la France n’a jamais dénoncé ces violences ? Pourquoi dans de telles conditions avez-vous tenu à adresser une lettre personnelle de félicitations à Monsieur Alassane Ouattara le remerciant, je vous cite : « pour l’échange plein d’espoir que nous avons eu dès le dimanche de ta réélection et le travail de réconciliation et de renouvellement que tu vas mener » ? Est-il du rôle du Président de la République de la France de donner, dans le cadre d’une interview au Journal Jeune Afrique, une interprétation purement personnelle des raisons pour lesquelles il aurait été légitime pour Monsieur Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat que n’autorise pourtant pas la Constitution car « il a considéré qu’il était de son devoir d’y aller et de ne pas reporter les élections » et que vous avez « entendu ses arguments et ses inquiétudes ».

 

Est-il dans le rôle du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères d’affirmer à son tour lors de l’une de ses auditions par la Commission des Affaires Etrangères que du fait d’un « cas de force majeure », le décès du premier ministre candidat, « les élections en Côte d’Ivoire ne pouvaient pas être décalées » alors que la conclusion exactement inverse aurait tout autant pu être tirée et faire l’objet d’un travail de consensus ? Est-il dans le rôle du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de se rendre au Niger en pleine campagne électorale et d’affirmer que « La qualité de l’élection au Niger sera une référence pour toute l’Afrique. » alors même que ces dernières ne se sont pas encore déroulées, que le fichier électoral est contesté auprès de l’Organisation Internationale de la Francophonie et que des candidats de poids ont été écartés au mépris du droit et au moyen d’une interprétation, qui semble contestable des lois de ce pays ?

 

Pourriez-vous ainsi éclairer les Français sur les principes qui fondent la dénonciation par la France des violations des droits humains dans un pays plutôt qu’un autre ? Vous êtes prompt à légitimer des coups d’Etat civils qui continuent de faire des morts et dont les conséquences sont devant nous mais un silence assourdissant se fait lorsqu’il s’agit de dénoncer la décapitation de ce jeune ivoirien N’Guessan Koffi Toussaint qui a manifesté à Daoukro, pour exercer lui aussi son droit à la liberté d’expression et d’opinion. Une décapitation considérée à juste titre comme un acte d’une insoutenable barbarie dans notre pays mais qui lorsqu’elle a lieu dans un pays africain ne provoque aucune réaction particulière de votre part, comme si cet acte n’avait tout simplement pas existé. Or nos destins sont totalement liés. Ne pensez-vous pas que ces silences suivis de messages de félicitations ne vont pas nourrir un immense ressentiment vis-à-vis de la France notamment chez les jeunes ivoiriens ?

Source : Le Soir De Bamako

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