Militarisation du pouvoir. Le terme revient sans cesse dans les nombreuses critiques qu’essuient les membres du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) depuis le début de la transition. Les récentes nominations de militaires à la tête de plus de la moitié des régions du pays, couplées à l’élection sans surprise du colonel Malick Diaw au perchoir du Conseil national de transition (CNT), ont fini par accentuer les doutes sur les réelles intentions des hommes en treillis. Au point que l’idée de leur maintien durable aux affaires, même au-delà de la transition, n’est plus écartée.
Le Conseil des ministres du 25 novembre 2020 l’a décidé, 13 des 20 nouveaux gouverneurs des régions du Mali sont désormais des militaires. Colonels et généraux proches du Vice-président de la transition, le colonel Assimi Goita, ces gouverneurs multiplient le nombre de militaires représentant l’État à l’intérieur du pays, sans compter les préfets et sous-préfets militaires également nommés récemment.
Il n’aura échappé à personne que depuis le renversement de l’ancien pouvoir les officiers ayant conduit le putsch occupent des postes hautement stratégiques au sein du gouvernement de transition et ont procédé à de nouvelles nominations dans le commandement militaire. La seule figure du CNSP restant « libre » jusque-là, le colonel Malick Diaw, a été porté le 5 décembre dernier à la tête du CNT, l’organe législatif de la transition appelé à conduire des réformes majeures et à contrôler la mise en œuvre de la feuille de route.
Mainmise pour se « sécuriser »
Des observateurs estiment que cet accaparement de pans entiers du pouvoir par les militaires résulte d’un besoin de « sécurisation ». « N’oublions pas que le pays est engagé dans une guerre contre les groupes terroristes et que ces dernières années les militaires ont payé un lourd tribut. En prenant le pouvoir, ils ont d’abord cherché à occuper le maximum possible de postes parce qu’ils se sont rendus compte du manque d’attention de la part des responsables politiques à leur égard. C’est à cause de cette crainte qu’ils ont simplement cherché à se sécuriser, faisant fi des commentaires qui peuvent émerger çà et là et assumant aussi toutes les conséquences qui peuvent en découler », pense Boubacar Salif Traoré, politologue, directeur du cabinet Afriglob conseil.
Ce dernier évoque également un environnement aujourd’hui dominé par une « rupture de confiance à tous les niveaux ». Une question de confiance que met aussi en avant le politologue et chercheur au Centre de recherches et d’analyses politiques, économiques et sociales (CRAPES) Ballan Diakité, pour lequel les militaires ont plus confiance en eux-mêmes qu’envers d’autres personnes.
« Ils sont donc dans la logique d’écarter l’ancienne classe politique du pouvoir, pour avoir les mains assez libres pour mener les réformes qu’ils ambitionnent pour le Mali ».
Militarisation sans vision ?
La direction dans laquelle veulent aller les militaires n’est pas « lisible » aujourd’hui, du point de vue de Boubacar Bocoum, un autre analyste politique, qui affirme n’avoir pas aujourd’hui « la certitude » que les militaires n’ont pas un « calendrier caché » et qu’ils sont là pour « rouler réellement » pour le pays.
La relative ferveur avec laquelle une frange importante de la population malienne avait accueilli le coup d’État du 18 août 2020 est donc retombée au fil de la mise en place de la transition et des actes posés par les militaires.
Ballan Diakité rappelle d’ailleurs que les militaires ne sont pas des « saints » venus du Ciel pour sauver le Mali et qu’ils ont tout autant de « lourdes responsabilités » dans la crise dans laquelle s’est retrouvé le pays, n’ayant pas été écarté de sa gestion depuis son indépendance, en 1960.
Si les militaires se sont approprié la transition, c’est aussi, à en croire le politologue Boubacar Salif Traoré, plus en accord avec ce qui est arrivé de par le passé que par la volonté d’insuffler une réelle vision politique.
« Quand il y a eu le coup d’État de 2012, et après que l’ancienne classe politique ait été réhabilitée, beaucoup de gens ont fait des reproches aux militaires pour lui avoir cédé le pouvoir de manière hâtive », rappelle le directeur du cabinet Afriglob conseil, ce qui fait que, même sans projet politique apparent, les militaires s’accrochent aux affaires.
« On ne peut donc pas définir aujourd’hui les véritables intentions des militaires. Nous sommes dans une situation d’incertitude et on ne sait pas très concrètement comment tout cela va se terminer », s’alarme-t-il.
Se maintenir sur la durée ?
« Tout le monde avait de l’espoir avec l’arrivée des militaires au pouvoir. Malheureusement, de ce que nous comprenons aujourd’hui à travers leurs actes, il est très clair qu’ils veulent juste s’accaparer longuement le pouvoir. Tous les actes qu’ils posent présagent qu’ils sont en train de préparer un militaire ou un proche pour l’élection présidentielle de 2022 ».
Pour ce citoyen malien intervenant récemment dans l’émission d’un média étranger, la question est déjà tranchée. Mais ce qui pour lui est une « évidence » reste pour les analystes politiques un scénario plausible, parmi beaucoup d’autres.
« Tout peut arriver. Dans ce processus, un militaire peut décider de démissionner de l’armée et de se porter candidat à la présidentielle. Aujourd’hui, plus que jamais, c’est plausible. Les militaires peuvent aussi adouber un candidat pour que ce dernier prenne le pouvoir », prévient Boubacar Salif Traoré. Selon lui, il est certain que les militaires ont un plan et affirmer le contraire serait manier la langue de bois.
« À partir du moment où il y a eu un renversement de régime, ce qui est un crime imprescriptible selon la Constitution malienne, les militaires savent qu’ils jouent gros et donc qu’il va falloir trouver les moyens de se sécuriser pour l’avenir », soutient le politologue.
Et cela passera forcément par l’absence de « problèmes majeurs » entre la junte actuellement au pouvoir et les autorités qui lui succéderont à l’issue de l’élection présidentielle de la fin de la transition. Et les militaires auront plus ou moins une grande influence sur le processus. Mais auront-ils les coudées franches pour faire passer le candidat qui leur sera favorable ?
Pour Boubacar Bocoum, la réponse est affirmative. « Les militaires seront obligés de propulser quelqu’un qui sera plus ou moins proche de leur façon de voir les choses. Les gouverneurs militaires dans les régions et ceux présents ailleurs dans l’administration territoriale vont naturellement peser à ce moment-là », croit celui qui estime également que la survie même des militaires en dépend.
« Cela est connu en Afrique. Ceux qui organisent les élections, généralement, ne les perdent pas la plupart du temps. Si les militaires ont l’intention de faire venir quelqu’un aux affaires, ils le feront. Après, il reviendra au peuple malien de valider ou d’invalider cela, d’aller à une insurrection ou pas », ajoute-t-il.
Pour essayer d’éviter tout cela et ne pas aller vers une crise post électorale, il faut tendre vers un « organe sérieux » auquel on confiera l’ensemble de l’organisation du processus électoral, préconise Ballan Diakité. « Je pense que si cela est fait il y aura une bonne transparence jusqu’à la fin du processus et donc moins de risques de contestations après ».
Par ailleurs, même déjà aujourd’hui et demain encore plus, lors de la présidentielle de 2022 le Mali sera sous étroite surveillance de la communauté internationale, d’une part, et d’autre part, avec l’historique de 2012, « les militaires au pouvoir ne prendront pas le risque de se mouiller jusqu’à un certain niveau », tempère Boubacar Salif Traoré.
Germain Kenouvi
Source : Journal du Mali