Zéro benne, zéro entreprise de retraitement, zéro tri : les poubelles des Maliens partent en fumée dans des décharges à ciel ouvert, abîmant terres et humains.
Son histoire n’est pas un cas isolé. Sur les images satellites, l’aéroport international du Mali est cerné de tâches grises qui signalent la présence de décharges sauvages. Au niveau des mairies d’arrondissement de Bamako, il n’existe pas de benne, ni d’entreprises mandatées pour la gestion des déchets. Le plus souvent, les ménages souscrivent individuellement des abonnements auprès de petits groupes d’intérêt économique (GIE) qui se chargent de l’affaire.
Abdoulaye Diakité travaille pour l’une de ces entités. Accompagné de son fils âgé d’une dizaine d’années et de son âne, il décharge une montagne de détritus non loin de la route qui longe l’aéroport, où l’urbanisation galopante de la capitale n’a pas encore rogné les terrains. Il le reconnaît : « Ici ce n’est pas un dépôt, et cela me fait mal au cœur, mais il n’y a pas d’autre choix. »
Barquettes de déjeuner
Faute d’espace aménagé, « il y a une prolifération anarchique de décharges autour de l’aéroport et dans beaucoup d’autres endroits », regrette Amadou Camara, ancien patron de la direction nationale de l’assainissement. En 2008, deux sites avaient pourtant été identifiés sur chacune des rives du fleuve Niger. Plus de dix ans plus tard, ils ne sont toujours pas opérationnels et « les gens font ce qu’ils veulent, du moins ce qu’ils peuvent. Les charretiers déposent aux points les plus proches d’eux », constate l’ex-directeur. Ces déversements illégaux induisent un « risque aviaire », souligne-t-il, car « les ordures attirent les oiseaux, dangereux pour le décollage comme pour l’atterrissage des avions ».
Les déchets ne proviennent pas que du centre de la capitale. Limitrophe de l’aéroport, le quartier général de la Mission des Nations unies au Mali, la Minusma, aurait une part de responsabilité dans cette accumulation de détritus. C’est en tout cas ce qu’avancent les riverains et les travailleurs sur place. Diakaridia Traoré, patron du GIE qui emploie Abdoulaye et accessoirement ancien maire adjoint de Sénou, affirme ainsi avoir vu un jour des membres de la Mission « déverser tous leurs restes puis les brûler ».
Il faut suivre Abdoulaye pour découvrir l’endroit en question. « C’est ici que la Minusma dépose ses déchets », dit-il pointant du doigt une fosse de quatre mètres de profondeur envahie par les herbes folles. D’après les dires des habitants de la zone, ces évacuations d’ordures ont cessé en juin, juste avant la saison des pluies. Zoumana découvrait jusque sur son champ les barquettes du déjeuner des employés, et « des plastiques de marques que je n’ai jamais vues au Mali ». Il était facile de les repérer, affirme-t-il, car leurs déchets se trouvaient « dans des sacs-poubelles » déposés par « des personnes vêtues de combinaisons blanches à cause du Covid-19 ».
La Minusma, qui a délégué la gestion de ses déchets à plusieurs sociétés, est pourtant censée se conformer à certaines normes environnementales. Elle précise d’ailleurs que « l’incinération à l’air libre de nos déchets n’est autorisée sous aucune circonstance ». Contactée au sujet du déversement sauvage à proximité de sa base de Bamako, la mission répond ignorer ce genre de pratique. « Mais, en deux années à la direction de l’assainissement, je n’ai jamais vu les contrats de la Minusma sur mon bureau », regrette Amadou Camara.
Poubellisation du paysage
Les effets de cette poubellisation du paysage ne sont pas qu’environnementaux. En lieu et place du recyclage, des silhouettes errent dans les décharges improvisées, à la recherche du plastique « lourd ». Ces hommes et femmes « ramassent ce qu’ils peuvent vendre puis mettent le feu à ce qui reste », relate Abdoulaye Diakité. Les nuées noires sont fréquentes au-dessus de Bamako. En périphérie de la capitale, les tas d’ordures qui bordent les pistes laissent parfois s’échapper des fumées toxiques. « Les gaz gênent beaucoup de personnes, observe Zoumana. Cela leur oppresse la poitrine. »
Les riverains ne sont pas les seuls affectés. En juin 2019, des soldats belges stationnés dans le camp Bifrost, voisin de celui de la Minusma, se sont plaints d’avoir été intoxiqués par les fumées de décharges brûlant à ciel ouvert. L’ACMP-CGPM, principal syndicat de l’armée belge, indiquait alors que « les troubles [étaient] typiques d’une exposition à long terme à des émanations toxiques : problèmes pulmonaires et respiratoires, troubles gastriques et intestinaux ».
Une hypothèse confirmée par le professeur Yacouba Toloba, chef du service de pneumologie à l’hôpital du Point G, à Bamako. Une étude réalisée en 2014 dans la capitale par la société d’ingénieurs française Aria Technologies, a recensé près de 400 particules fines, dont certaines – les plus dangereuses – produites par la combustion de benzène. « Nous, pneumologues, savons que ces particules sont cancérigènes », insiste M. Toloba qui a participé à l’étude. Alors que le taux maximal conseillé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est de 5 microgrammes (μg) par m3 d’air, « nous avons trouvé un taux de 45 μg à 46 μg par m3 dans les sites proches des décharges ou dans les lieux où le trafic routier est intense », développe-t-il.
« Depuis une dizaine d’années, nous observons une augmentation des maladies respiratoires, chroniques comme aiguës, liées à l’urbanisation et à la pollution des matériaux qui ne sont pas recyclés mais brûlés », poursuit le professeur. Selon lui, les personnes exposées deux à trois ans à ces fumées présentent aussi deux à trois fois plus de risques de développer un cancer bronchique dans le futur.
Source : Le Monde