Invité par Radio Rempart, le 2e adjoint au Maire de Bandiagara, Moussa Tembely, est revenu la situation sécuritaire qui prévaut dans le centre particulièrement dans le cercle de Bandiagara. Tout en saluant le travail des chasseurs, il plaide pour le retour de l’armée dans la zone. Il a aussi abordé les avantages qu’offre la bourse de l’emploi à la jeunesse de Bandiagara.
Radio Rempart : Monsieur le maire, quand nous parlons de Bandiagara aujourd’hui, la première chose à laquelle les gens pensent, c’est la situation sécuritaire. Alors, comment se présente la situation sécuritaire à Bandiagara aujourd’hui ?
Moussa Tembely : Là où nous sommes, nous-mêmes, sommes fatigués de cette situation d’insécurité. Nous avons tout tenté pour qu’il y ait la sécurité. Beaucoup de choses ont été faites pour qu’il y ait la paix mais ça n’a rien donné. Franchement, même les militaires sont dépassés par cette situation malgré les efforts qui consentent.
En plus, l’effectif des policiers et gendarmes présents est vraiment insuffisant. C’est pour cela que Dana Ambassagou a vu le jour pour aider les militaires. Sans Dana Ambassagou, la situation serait encore plus grave qu’elle ne l’est aujourd’hui. Bandiagara, étant aussi la porte d’entrée pour les visiteurs des lieux touristiques du pays dogon, doit être très bien protégé.
À cause de la situation sécuritaire, le tourisme, qui est l’une des activités génératrices de revenus pour Bandiagara,ne se fait plus et tous les guides touristiques sont orientés vers d’autres activités comme l’élevage, le maraîchage, la teinture et autres pour pouvoir survivre. Certains ont même fui Bandiagara.
En plus, les habitants de plusieurs hameaux ont complètement quitté leur hameau pour venir dans la ville de Bandiagara. Aujourd’hui, quand on entre au marché, on risque de fondre en larmes parce qu’il n’y a plus de bétail. Les terroristes les ont tous emportés.
Aujourd’hui, même pour aller dans son jardin,c’est un grand risque à Bandiagara, et il faut souvent se faire accompagner par son fusil pour ne pas se faire tuer banalement. Même pour quitter Bandiagara pour aller à Mopti, qui se faisait en un clin d’œil, c’est un problème aujourd’hui. À cause de la précarité de la situation sécuritaire, aucune des 21 communes de Bandiagara n’a pu élaborer son budget de 2021.
Même quitter ici pour aller chez moi, j’ai peur. Nous savons que les autorités de transition travaillent mais qu’elles travaillent davantage pour ramener la paix. Sinon, si ça continue ainsi, la situation serait désastreuse. Même en vous accordant cette interview, je le fais la peur au ventre.
Mais nous continuons d’œuvrer pour que la situation sécuritaire de notre région puisse connaître des améliorations. Et même l’autre jour, lors de notre rencontre avec le ministre, nous lui avons fait part de nos souffrances et il nous a promis de les exposer au conseil des ministres.
R.R : Monsieur le maire, parlanttoujours de la situation sécuritaire à Bandiagara, les gens disent que les check-points de Dana Ambassagou, notamment celui sur l’axe Sévaré-Bandiagara, rançonnent les passagers. Qu’en est-il de ces affirmations ?
M.T : Moi je ne les ai pas vus entrain de rançonner les passagers. Par contre, souvent des gens de passage, par pitié, leur donnent 1000, 500 Fcfa etc., car les conditions dans lesquelles ces chasseurs sont, font vraiment pitié et ce sont des hommes qui ont abandonné leur famille pour assurer la sécurité de la localité. Malgré les efforts que ces chasseurs consentent, ils ne reçoivent pas d’aide. Donc, les gens de passage, par pitié, leur donnent de l’argent pour s’acheter de l’eau à boire. Souvent, en passant, quand je vois ces gens, je ne peux retenir mes larmes, leurs conditions de travail sont exécrables.
Ils ne demandent à personne de leur donner de l’argent, mais si l’on leur donne quelque chose, ils le prennent. Si ce n’est pas parce que ces chasseurs étaient là, la ville de Bandiagara serait prise il y a longtemps. Normalement, c’est l’Etat qui doit assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. Mais, si l’Etat ne parvient pas à le faire, c’est normal que nous-mêmes assurions notre sécurité et c’est pour cela que Dana Ambassagou a été créé.
R.R : Monsieur le maire, vous avez parlé de la dernière attaque au cours de laquelle les auteurs ont dépossédé les victimes de leurs biens et brûlé ensuite le véhicule. Nous avons écouté aussi les propos du président du conseil régional selon lesquels 42% de la population ont fui leur lieu d’habitation. Alors, est-ce que l’Etat apporte de l’aide à ces personnes ?
M.T : D’abord, nous avons fait la demande d’appui et toutes les ONG qui sont présentes se sont investies pour nous aider. Moi, je dirais qu’il y a plus de 42% qui se sont déplacés. Car il y a 13 villages dans la commune de Toukombo qui sont aujourd’hui abandonnés par leurs habitants. Certains d’entre eux sont venus à Bandiagara ici, d’autres sont allés à l’aventure. Le gouvernement nous apporte son aide, certes, car même l’autre jour, le ministre de l’Emploi était là pour la bourse de l’emploi pour nous donner du travail. Maisnous-mêmes allons travailler pour ne pas nous faire tuer.
R.R : Parlant des chasseurs, est-ce qu’il y a la communication entre vous, équipe municipale et ces chasseurs, et entre les militaires et ces chasseurs ?
MT : La communication entre nous et les chasseurs est obligatoire car ils sont venus pour nous protéger. Donc, nous ne pouvons que leur apporter notre aide. Même la nuit, quand on informe ces chasseurs d’une attaque, ils se rendent sur le lieu en même temps que les militaires. Ces chasseurs ont aussi dit au gouvernement qu’ils ne sont pas ses ennemis, mais qu’ils combattront tous ceux qui s’attaqueront à la communauté dogon, quelle que soit leur appartenance communautaire.
Ils ont dit qu’ils sont à la disposition du gouvernement pour l’aider à combattre l’ennemi car qu’ils peuvent aller chercher les terroristes dans des endroits où les militaires ne peuvent pas se rendre. Actuellement, les chasseurs travaillent avec les militaires, la preuve, même ce matin, on a tenu une réunion restreinte avec le ministre à laquelle le chef des chasseurs a pris part.
R.R : Alors, monsieur le maire, parlant toujours de l’insécurité à Bandiagara et environs, selon vous, quelles sont les causes de celle-ci, carplusieurs communautés cohabitaient ici paisiblement?
M.T : Bon, les causes sont nombreuses et s’il faut les citer toutes, nous allons passer toute la nuit là-dessus. Donc je vais citer les principales. Il y a d’abord le problème foncier, car chez nous, les Dogons, on ne donne pas la terre mais on la prête. Ainsi, il arrive que certaines personnes à qui on a prêté la terre, il y a longtemps, se cachent pour faire un papier en leur nom pour dire que la terre leur appartient.
Il y a aussi des règlements de compte car il arrive qu’il y ait une histoire entre certaines personnes qui profitent de la situation pour se régler les comptes. Sinon il n’y a rien entre nous et les Peuls qui sont ici.
R.R : Il y a eu beaucoup de rencontres dans le cadre du retour définitif de la paix, notamment quand Dr. Boubou Cissé était Premier ministre ; il avait réussi à établir un accord de paix entre les différentes communautés pour dire que la guerre est terminée. Mais, jusqu’ici, la guerre n’est pas terminée. Alors, monsieur le Maire, Moussa Tembely, qu’est-ce qui doit être fait pour mettre fin mettre à cette guerre ?
M.T : On peut mettre fin à la guerre quand on peut voir notre ennemi, mais si l’on ne le voit pas, c’est difficile. Nous, nous sommes là et eux ils viennent commettre des attaques et se cachent après. Si l’on ne peut pas rencontrer la partie adverse, pour échanger, c’est vraiment difficile de faire la paix avec lui et c’est notre cas. Il y a eu beaucoup de choses mais nous n’y parvenons toujours pas. Ce que nous pouvons faire, c’est de prier Dieu pour qu’il nous ramène la paix, sinon on a tout tenté. Envain, et on ne sait plus quoi faire.
R.R : Le ministre était ici et il a fait une rencontre avec Youssouf Toloba. Alors, selon vous, est-ce que cette rencontre pourrait contribuer au retour de la paix dans la région de Bandiagara ?
M.T : Oui, ça peut contribuer au retour de la paix car quand il y a la guerre, il faut rencontrer les différentes parties pour connaître les causes afin de rechercher les solutions adéquates, et c’est ce que le ministre a fait. Lors de la rencontre, M. Toloba a dit beaucoup de choses et quand tu vois la chèvre mordre, c’est qu’on lui a cassé les cornes. Mais j’ignore ce qu’ils se sont dit et c’est sur Facebook que j’ai vu leur photo.
Monsieur Toloba a dit aussi qu’il n’abandonnera jamais le Mali et qu’il n’ira nulle part. Je pense que des choses importantes ont été dites lors cette rencontre, qui pourraient être bénéfiques.
R.R : Monsieur le Maire, dans cette situation de crise, qu’est-ce que l’équipe municipale a fait car je sais que votre équipe est installée depuis 2016 jusqu’à maintenant ?
MT : Nous avons fait beaucoup de choses dans les quartiers. Nous avons initié des rencontres de dialogue. Nous avons aussi réuni les chefs de tous les quartiers pour échanger et leur avons dit de dénoncer toute personne suspecte à la mairie.
Nous avons aussi fait un rapport sur la situation sécuritaire à Bandiagara que nous avons remis au gouverneur qui était en ce temps Sidi Alassane Touré, qui nous a félicités car nous avons été les seuls à faire un rapport sur la sécurité parmi toutes les mairies des 8 cercles de la région.
R.R : Monsieur le Maire, Mohamed Salia Touré, le ministre de l’emploi et de la formation professionnelle, est venu à Bandiagara pour le lancement de la 3e édition de la bourse de l’emploi et de la formation professionnelle. Selon vous, quels profits peuvent tirer les habitants de Bandiagara de cette bourse ?
M.T : Cette bourse est importante car nous, les Dogons, nous ne connaissons que le travail et c’est seulement le travail que nous avons appris, et le ministre lui-même sait ça, car ce n’est pas sa première fois de venir ici.
Cette bourse profite beaucoup aux jeunes et même à la mairie. Car quand ils ouvriront leurs ateliers, la mairie en profitera parce qu’ils vont payer des taxes et impôts. En plus, ces jeunes pourront prendre leur famille en charge à travers cette bourse.
R.R : Monsieur le Maire, comment se présente la situation de la maladie à coronavirus à Bandiagara ?
MT : Moi-même je suis dans le comité Covid du cercle de Bandiagara et c’est moi qui représente notre mairie dans ce comité. La mairie a joué un grand rôle dans la lutte contre la Covid. Au début, ce sont les membres du comité Covid qui ont cotisé, plus une ONG qui a aussi donné 10000 euros pour acheter des kits. Depuis que cette pandémie est arrivée au Mali, il n’y a eu qu’un cas dans la commune de Bandiagara et sa prise en charge a été faite dans le grand hôpital de Bandiagara.
Toutes les associations ainsi que toutes les ONG ici ont donné un coup de main à la mairie dans la lutte contre cette maladie. Nous ne pouvons pas dire que la maladie est finie mais nous avons constaté que la population respecte les mesures barrières car dans chaque famille où on entre, on y un kit de lavage de mains.
Nous avons appris que 50 millions ont été donnés à la région de Mopti, mais Bandiagara n’a même pas reçu un franc de cet argent et je peux le dire haut et fort. Ce sont seulement nos contributions et cotisations qui nous ont permis d’acheter les kits que nous avons. Il y a le gouvernement aussi qui a envoyé des masques qui ont été distribués entre toutes les communes du cercle de Bandiagara.
R.R : Moussa Timbely, l’interview touche à sa fin, alors quel est votre dernier message ?
M.T : Pour mon dernier message, je salue tout d’abord Radio Rempart qui me permet de partager ce qui se passe à Bandiagara avec l’opinion nationale et internationale. S’il faut évoquer tous les problèmes que nous vivons ici, on va faire toute la nuit là-dessus.
Actuellement, les attaques sont en tout cas rares car depuis le 13 novembre 2020, il n’y a pas eu d’attaque. Mais malgré cela, nous vivons tous la peur au ventre en empruntant la route de Mopti. Pour se rendre à Mopti, on se procure de tout ce qui peut nous servir de protection : les fétiches, les formules magiques, etc.
Fadiala N. Dembélé
Stagiaire
Nouvelle Libération