Il s’est d’abord fait connaître par ses enquêtes sur la corruption des élites russes. Et il a fini par incarner à lui seul l’opposition à l’inamovible président russe. De simple trouble-fête, Alexeï Navalny est devenu en moins de dix ans un véritable ennemi pour le Kremlin. Des manifestations de l’hiver 2012 à la tentative d’empoisonnement de l’été 2020, retour en trois dates-clé sur le parcours de l’opposant « numéro un » à Vladimir Poutine.
De nos correspondants à Moscou,
Moscou, 5 décembre 2011. Navalny le contestataire
« On dit de nous que nous sommes des hamsters rivés à leurs ordinateurs. Oui, je suis un hamster du Net et je vais ronger les gorges de ces salauds ! »
C’est ce jour-là sans doute qu’Alexeï Navalny franchit un cap au sein d’une opposition où il commençait à se faire un nom sans réellement s’y imposer. Le 5 décembre 2011, plusieurs milliers de personnes battent le pavé moscovite pour dénoncer les fraudes qui ont entaché les élections législatives et la victoire de Russie Unie, le parti au pouvoir. Alexeï Navalny est alors âgé de 34 ans, et il est surtout connu pour son combat anti-corruption, et pour son activité de blogueur. C’est lui également qui a donné naissance à un slogan qui allait faire florès dans les manifestations anti-Poutine, celui brocardant « le parti des escrocs et des voleurs. » Lorsqu’il s’adresse aux quelques milliers de personnes venues se presser sur le boulevard Tchistoproudny, en plein centre de Moscou, Alexeï Navalny tranche par l’intransigeance de ses propos, et par la colère qui l’anime contre Vladimir Poutine. Brocardée par le régime pour n’être présente que sur internet, l’opposition n’ose croire qu’elle est en mesure de faire descendre dans la rue plusieurs milliers de personnes, encore moins quelques dizaines de milliers. « On dit de nous que nous sommes des hamsters rivés à leurs ordinateurs, lance alors Alexeï Navalny devant une audience médusée. Oui, je suis un hamster du Net et je vais ronger les gorges de ces salauds ! » L’opposant est arrêté dans la foulée du rassemblement, le premier d’un mouvement qui ne s’éteindra qu’au printemps suivant. Il est condamné à 15 jours de prison, et effectue son premier séjour en détention. Alexeï Navalny y gagne ses galons d’opposant « incontournable ».
Premiers engagements
Le parcours qui l’a mené à ce rôle central au sein de l’opposition russe débute une décennie plus tôt, au début des années 2000. Parallèlement à sa carrière d’avocat et d’entrepreneur, il adhère au parti libéral et pro-européen Iabloko. Il est alors âgé de 24 ans, et détonne déjà par ses capacités d’organisateur, et par son charisme. « Je me souviens avoir pris le métro avec lui à ses débuts, on rentrait des débats politiques ensemble, et on prenait la même ligne, raconte Konstantin Vorokov, auteur d’une biographie parue en 2011*. C’était sidérant de voir les gens autour de lui, qui commençaient à lui parler… Et lui qui répondait à toutes leurs questions durant deux ou trois stations. Il n’était pas connu mais c’était déjà quelqu’un de charismatique, il dégageait une énergie dont il ne se rendait pas compte lui-même. » Ses premiers pas en politique ne sont pas sans accrocs : pour avoir flirté avec la mouvance nationaliste, pour avoir participé aux « Marches russes », et pris des positions anti-immigration, il est exclu de Iabloko en 2007. Une rupture qui n’a toujours pas été digérée 14 ans plus tard, comme en témoigne la prise de position très critique à l’encontre d’Alexeï Navalny adoptée récemment par Grigori Iavlinski, le fondateur du parti libéral, et l’une des figures de l’opposition russe.
Combat contre la corruption
Déçu par l’engagement politique traditionnel, Alexeï Navalny se lance dans le combat qui deviendra sa marque de fabrique – et peut-être aussi la source de tous ses ennuis : la lutte contre la corruption. « Il s’est mis à acheter des actions dans les grandes entreprises semi-étatiques du pays, et à leur demander des comptes, se souvient l’économiste Sergeï Gouriev, qui enseigne aujourd’hui à Sciences-Po Paris après avoir fui la Russie en 2013. Bien sûr, il n’a pas réussi à changer ces entreprises qui sont restées totalement corrompues, mais il a réussi à faire la lumière sur plusieurs cas de corruption ou de détournements de fonds, notamment au sein de la banque VTB, ou du groupe pétrolier Transneft. » Ce combat contre la corruption va l’amener à défricher un terrain de jeu dont le pouvoir se désintéresse alors totalement : l’internet russe et ses plateformes de discussions très suivies par une génération qui se détourne d’autant plus volontiers des chaînes de télévision que celles-ci ont été totalement phagocytées par le Kremlin. Longtemps qualifié, avec mépris, de « blogueur » par le Kremlin, Alexeï Navalny exploite à fond ce nouveau vecteur d’expression et de mobilisation. Son blog remporte un succès croissant, et il crée plusieurs sites permettant de dénoncer des affaires de corruption et de financer des enquêtes pour les débusquer – l’embryon de sa « Fondation anti-corruption », aujourd’hui qualifiée par les autorités « d’agent de l’étranger », et l’objet de multiples procédures judiciaires. Lorsqu’éclate le mouvement de contestation de l’hiver 2011-2012, le blogueur anti-corruption ajoute une flèche redoutable à son arc : sa capacité à électriser les foules, et la mobilisation dans la rue. Il ne lui reste plus qu’une étape à franchir : celle des urnes et de la participation aux élections. Le Kremlin va tout faire pour l’en empêcher.
Une manifestation anti-Poutine, le 8 mai 2012. Reportage à Moscou d’Anastasia Becchio
Moscou, le 9 septembre 2013. Navalny, le candidat
« Si la mairie continue à nier aux Moscovites le droit d’avoir des élections justes, nous en appellerons aux citoyens, et leur demanderons de sortir massivement dans la rue. »
Alors qu’il est qualifié par certains observateurs « d’opposant numéro 1 » en Russie, Alexeï Navalny est souvent présenté par ses détracteurs comme un opposant totalement coupé de la « Russie profonde », soutenu dans les sondages d’opinion par seulement 3% de la population. « Mais c’est oublier un peu vite l’incroyable résultat de la seule élection à laquelle il a pu participer, objecte Sergeï Gouriev, « celle de 2013 pour la mairie de Moscou. » Contre toute attente, l’opposant réunit alors 27% des voix au premier tour. Sergeï Sobyanine, maire sortant et candidat du Kremlin, n’évite le second tour que d’un cheveu avec 51% des suffrages. « Il aurait dû y avoir un second tour s’il n’y avait pas eu de fraudes, estime Sergeï Gouriev. Et c’était la première fois sous Poutine qu’un candidat de l’opposition obtenait un tel résultat dans la capitale russe. » Les autorités ont eu d’autant plus peur que d’autres candidats de l’opposition « réelle » parviennent au même moment à se faire élire dans des villes importantes, notamment à Iekaterinbourg dans l’Oural ou à Petrozavodsk en Carélie. Désormais, le Kremlin va s’employer à museler l’opposant, et à tout faire pour l’empêcher de participer aux élections.
Principal outil à sa disposition : le très docile système judicaire russe, qui va faire pleuvoir les condamnations sur l’opposant en se servant de son passé d’entrepreneur (affaire Kirovles, affaire Yves Rocher) et de la législation très restrictive sur les manifestations. Les condamnations se multiplient, ainsi que les peines de prisons courtes ou avec sursis. Au mois d’octobre 2017, le verdict tombe : la commission électorale russe annonce qu’Alexeï Navalny restera inéligible jusqu’en 2028 en raison de son casier judiciaire. Les autorités lui barrent ainsi la route de l’élection présidentielle de 2018, puis elles enfoncent le clou en empêchant ses partisans de participer aux élections locales de 2019. Qu’il s’agisse du Kremlin, ou même d’élections locales sans enjeu réel, la porte des élections est fermée à double tour. Et les nombreuses tentatives de l’opposant pour faire enregistrer un parti politique échouent les unes après les autres.
Cocktail explosif
Privé d’élections, Alexeï Navalny peut compter sur une arme redoutable : son audience sur internet, qui lui permet de contourner le black-out infligé par la télévision. Sur les réseaux sociaux ou dans les vidéos postées sur Youtube, Alexeï Navalny offre un cocktail explosif : un humour ravageur, des enquêtes fouillées et dévastatrices pour l’élite au pouvoir, et l’image moderne d’une famille unie et terriblement photogénique. Car, avec la montée en puissance des réseaux sociaux, l’opposant n’hésite pas à publier des clichés de son épouse Ioulia Navalnaya et de leurs deux enfants. Un contraste saisissant avec l’opacité totale qui entoure la vie privée de Vladimir Poutine, et avec le mépris manifesté par le président russe vis-à-vis d’internet et des réseaux sociaux. L’audience phénoménale que l’opposant recueille sur internet va porter ses fruits au printemps 2017, avec la vidéo Ne l’appelez pas Dimon, qui accuse de corruption le premier ministre de l’époque Dmitri Medvedev. L’effet est ravageur pour le pouvoir, et la vidéo visionnée plus de 30 millions de fois va pousser dans la rue des dizaines de milliers de personnes – du jamais vu depuis le mouvement de 2011-2012. Alexeï Navalny sera privé d’élection l’année suivante mais il prouve que son pouvoir de nuisance est intact. Et il va se doter d’une arme de plus face au pouvoir : le système de « vote intelligent » qui doit lui permettre de lutter contre Russie Unie par le biais des partis « autorisés » par le système.
Cocktail explosif
Privé d’élections, Alexeï Navalny peut compter sur une arme redoutable : son audience sur internet, qui lui permet de contourner le black-out infligé par la télévision. Sur les réseaux sociaux ou dans les vidéos postées sur Youtube, Alexeï Navalny offre un cocktail explosif : un humour ravageur, des enquêtes fouillées et dévastatrices pour l’élite au pouvoir, et l’image moderne d’une famille unie et terriblement photogénique. Car, avec la montée en puissance des réseaux sociaux, l’opposant n’hésite pas à publier des clichés de son épouse Ioulia Navalnaya et de leurs deux enfants. Un contraste saisissant avec l’opacité totale qui entoure la vie privée de Vladimir Poutine, et avec le mépris manifesté par le président russe vis-à-vis d’internet et des réseaux sociaux. L’audience phénoménale que l’opposant recueille sur internet va porter ses fruits au printemps 2017, avec la vidéo Ne l’appelez pas Dimon, qui accuse de corruption le premier ministre de l’époque Dmitri Medvedev. L’effet est ravageur pour le pouvoir, et la vidéo visionnée plus de 30 millions de fois va pousser dans la rue des dizaines de milliers de personnes – du jamais vu depuis le mouvement de 2011-2012. Alexeï Navalny sera privé d’élection l’année suivante mais il prouve que son pouvoir de nuisance est intact. Et il va se doter d’une arme de plus face au pouvoir : le système de « vote intelligent » qui doit lui permettre de lutter contre Russie Unie par le biais des partis « autorisés » par le système.
Dans un cortège pro-Navalny, le 13 juin 2017. Reportage à Moscou de Muriel Pomponne
Tous contre Russie Unie
C’est à partir de 2019 que ce nouvel outil est mis en œuvre, après que les commissions électorales de nombreuses villes ont refusé de valider les candidatures de l’opposition aux élections locales. Au lieu d’appeler au boycott du scrutin comme il l’a fait en 2018, l’opposant demande aux électeurs de choisir le candidat le mieux placé pour battre celui de Russie Unie. Qu’il s’agisse d’un libéral, d’un communiste ou même d’un nationaliste. Le système fait ses preuves à l’automne 2019 à Moscou, en facilitant la défaite d’un grand nombre de candidats de Russie Unie. L’année suivante, Alexeï Navalny espère rééditer l’exploit dans d’autres villes russes. Il multiplie les déplacements dans ces localités qu’il estime « prenables » au parti en place. L’une d’elles se trouve en Sibérie, il s’agit de la ville de Tomsk où il part tourner une vidéo sur la corruption des élites locales. Le 20 août au matin, dans l’avion qui doit le ramener à Moscou, il fait un malaise et tombe dans le coma. Après l’empoisonnement raté de Sergueï Skripal, en mars 2018, le monde entier s’interroge sur la possibilité d’une tentative d’assassinat. A commencer par Ioulia Navalnaya, qui se bat bec et ongles pour obtenir le transfèrement de son mari en Allemagne. Loin des médecins russes, et des agents du FSB.
Berlin, 15 septembre 2020. Le patient allemand
« Hier, j’ai pu respirer par moi-même toute une journée. Ça m’a beaucoup plu, c’est un procédé étonnant et sous-estimé par beaucoup. Je le recommande. »
Plus de dix ans se sont écoulés depuis les débuts du blog « Navalny » sur la plateforme LiveJournal. Désormais les réseaux sociaux ont pris le pouvoir sur internet et c’est sur Instagram qu’Alexeï Navalny fait ses toutes premières déclarations depuis sa sortie du coma. « Le patient de Berlin » comme le surnomme alors Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, est un miraculé pour ses partisans, un affabulateur pour les médias pro-Poutine. Quelques semaines après son malaise dans le vol Tomsk-Moscou de la compagnie S7, Alexeï Navalny entame sa convalescence. L’opposant assure avoir été empoisonné au Novitchok, un poison d’origine militaire créé à l’époque soviétique. Celui-là même qui fut utilisé, en mars 2018, contre l’ancien agent double Sergueï Skripal. Les dires d’Alexeï Navalny sont confirmés par l’hôpital berlinois qui le soigne, puis par plusieurs laboratoires européens. L’affaire Navalny fait la une de la presse internationale et provoque de nouvelles tensions entre les pays occidentaux et la Russie – qui refuse d’ouvrir une enquête sur ce qu’elle considère comme un malaise d’origine médicale, ou encore d’une simulation orchestrée avec la collaboration de services de renseignements étrangers pour déstabiliser la Russie.
Dès les premiers entretiens qu’Alexeï Navalny donne à la presse étrangère, l’opposant accuse directement le FSB et Vladimir Poutine d’être à l’origine de cette tentative d’empoisonnement. Avec l’aide des sites d’investigation Bellingcat et The Insider, il parvient même à identifier l’équipe d’agents du FSB qui était chargée de le suivre à la trace depuis 2017. « Alexeï Navalny en est lui-même convaincu, explique Sergeï Gouriev, son élimination est envisagée à ce moment-là, en 2017, parce que c’est à cette époque qu’il annonce son intention de se présenter à l’élection présidentielle qui aura lieu l’année suivante. Il n’a pas pu se présenter mais il a fait tout de même campagne dans tout le pays, et il a réussi à monter un réseau national de militants avec des bureaux dans de nombreuses villes. C’est à partir de ce moment-là que le Kremlin a commencé à avoir vraiment peur de lui. »
L’affaire Yves Rocher
Durant sa convalescence, Alexeï Navalny annonce qu’il n’a pas l’intention de rester à l’étranger. Sa hantise : devenir un opposant exilé, dont l’influence va forcément s’amenuiser avec le temps. À Moscou, tout le monde s’interroge sur la conduite que tiendra le Kremlin lorsqu’Alexeï Navalny remettra les pieds sur le sol natal. La réponse tombe à la fin du mois de décembre, par le biais d’un bref communiqué du FSIN, le service pénitentiaire russe. Celui-ci accuse Alexeï Navalny de ne pas avoir respecté les conditions de son contrôle judiciaire, alors qu’il se trouvait en convalescence à Berlin. Le FSIN demande donc à la justice russe de convertir en prison ferme une peine de trois ans et cinq mois avec sursis, prononcée en 2014 dans l’affaire Yves Rocher. Accusé avec son frère Oleg de détournement de fonds au détriment de l’entreprise française de cosmétique, Alexeï Navalny a toujours dénoncé une affaire « fabriquée de toutes pièces » – et la Cour européenne des droits de l’homme a estimé « inéquitable » le procès intenté à l’opposant. Peu importe que la Russie ait été obligée par la Cour de verser une compensation financière à l’opposant, c’est bien cette affaire, vieille de près de dix ans, qui servira de prétexte aux autorités pour le mettre derrière les barreaux, s’il ose revenir dans son pays.
« Ne t’en fais pas, tout ira bien »
Le 17 janvier 2021, après cinq mois de convalescence en Allemagne, Alexeï Navalny décide de revenir en Russie, malgré le risque d’être arrêté, puis condamné. La menace brandie par les autorités est aussitôt mise à exécution : l’opposant est interpellé alors qu’il s’approche du contrôle des passeports – pour éviter la foule de partisans venue l’accueillir, son vol a été au préalable détourné vers un autre aéroport. « La vérité et la justice sont de mon côté, lance l’opposant quelques minutes avant d’être arrêté. Je n’ai peur de rien et je vous appelle à ne pas avoir peur. » Le lendemain, sa détention est prolongée de trente jours au terme d’une audience expéditive et quelque peu surréaliste puisqu’elle se déroule dans un commissariat de la banlieue de Moscou. Le mouvement a perdu son principal dirigeant, mais celui-ci dispose encore de deux de ses armes favorites : les mobilisations dans la rue, et les enquêtes anti-corruption. Cette fois, Alexeï Navalny sort la très grosse artillerie : une vidéo accablante sur le « Palais de Poutine » cette résidence ultra-luxueuse que le président russe est accusé de s’être fait bâtir sur les rives de la Mer Noire. La vidéo bat tous les records en la matière, et dépasse les 110 millions de vues.
Dans la foulée, les manifestations en soutien à l’opposant battent également de nouveaux records : plus de 100 000 manifestants dans plus de 110 villes russes, les 23 et 31 janvier. La réponse policière est à la mesure de l’affront : plus de 10 000 personnes sont arrêtées pour avoir participé à ces manifestations « illégales », les principaux alliés de l’opposant sont incarcérés ou assignés à résidence. Le Kremlin est déterminé à aller jusqu’au bout, et la justice l’a bien compris : le 2 février Alexeï Navalny est condamné à deux ans et huit mois de prison ferme pour avoir violé son contrôle judiciaire. « Ils emprisonnent un homme pour en terrifier des millions, s’indigne l’opposant… Mais ils ne pourront pas mettre en prison le pays tout entier. » A l’énoncé du verdict, Alexeï Navalny dessine un cœur sur la vitre de son « aquarium », la cage de verre qui le sépare de la salle d’audience et de sa femme Ioulia. En quittant la salle, l’opposant adresse un dernier message à son épouse : « ne t’en fais pas, tout ira bien. »
«Le Palais de Poutine», la vidéo choc d’Alexeï Navalny, par Daniel Vallot (le 18 janvier 2021).
Le combat « continue »
Le Kremlin s’est débarrassé pour plusieurs années de l’opposant. Mais le combat « continue » assurent ses soutiens qui promettent de nouvelles manifestations au printemps et à l’été prochain. Avec, derrière les barreaux, un homme qui a acquis une nouvelle stature en Russie. « Alexeï Navalny est devenu un symbole pour beaucoup de monde, analyse le journaliste Konstantin Voronkov. Il a montré qu’il ne fallait pas avoir peur du pouvoir et de la répression. C’est pour ça que les gens descendent dans la rue : pas forcément pour soutenir Navalny en tant qu’homme politique, mais parce qu’à leurs yeux il incarne toute l’injustice de ce système.»
NewsletterRecevez toute l’actualité internationale directement dans votre boite mail
► À lire aussi : Russie: lourde journée devant les tribunaux pour Alexeï Navalny
Reste que le coup porté est rude, d’autant plus rude qu’une autre affaire permet aux télévisions proches du pouvoir d’entacher encore davantage l’image déjà très négative qu’elles donnaient de lui depuis des années. Accusé d’avoir diffamé, sur les réseaux sociaux, un vétéran de la seconde guerre mondiale contre l’Allemagne, Alexeï Navalny est de nouveau condamné, le 20 février, par un tribunal moscovite. Il ne s’agit pas d’une peine de prison, mais d’une amende de 850 000 roubles (un peu moins de 10 000 euros). L’important est ailleurs : dans les très nombreux programmes consacrés à l’affaire, les commentateurs pro-Kremlin se déchaînent contre l’opposant, accusé d’avoir insulté non seulement un vétéran, mais aussi le souvenir de la Seconde Guerre mondiale – un reproche gravissime dans un pays où l’on ne cesse de célébrer le souvenir de la Grande guerre patriotique. « La télévision russe a été extrêmement efficace pour créer une image négative de Navalny, commente Sergeï Gouriev, et les gens qui continuent de dépendre de la télévision pour s’informer ont une très mauvaise image de lui. En Russie, la situation est très différente de la Biélorussie où Loukachenko n’a guère plus de 20% d’opinion positive. Ici, Vladimir poutine reste populaire, et Navalny n’a pas le soutien de la majorité. »
Les derniers sondages effectués par l’institut Levada en témoignent : la cote de popularité d’Alexeï Navalny a certes progressé depuis son empoisonnement, mais elle reste très faible au regard de celle que conserve le président russe. Plus inquiétant encore pour l’opposant, et rassurant pour le Kremlin, ces sondages témoignent d’une très grande stabilité du nombre de Russes se déclarant « indifférent, ou peu concerné » par la vie politique russe. Même lorsque le principal opposant du pays dénonce une tentative d’empoisonnement, publie une vidéo accablante pour le président russe, et se voit condamné à deux ans et demi de prison ferme. D’autres affaires en cours – notamment celle accusant sa Fondation anti-corruption de détournement de fonds – pourraient encore permettre aux autorités de prolonger son séjour en prison, si besoin jusqu’à l’élection présidentielle de 2024. Mais il reste un atout dans la manche de l’éternel opposant : son âge, 44 ans, qui lui permet de se projeter sur le long terme Surtout face à un Vladimir Poutine vieillissant ; car le président russe qui peut rester au pouvoir, théoriquement, jusqu’en 2034 aura – et avec le soutien grandissant des nouvelles générations, qui préfèrent s’informer sur internet plutôt qu’auprès des télévisions contrôlées par le pouvoir.
RFI