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«Un Malien, un masque» : retour sur une opération foireuse

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Les masques de l’opération «Un Malien, un masque» censés être distribués gratuitement sont en vente partout à Bamako au vu et au su des autorités. En plus de ce scandale, note le site ouestaf.com, subsistent des interrogations autour du marché de la confection, avec plusieurs zones d’ombre et une cinquantaine de tailleurs nationaux qui courent toujours derrière leur argent auprès des autorités.

 

C’est un secret de polichinelle :les masques fabriqués dans le cadre de l’initiative gouvernementale «Un Malien, un masque» sont en vente partout à Bamako. C’est ce que révèle le site ouestaf.com. Pourtant, ils étaient censés être gratuitement distribués aux populations.

«La marque distinctive (Un Malien-un masque) estampillée sur ces masques permet d’éviter toute possibilité de les détourner. Ils ne pourront être vendus ni au Mali ni au Sénégal ou dans un autre pays voisin. C’est un don et (ils) ne doivent dès lors être distribués qu’aux Maliens», avait rassuré Youssouf Bathily, président de la Chambre de commerce et d’industrie du Mali (CCIM), le 2 juillet 2020, lors de la remise de 1 852 500 masques aux régions de Koulikoro, Ségou et à trois institutions de la République.

Le journal en ligne rapporte que devant la mairie centrale du district de Bamako, à une vingtaine de mètres du bureau de la Chambre de commerce et d’industrie, plusieurs vendeurs de masques passent la journée. La plupart vend des échantillons des 7 millions de pièces commandées et importées de la Chine, au nez et à la barbe de M. Youssouf Bathily.

Parmi les vendeurs ambulants, Sékou Traoré, un jeune d’une vingtaine années, affirme commercialiser le masque chinois du programme présidentiel depuis août. «Ce sont des personnes à moto et souvent en voiture qui nous les vendent. Nous prenons l’unité avec eux entre 250 et 400 FCFA pour revendre à 500 FCFA. Ça marche très bien parce que les gens aiment bien ces masques», a-t-il indiqué.

Une vente que reconnaît le secrétaire général de la Chambre de commerce et d’industrie du Mali, Cheick Oumar Camara. «Ce n’est pas une quantité importante. Nous avons découvert deux points de vente à Bamako. Des enquêtes sont en cours pour situer les responsabilités», a-t-il souligné à Ouestaf News, le 22 décembre 2020, lors d’un entretien téléphonique. Selon lui, le manque de suivi des masques distribués explique leur détournement par des agents en charge de la distribution.

À la date du 19 décembre 2020, le ministère du Commerce ignorait le nombre de masques distribués. «Nous sommes en train de faire le point sur l’achat et la distribution des masques. Vous aurez toutes les informations dans les prochains jours», a confié à Ouestaf News, Adama Yoro Sidibé, secrétaire général du ministère de l’Industrie et du Commerce.

Sur les 20 millions de masques prévus, 7 millions ont été commandés de la Chine, selon le ministère du Commerce qui coordonne l’opération. «Nous venons de commencer la distribution de 10 millions de masques dont sept millions importés de la Chine et trois millions confectionnés par nos artisans. Ce sont des masques utilisables pendant six mois», s’était réjoui M. Sidibé, le 2 juillet 2020, à la remise de 1 852 500 masques aux régions de Koulikoro, Ségou et à trois institutions de la République.

Un million de masques en trois jours 

Pour rompre la chaîne de contamination du Covid-19, l’ancien président de la République, Ibrahim Boubacar Keita, qui sera renversé quelques jours plus tard, le 18 août, par un coup d’Etat militaire, avait lancé le programme «un Malien, un masque». Ilconsiste à offrir 20 millions de masques aux populations. Comptant sur les industries du textile et les tailleurs professionnels maliens, il a promis de livrer les premiers masques en une semaine.

Le marché est alors confié au ministère du Commerce et de l’Industrie qui, à son tour, le délègue à la Chambre de commerce et d’industrie du Mali (CCIM). Pour respecter l’engagement du président à offrir du travail aux tailleurs professionnels et aux industriels maliens dont les activités étaient paralysées par le couvre-feu et l’interdiction de rassemblement, la CCIM attribue le marché de la fourniture d’un million de masques à l’Assemblée permanente de la Chambre de métiers du Mali (APCM), à laquelle la Fédération nationale des tailleurs est affiliée.

Après l’accord avec la CCIM, une commission composée d’un tailleur professionnel, du directeur national de l’artisanat, du directeur du Centre de développement de l’artisanat textile et un agent de l’APCM a été mise en place. Elle est également appuyée par d’autres personnes ressources pour les aider, selon Mamadou Minkoro Traoré, président de l’APCM.

Mieux, ajoute le président de l’APCM, «tous les canaux de communication ont été utilisés pour qu’il n’y ait pas d’exclusion. Tous ceux qui ont la carte professionnelle et à jour de leur paiement d’impôts sont invités à venir signer le contrat».

D’après M. Traoré, l’APCM a ainsi reçu la commande d’un million de masques à produire dans trois jours. «On nous a confié la commande le 15 avril, à charge pour nous de produire et de livrer le million de masques avant le 19 avril, date du 2e tour des élections législatives», précise-t-il.

C’est sur cette base que se sont engagés les tailleurs qui ont signé le contrat. «D’ailleurs, chaque signataire a lui-même proposé le nombre de masques qu’il est capable de produire en trois jours. Tout en sachant que chaque jour de retard équivalait à une perte de 2% du montant global du contrat signé», argumente le président de l’APCM. Contre toute attente, «c’est 27 jours après que le million de masques a été réalisé par les tailleurs», regrette le président de l’APCM.

Kyrielle de justifications

La Fédération des tailleurs reconnaît le retard dans la fourniture des masques, mais avance des raisons indépendantes de la volonté des fournisseurs. «Les tailleurs n’avaient rien quand ils signaient les contrats. Le Covid-19 avait ralenti nos activités et beaucoup d’entre nous n’avaient pas les moyens d’acheter la matière première», s’est défendu Adama Kéita, président de la fédération des tailleurs. Il ajoute que l’APCM a aussi refusé de donner des avances aux tailleurs qui ont eu «tous les problèmes du monde pour se procurer des tissus».

Kéita a été le dernier tailleur à signer le contrat. «Sur la commande d’un million de masques, il restait encore 50 000 masques non attribués. Je me suis engagé à fournir cette quantité en trois jours. J’ai les moyens et les équipements nécessaires pour cela», a souligné M. Keita. Mais il prendra 12 jours pour livrer les 50 000 masques.

Pour Adama Keita, le manque de fonds de démarrage n’a pas été la seule raison qui explique le retard accusé dans la fourniture des masques. «Ceux qui avaient les moyens d’acheter, ont été confrontés à la pénurie de tissus sur le marché. Les frontières étaient fermées et les industriels locaux qui devraient nous fournir la matière première ont également bénéficié de la commande de confection de masques. Et ces derniers se sont d’abord servis pour réaliser leurs propres commandes avant d’approvisionner le marché. C’est ce qui nous a réellement handicapés», insiste le président de la Fédération des tailleurs.

Comme les tailleurs, les industries du textile n’ont pas pu honorer leurs engagements à livrer la commande de deux millions de masques qui leur a été attribuée. Le reliquat de cette commande non livrée de 150 000 masques a finalement été réattribué aux tailleurs vers la fin du mois de mai. Une cinquantaine de tailleurs se le sont partagés et l’ont livré courant juin 2020.

Imbroglio dans la commande locale

L’APCM n’a pas eu de problème pour le paiement de la première commande d’un million de masques. Mais pour les 150 000 masques, l’agence ne parvient toujours pas à payer les tailleurs huit mois après la livraison de la commande.

Selon Mamadou Minkoro Traoré, président de l’APCM, le blocage se situe au niveau des impôts. «En nous confiant la commande on ne nous a pas dit que c’était en TTC (Toutes taxes comprises). Ils nous avaient tout simplement dit que c’était un marché de gré à gré parce que nous sommes des sous-traitants. Mais à la dernière minute, on nous propose un contrat nous obligeant à aller payer 3,5% de frais d’enregistrement et après on doit payer le Bénéfice industriel et commercial (BIC). Tout cela n’était pas prévu au début du marché», explique M. Traoré.

Selon le responsable de l’APCM, l’unité de masque était rémunérée à 500 FCFA. L’APCM a pris 10% soit 50 FCFA pour faire les emballages, assurer le transport et le per diem des personnes qui interviennent nuit et jour dans le processus. Donc, ce sont les 90% soit 450 FCFA qui ont été payés aux tailleurs pour chaque masque livré.

Toutefois, précise Mamadou Minkoro Traoré, président de l’APCM, les négociations avec les tailleurs sont en cours pour que ces derniers puissent entrer en possession de leurs fonds.

Enigme sur la commande chinoise

Les trois millions de masques fabriqués localement ont coûté 500 FCFA l’unité à l’Etat soit un milliard cinq millions de FCFA (1 500 000 000). Mais quid des 7 millions de pièces importées de la Chine ?

Aucune information sur le coût de ce marché. Aucune information non plus sur les 10 millions de masques restants. La promesse de l’ex-président était de fournir 20 millions d’unités. Une situation qui ne manque pas de susciter des interrogations sur la transparence de l’opération «un Malien, un masque».

«Nous avons tapé à toutes les portes pour avoir des informations sur le coût du programme et comment le fonds est géré, mais sans succès. Les masques sont vendus au marché au vu et su de tous alors que (certaines) populations n’en ont pas eu encore. C’est dommage», regrette Moussa Kondo, coordinateur d’AccountabilityLab, une ONG qui lutte pour la bonne gouvernance depuis 2016.

Pourtant, le ministère du Commerce, à travers son secrétaire général, Adama Yoro Sidibé, a confirmé à Ouestaf News que le rapport final du programme est prêt et que des instructions ont été données pour que le contenu soit communiqué à la presse.

Joint par Ouestaf News, le secrétaire général de la Chambre de commerce confirme l’existence du rapport mais refuse d’en communiquer le contenu estimant «que le président de la Chambre est mieux placé pour informer sur le nombre de masques achetés et le coût réel».

Interpellé sur la question, le président de la Chambre de Commerce et d’industrie Youssouf Bathily n’a pas voulu répondre aux questions d’Ouestaf News, s’abritant derrière la campagne en cours pour le renouvellement à la tête de la Chambre de commerce et d’industrie du Mali. Il y ajoute le beau prétexte qu’un «rapport financier» doit être remis au ministère des Finances pour «vérification et validation» !

Anne Marie Soumoutera avec MD/fd/hts/ouestaf.com

SourceLe Wagadu

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