«Sans tenir compte de nos instructions, les ouvrières de plusieurs visseries se sont mises en grève et ont envoyé des délégations aux métallurgistes pour demander de les soutenir…Il n’est pas venu à l’idée d’un seul travailleur que ce pourrait être le premier jour de la Révolution (Révolution de 1917 en Russie).» (Trotski).
C’est peu de dire que le 8 mars a une longue histoire qu’il serait trop prétentieux de vouloir peindre dans les colonnes d’un journal. Nous nous contentons ici de rappeler que la Première Guerre mondiale (1914-1918) a été dévastatrice pour l’Europe en général et pour la Russie en particulier.
En 1917, on dénombrait deux millions de soldats tués, côté Russie. Cette sale guerre a occasionné un état de misère accablante en Russie en hiver 1916- 1917. Cette misère ajoutée aux deux millions de morts parmi les soldats russes, a été le point de départ de la Révolution soviétique de 1917. Ainsi donc, l’on retient que le 23 février 1917 (du calendrier grégorien, date correspondant au 8 mars dans notre calendrier julien) à l’occasion de leur journée mondiale, les femmes ouvrières et ménagères de Russie défilent paisiblement à Petrograd (Saint Petersburg), la capitale russe de l’époque. Lors de ce grand défilé, les femmes russes réclamèrent du pain et le retour de leurs maris partis au front.
L’autre mot d’ordre de la manifestation géante était: la ‘‘paix’’ et rien que la paix en Russie et à travers le monde. Comme pour dire que la guerre 1914-1918 n’était pas une guerre des peuples mais des régimes réactionnaires de l’Europe. Il faut dire que la marche ainsi déclenchée par les femmes de Russie a reçu le soutien résolu des grévistes des usines de Poutilov sérieusement éprouvés par les difficultés d’approvisionnement liées au froid intense. Personne ne pouvait s’attendre à ce que ce défilé des femmes soit le début de la Révolution russe de 1917. Cette vérité historique, Trotski l’a reconnue très honnêtement en ces termes: «Sans tenir compte de nos instructions, les ouvrières de plusieurs tisserins se sont mises en grève et ont envoyé des délégations aux métallurgistes pour demander de les soutenir…Il n’est pas venu à l’idée d’un seul travailleur que ce pourrait être le premier jour de la Révolution (Révolution de 1917 en Russie).»
Comme le dirait cette locution latine «sublata causa, tollitur effectus» (la cause supprimée, l’effet disparaît). Déjà en 1910, pour la première fois, la journaliste socialiste allemande Clara Zetkin proposa lors de la seconde conférence internationale des femmes socialistes de Copenhague l’idée d’organiser annuellement une journée des femmes. Cette proposition, sans surprise, a été adoptée par les femmes de dix-sept (17) réunies à cet effet. Cette journée était consacrée à la lutte pour la reconnaissance du droit de vote des femmes. Ce droit de vote des femmes sera reconnu plus tard, en 1944, par les Nations.
Déjà le 19 mars 1911, la Journée internationale des femmes sera célébrée dans de nombreux pays d’Europe mais également aux États-Unis d’Amérique et à Paris. À cette occasion, en plus du droit de vote, les femmes ont réclamé le droit de travailler et l’égalité professionnelle.
Le 8 mars 1914, les femmes socialistes d’Europe ont organisé de nombreux meetings à Berlin pour réitérer leur exigence d’égal traitement des hommes et des femmes. À ces meetings à Berlin, les femmes ont rappelé avec grand intérêt les luttes héroïques des femmes et du mouvement ouvrier international.
Le 8 mars 1917, des femmes ouvrières ayant manifesté à Saint Petersburg avec succès, Lénine en a tiré la leçon historique de la nécessaire pérennisation de cette journée. Le 8 mars 1921, il décréta le 8 mars Journée des femmes.
À partir de 1945, le 8 mars est devenu une tradition dans les pays d’Europe de l’Est et dans le reste du monde. L’année 1975 a été consacrée par l’Organisation des Nations unies (ONU) ‘‘Journée internationale des femmes’’. Deux (02) ans plus tard, le 8 mars 1977, l’ONU a adopté une résolution enjoignant à tous les pays membres de célébrer la «Journée des Nations Unies pour les droits des femmes et la paix internationale». Cette journée a été reconnue par l’État français cinq (05) ans plus tard (en 1982).
La première leçon qui se dégage de cette lutte historique des ouvrières de Saint Petersburg c’est que ce sont avant tout les femmes qui endurent dans leur chair et dans leur conscience les affres des guerres pour la raison toute simple que ce sont leurs enfants et leurs maris qui vont au front et qui y perdent la vie, faisant d’elles des veuves, des sans enfants, des orphelines destinées à appendre à refaire leur vie.
La seconde leçon qu’il convient de dégager de cette lutte des femmes, c’est qu’elle a marqué le début de la fin du règne du Tsar Nicolas II alors empêtré dans les difficultés nées de la grande guerre européenne (1914-1918). Debout comme une seule Femme, les femmes ouvrières, lasses d’endurer l’absence de leurs maris partis pour les fronts et la misère généralisée, avaient pour mot d’ordre lors de leurs marches: «Du pain»; «la paix immédiate»; «à bas l’autocratie» et «à bas le Tsar».
Fortes de leur détermination d’en découdre avec Nicolas II, la grève des femmes s’est transformée en insurrection, avec le passage de la garnison à la Révolution. En cinq (05) jours de manifestations résolues, l’empire Soviétique est tombé, cédant ainsi le pas au régime révolutionnaire des Républiques Socialistes Soviétiques. Tirant tous les enseignements de la lutte héroïque des femmes soviétiques, pour la première fois au monde une femme se retrouve dans un gouvernement. Cette femme s’appelait Alexandra Kollontaï. Celle-ci s’est donnée pour gage de briser le «joug domestique» des femmes en rendant collectives les tâches ménagères. On peut dire sans risque de se tromper que c’est bien à partir de cette date révolutionnaire que la tradition de la journée internationale des femmes s’est mise en place.
La 4ème Conférence mondiale sur les femmes s’est tenue sous l’égide des Nations Unies à Pékin en Chine, du 4 au 15 septembre 1995. Cette conférence fut l’occasion pour les femmes du monde entier de venir à la conclusion que la femme ne peut recouvrer sa dignité et sa liberté que lorsqu’elle se fait un revenu à elle lui permettant de vivre décemment et dans le respect réel de sa personne. Ce mieux-être socio-économique, la femme ne peut l’avoir que dans le travail à égalité avec les hommes. Cela, pour dire que par le biais du travail, elle sonnera ainsi le glas de la phallocratie qui l’humilie et qui fait d’elle un sous-homme dévolu aux tâches ménagères, à la procréation et à la bestialité.
L’on comprend donc toute la teneur du slogan du 8 mars 2021 lancé par les femmes du monde à savoir: ‘‘Tant que l’égalité réelle hommes/femmes n’est pas atteinte, le 8 mars continuera d’être célébré’’
Nul doute que cette égalité réelle ne peut être atteinte sans une émancipation réelle des hommes à la parade de la liberté et du mieux être des femmes soumises jusque-là au pouvoir autoritaire phallocratique qui, il faut le dire et le reconnaître n’honore aujourd’hui ni les femmes ni les hommes. Le temps est donc venu d’abandonner sans délai toutes les tares religio-culturelles qui ratatinent, hélas !, jusqu’à nos jours la dignité de la femme. Mais ce serait là un vœu pieux tant que les femmes n’apprendront pas à connaître avec conscience profonde leurs droits mais aussi leurs devoirs.
Pour ce faire, il est indispensable pour elles d’aller à l’école, de mener de brillantes études dans tous les domaines au même titre que les hommes. Cela est possible quand on sait qu’il n’y a pas de plus intelligent et de moins intelligent entre l’homme et la femme. Ainsi, les femmes seront impliquées sans discrimination aucune dans toutes les structures socio-économiques, politiques et culturelles de nos sociétés (comme l’avait d’ailleurs recommandé depuis le XIIème siècle la Charte de Kouroukanfouga !). Il est temps de s’élever haut au-dessus des petitesses de l’esprit pour servir la grandeur d’âme de la personne humaine.
Aujourd’hui, il urge de comprendre qu’il n’existe pas d’homme inférieur. Il n’y a que complémentarité véritable entre l’homme et la femme. L’on dit souvent que lorsque l’on veut montrer la lune à l’imbécile au moyen du doit, celui-ci regarde le doigt au lieu de la lune. Nous disons l’égalité entre l’homme et la femme et non l’égalitarisme aberrant.
Jusqu’ici chez nous, la femme reste au four et au moulin. Elle se lève toujours très tôt le matin avant tout le monde et se couche toujours tard le soir après les autres (les hommes).
Le 8 mars appelle à la responsabilité commune des femmes et des hommes. D’abord pour que celles-ci comprennent que l’émancipation ne signifie pas le port des bazins pour aller dandiner aux cérémonies de mariages et de baptêmes ou d’être de simples fagots de bois sur la tête des hommes.
L’émancipation de l’homme lui commande d’abandonner sans regret son complexe de supériorité. Cela est de nos jours un impératif catégorique tant il reste établi qu’il n’y aura pas d’émancipation des femmes sans l’émancipation réelle des hommes.
Bonne fête de 8 mars 2021 à toutes et donc aussi à tous. Que de chemin parcouru et qui reste à parcourir !
Vivement l’égalité entre les sexes pour un monde où il verra bon vivre dans la paix, la concorde et la symbiose entre les hommes et les femmes.
Fodé KEITA
Source: L’Inter de Bamako