Le Covid-19 a déjà fait plus de 61 000 morts et touché plus d’1,7 million personnes en Iran, sur une population totale de 83 millions, selon l’Université John Hopkins. La vaccination a à peine commencé tandis que le régime iranien, isolé sur la scène internationale, a décidé de développer son propre vaccin.
De notre envoyée spéciale à Téhéran,
Une femme médecin voilée de noir et portant un masque chirurgical monte sur une estrade et s’assoit dans un fauteuil, avec en arrière-plan un portrait de l’ayatollah Khomeini. Elle reçoit une injection d’un vaccin anti-Covid-19 iranien et puis applaudissements, crépitements des appareils photos.
Pour le lancement de la nouvelle phase d’essais cliniques de leur vaccin lundi 15 mars, les autorités iraniennes ont soigné la mise en scène : toute la presse a été conviée dans un hôtel de Téhéran.
Baptisé Coviran Barekat, le vaccin iranien a été testé lors d’une première phase sur 56 personnes. Un succès, selon la fondation qui le finance et qui dépend du Guide suprême Ali Khamenei. Les phases 2 et 3 vont donc pouvoir commencer, en même temps, pour aller plus vite, selon ses promoteurs.
« Ce vaccin répond aux standards internationaux, assure l’infectiologue Minoo Mohraz, figure de la lutte contre le Covid-19 en Iran, et il s’adaptera bien aux mutations du virus ». La scientifique se montre aussi très optimiste sur une production rapide et massive du Coviran Barekat : « Nous espérons d’ici 3 mois produire 2 à 3 millions de doses par mois. »
Des doutes sur les capacités de l’Iran à produire massivement son vaccin
Mais certains émettent de forts doutes. Pour le Dr Madhiar Saeedian, médecin et journaliste santé, critique vis-à-vis du régime, il est peu probable que le Coviran Barekat sorte si rapidement. « La plupart des vaccins contre le Covid-19 développés par des laboratoires réputés dans le monde n’ont pas fini d’expérimenter la phase 3. (…) Quant à une production massive, cela semble difficile, vu les sanctions américaines » qui pèsent sur l’Iran.
En attendant, Téhéran a commandé des vaccins à des « pays amis » : la Russie, la Chine ou encore l’Inde. Mais le flou le plus total demeure sur les quantités de doses reçues, ainsi que sur le nombre d’Iraniens qui ont commencé à être vaccinés depuis le début de la campagne lancée le 9 février dernier. « Ils sont très peu », concède l’épidémiologiste Minoo Mohraz, sans donner plus de détail.
Le personnel soignant, en première ligne dans la pandémie, est bien sûr prioritaire pour la vaccination. « Il est dans une situation très difficile », déplore le Dr Saeedian qui pointe du doigt un manque d’équipements de protection.
Le refus d’importer le vaccin américain Pfizer/BioNTech
Autre sujet de polémique : le refus des autorités iraniennes d’avoir recours au vaccin Pfizer/BioNTech. Le 8 janvier dernier, le Guide suprême Ali Khamenei a annoncé l’interdiction d’importer le vaccin fabriqué aux États-Unis, pays ennemi de l’Iran. Le lancement du Coviran Barekat est d’ailleurs promu comme une forme de résistance face à « l’impérialisme » de Washington, accusé d’avoir isolé Téhéran sur la scène internationale et de lui avoir imposé de lourdes sanctions, liées à son programme nucléaire.
Mais cette polémique a le don d’agacer la population qui s’impatiente d’être vaccinée contre le Covid-19. Attablé à une terrasse d’un café dans un quartier aisé de Téhéran, un groupe d’étudiants privés de cours à cause du coronavirus, discute autour d’un café.
« L’Iran ne veut pas acheter les vaccins Pfizer parce que ça vient des États-Unis. Je trouve cela stupide, déplore Hani, 20 ans, jolie blonde qui a tombé le voile. Il s’agit de nos vies, pas du fait que nos pays soient ennemis ». Son voisin de table renchérit : « Moi je n’ai pas envie de me faire injecter un vaccin indien ou le russe qui n’est pas certifié. (…) J’aurais plus confiance en Pfizer. »
Un avenir « terrifiant »
Certains préfèrent s’amuser des rumeurs les plus folles ayant circulé sur le vaccin américain. « Un mollah a dit que si on injectait ce vaccin en Iran, on deviendrait homosexuel ! C’est devenu une blague sur Tik Tok », plaisante un étudiant. Mais derrière les rires, un sentiment de colère mêlé de fatalisme domine chez ces jeunes.
Le Dr Saeedian, lui, se dit terrifié par l’avenir de la pandémie en Iran, avec la gestion actuelle du gouvernement. Il préconise un confinement pour les vacances de Norouz, le nouvel an iranien qui démarre samedi 20 mars. Sinon, dit-il, « la nouvelle année risque de commencer avec la perte de nouveaux êtres chers ».
RFI