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Fake news sur les réseaux sociaux : des proportions inquiétantes

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De l’anecdotique fausse rumeur relayée via les plateformes, aux réelles tentatives de manipulation de l’opinion, la palette du phénomène est large dans notre pays

L’ancien Premier ministre, Ousmane Issoufi Maïga, l’ancien défenseur des Aigles, Adama Coulibaly, la cantatrice Mah Kouyaté N°1… nombreuses sont les personnalités publiques maliennes qui partagent désormais un point commun. Toutes ont vu, ces derniers mois, les annonces de leur fausse mort devenir virales sur les réseaux sociaux. Ces informations mensongères circulent à la vitesse de la lumière sur Facebook ou encore WhatsApp et sont largement propagées par les internautes qui ne semblent pas mesurer les conséquences du partage des informations.

Ainsi, le 16 décembre 2020, une nécrologie erronée annonçant le décès de « Police », l’ancien « roc » de la défense centrale de l’équipe nationale de football, faisait le buzz sur Facebook. « Triste : le vrai policier s’est éteint », titrait notamment un article largement partagé par plusieurs pages sur le réseau social sans vérifications.

Les réactions spontanées de proches ou de personnes ayant pris le temps de faire des vérifications ont démenti la fausse nouvelle.
Bien que la fréquence de leur succession relève, sans doute, d’une coïncidence, la récurrence des fausses informations met en lumière un problème réel dans l’espace médiatique au Mali. Celui des « fake news » (fausses nouvelles en anglais). Il devient si criard qu’il urge de le « circonscrire », de l’aveu de plusieurs acteurs nationaux du secteur des médias que nous avons approchés.

« La notion de fake news, l’acceptation qu’il faut en avoir actuellement, c’est une fausse information qui, dans 90% des cas, est donnée de manière délibérée et englobe aussi un but précis », explique Gaoussou Drabo, journaliste et ancien ministre de la Communication du Mali. Il attire l’attention sur les subtilités lexicales, afin de mieux cerner le problème des fausses informations et précise l’importance de la nuance entre les fake news et les informations non avérées que peut donner un journaliste sans intention de nuire.

« Ce n’est pas une fausse information donnée de bonne foi. Un journaliste peut donner une fausse information pour s’être trompé de bonne foi », relève l’ancien directeur de l’Amap (Agence malienne de presse et de publicité). La notion de fake news recouvre tout ce qui a une charge négative et qui peut nuire à l’honorabilité d’une personne, aussi bien à l’ordre public qu’à la sérénité sociale. Ces informations savamment distillées peuvent avoir des conséquences désastreuses. Dans le sillage de la pandémie de la Covid-19, nombreuses sont les publications détaillant de faux remèdes. Des mesures prétendument efficaces contre le virus ont aussi inondé les réseaux sociaux.

UN PROBLÈME GLOBAL- Les fausses informations sont publiées dans le monde entier et le Mali ne suit que la dynamique globale, estime Gaoussou Drabo. « Il n’y a pas une explication spécifique à la récurrence des fake news au Mali. Ce qui se passe au Mali est la réplique exacte de ce qui se passe dans les autres pays du monde », tranche-t-il. Néanmoins, il existe certains facteurs pouvant expliquer l’explosion effrénée des informations douteuses, voire fabriquées, sur les réseaux. « La facilité d’utiliser les nouvelles technologies, à mettre dans l’espace public aussi bien des images, des photos que des propos fait que tout le monde s’intitule porteur d’une opinion ou porteur d’une information », souligne l’ancien ministre.

La libération de la parole publique apportée par les réseaux sociaux se révèle un terreau fertile à la prolifération de certaines fake news. C’est également l’avis de Salif Diarrah, journaliste, directeur de publication de Maliactu.net et chargé de cours de web-journalisme à l’école supérieure de journalisme et des sciences de la communication. «Tout le monde se croit journaliste de nos jours parce que quiconque a les outils pour partager l’info le fait. Alors que tout le monde n’est pas habilité à informer», explique-t-il. Les réseaux sociaux participent donc à banaliser la pratique du journalisme. «Le journalisme ne se résume pas seulement à donner l’information, indique Salif Diarrah.

Le travail journalistique englobe tout un processus, dont la collecte, la vérification, c’est-à-dire, un traitement de l’information avant sa diffusion». Les fabricants des fausses informations se basent aussi sur les sensibilités et fantasmes du public comme l’attrait de certains pour les théories du complot. «Les fake news sont souvent plus rapides que la bonne information parce qu’il y a souvent du sensationnel et de l’extraordinaire derrière. La tentation de partager est plus grande chez les internautes quand ils tombent sur ce type de nouvelle», analyse Salif Diarrah.

Dans ce domaine, l’inspiration est poussée toujours plus loin. Les motivations et les stratégies ne manquent pas pour monter des histoires de toutes pièces. Selon Lassina Niangaly, journaliste au site Lejalon.com, «les fake news les plus fréquentes au Mali sont les images (photos ou vidéos) sorties de leur contexte réel ou les fausses déclarations pour porter atteinte à la crédibilité des personnalités, ou pour annoncer leur décès».

Quid des motivations ? Elles ne manquent pas pour fabriquer les fausses nouvelles. Certaines personnes «diffusent de fausses nouvelles pour avoir plus de partages ou pour faire la publicité de certains produits sur les réseaux», avance Modibo Fofana, président de l’Association des professionnels de médias en ligne (Appel-Mali). Il révèle l’existence «de groupes spécialisés dans la diffusion de fausses nouvelles avec comme motivation de manipuler l’opinion publique par rapport à certains sujets».

Les fake news sont ainsi de redoutables armes de combat dans l’arène politique. «Lorsqu’il y a une concurrence politique, par exemple, il peut y avoir un recours délibéré aux fake news pour dévaloriser un adversaire, le mettre dans une position embarrassante ou pour lui créer une mauvaise réputation. Là, la fake news est utilisée de manière délibérée comme arme dans le domaine de la politique, de l’économie et du social», explicite Gaoussou Drabo. à ce niveau, la désinformation peut atteindre des proportions dépassant largement l’anecdotique info fantaisiste.

Une forme de fausses informations qui seraient orchestrées par des acteurs étatiques, notamment contre d’autres états souvent plus faibles, n’est pas inconnue des organismes internationaux. En 2017 déjà, une déclaration commune avec d’autres structures du rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’opinion et d’expression, David Kaye, alertait sur «la prévalence croissante de la désinformation et de la propagande dans les médias traditionnels et sociaux, alimentée par les états et les acteurs non étatiques».

VÉRIFICATION DES FAITS- Des initiatives commencent à émerger en vue d’endiguer le phénomène. Le premier recours dans la lutte contre les fausses informations réside dans le retour aux bases du journalisme, à travers l’indispensable vérification des faits. «La réponse est donnée dans le monde occidental et c’est le fact-checking : la vérification des faits. Beaucoup de journaux font du fact-checking, ils ne peuvent pas répondre à toutes les rumeurs mais essayent de démanteler et déconstruire les rumeurs les plus dangereuses», explique Gaoussou Drabo.

Le fact-checking se pratique timidement dans les médias maliens. La voie est tracée par une poignée de sites d’information qui en ont fait leur crédo. «Nous comptons quatre sites qui font du fact-checking : Benbere, Mali Actu, Le jalon, Malivox», énumère Modibo Fofana. Le jalon.com a initié un projet de vérification de faits dénommé MaliCheck qui a servi, selon ses initiateurs, en un an, à vérifier une centaine de fausses informations distillées sur les réseaux au Mali. «Nous avons jugé opportun de lancer cette initiative parce que le Mali est en crise depuis 2012 et la diffusion de fausses informations s’amplifie en temps de crises», soutient Lassina Niangaly, co-fondateur du site.

La vérification nécessite une démarche professionnelle et un travail de fond. «Le fact-checking n’est pas facile à faire parce qu’une rumeur est facile à faire, mais c’est difficile de démontrer qu’elle est fausse. Il faut apporter une masse de contre-informations extrêmement importante», argue Gaoussou Drabo. Pour lui, ce «combat est difficile, mais inévitable pour la presse. Et si les hommes de presse ne réagissent pas par rapport au phénomène, ils seront complètement dépassés par l’avalanche des fake news».

Le travail des journalistes doit aussi s’accompagner d’efforts de sensibilisation auprès du public. «Le premier réflexe pour un internaute qui tombe sur une information devrait être de savoir qui a donné cette information ? Où est-ce que la personne a trouvé l’information ? De quelle source vient l’information ? Sur les réseaux sociaux, il est aussi important de savoir la crédibilité de celui qui donne l’info», conseille Salif Diarrah. Il soutient que la lutte contre les fake news passe par l’élaboration d’un «arsenal juridique qui permettra de saisir les gens qui procèdent à la diffusion de ce genre de nouvelles».

Les insuffisances dans la règlementation en la matière sont également décriées du côté de l’Association des professionnels des médias en ligne. «Il n’y a pas une loi qui régit le secteur de la presse en ligne au Mali. En l’absence d’une loi spécifique, la loi sur la cybercriminalité a été adoptée. Cette loi a été prise de manière unilatérale et n’épargne même pas les journalistes. Elle interdit, par exemple, l’utilisation de l’image d’une personne sans son consentement. Or, un journaliste peut avoir besoin d’utiliser l’image d’une personnalité publique pour illustrer un article», souligne Modibo Fofana, qui regrette «un vide juridique au niveau de la presse en ligne». «Il existe des sites d’informations basées à l’extérieur du Mali mais qui publient des informations sur le Mali. Ces sites traitent l’actualité au Mali, mais n’ont pas d’adresse au Mali et ils sont basés à l’extérieur. On ne sait même pas quelles sont les personnes derrière ces sites», confie Modibo Fofana.

VIDE JURIDIQUE- Le magistrat Arouna Keita, directeur des affaires juridiques et du contentieux à l’APDP (Autorité de protection des données à caractère personnel), confirme que les fake news ne sont pas pris en compte par la loi n° 00-046 du 7 juillet 2000 portant régime de la presse et délit de presse au Mali. «Il y a urgence dans le cadre de la révision de la loi sur la presse qu’on puisse réprimer les fausses informations. à l’heure actuelle au Mali, la loi sur la presse ne prend pas en compte la répression des fake news», relève Arouna Keita qui explique que l’actuelle loi légifère spécifiquement sur les fausses informations qui ont pour objet de troubler l’ordre public ou qui touchent au moral des soldats.

«Une fake news peut juste dire que telle personne est décédée. Mais cela n’a pas forcément pour objet de troubler l’ordre public», fait remarquer Arouna Keita. Aussi, insiste-t-il, la loi de 00-046 de 2000 encadrait la presse écrite et audiovisuelle or le numérique est une autre réalité. «Il faut que les autorités soient plus regardantes. Par exemple, une information sur Facebook, avec 2 milliards d’utilisateurs, est susceptible d’avoir plus d’audiences qu’une information de la presse papier qui est locale ou nationale», indique le magistrat, qui insiste sur la nécessité d’«une incrimination spécifique des fake news qui font beaucoup de mal aux personnes et même aux entreprises».
Arouna Keita note que la loi sur la cybercriminalité également ne légifère pas sur la question des fake news. «La loi sur la cybercriminalité renvoie plutôt à la loi sur la presse pour les questions de délit de presse, explique-t-il. Par contre, la loi sur la cybercriminalité recouvre la publication d’ouvrages, de certaines images et les infractions via les réseaux sociaux. Elle traite des injures proférées par les biais des technologies de l’information».


Mohamed TOURÉ

SourceEssor

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