Léopold Sédar Senghor écrivait que la culture était « la civilisation en action ou mieux, l’esprit de la civilisation. » Je crois qu’aujourd’hui le temps est venu pour le continent africain de renouer avec cet esprit.
Alors que nombre d’observateurs estiment que la croissance de l’Afrique dans les équilibres globaux sera un processus inéluctable au XXIe siècle, nous devons nous emparer de la question de la culture africaine. Il me paraît réducteur de considérer que la croissance de notre continent, dans son immensité et sa diversité, ne puisse passer que par un simple développement économique ou géopolitique. Ou plutôt, il serait absurde de croire que ces deux phénomènes puissent être distincts d’une culture florissante qui aurait toute sa centralité dans nos sociétés.
Le continent africain est riche d’un patrimoine culturel varié dont l’influence sur la culture mondiale n’est plus à démontrer. Les musiques africaines, par une circulation des traumatismes terribles que nous avons subis durant notre histoire, ont inspiré presque tous les styles musicaux qui s’épanouissent sur la planète. Les arts africains ont eu une influence décisive dans la révolution esthétique qui, au début du XXe siècle, a vu émerger l’art moderne en Europe et aux États-Unis. Enfin, notre continent est riche de lieux et de monuments qui, à l’image de Tombouctou, ont été — et demeurent — de véritables phares pour l’humanité.
Nous devons retrouver la fierté de ce passé : en le mettant en valeur par une vraie politique de conservation du patrimoine et en continuant d’œuvrer pour le retour des œuvres qui ont été arrachées au continent africain pendant la période coloniale.
Ce retour vers le patrimoine est nécessaire. C’est la fondation d’une renaissance culturelle du continent africain qui doit nous faire œuvrer pour le présent et pour l’avenir. Le futur de l’Afrique s’incarne dans notre jeunesse qui, partout sur le continent, est la première de nos richesses. Incroyablement créative, cette jeunesse s’incarne dans tous les domaines. Musiciens, danseurs, peintres ou créateurs de mode : il n’est pas un art dans lequel ne s’expriment pas des talents africains.
Alors que la révolution digitale a donné les moyens aux jeunes Africains de faire connaître leur travail avec une célérité et un écho inédit dans l’histoire de la culture globale, nous devons tout faire pour lui donner les moyens de s’épanouir artistiquement et économiquement sur le continent qui les a vu naitre. Aujourd’hui, le constat est sombre. Nos artistes sont mal protégés et mal accompagnés par les États, alors même que le secteur de la culture peut être lucratif et participer au développement économique du continent. Bien plus, une culture brillante est un élément de prestige, un facteur d’attractivité pour nos villes — et une manière d’attirer chez nous un tourisme différent, respectueux de ce qui nous constitue, de cet esprit dont parlait Senghor.
Prenons conscience de l’immense opportunité qui s’ouvre devant nous. Le XXIe siècle inquiète. Les bouleversements de la révolution digitale ont été un formidable relais de croissance. Ils ont aussi déboussolé nos sociétés et déstabilisé nos organisations politiques. Partout sur la planète, des femmes et des hommes regardent l’avenir avec inquiétude. Je crois que la culture africaine — ses arts, ses coutumes, son lien profond au dialogue et à l’inter personnalité — peut apparaître comme une réponse à ces peurs et à cette anxiété qui s’expriment partout sur la
planète. Notre voix peut être l’une de celles qui définiront le XXIe siècle en redonnant au monde un sens qu’il semble avoir perdu.
Pour cela, engageons-nous de manière résolue. La culture africaine ne prospérera que si nous lui donnons les moyens d’y parvenir. Prenons cette ambition au sérieux, c’est l’une des conditions de la renaissance de l’Afrique.
Moussa MARA www.moussamara.com
Source: Info-Matin