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Afrique: une stratégie vaccinale en ordre dispersé

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L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Union africaine (UA) ont chacune leur stratégie, mais certains pays ne les attendent pas pour s’approvisionner directement auprès des fabricants, recevoir des dons ou produire localement sous brevets étrangers.

Deux pays en Afrique, l’Égypte et le Nigeria, ont décidé de financer des recherches pour trouver leur propre vaccin contre le coronavirus. Le Centre de recherche national (NRC) égyptien a ainsi été autorisé fin mars à lancer les essais cliniques de son Covi-Vax, avec l’ambition affichée de produire sur place pour desservir le marché intérieur, mais aussi d’exporter en Afrique. Au Nigeria, des équipes de scientifiques cherchent encore, grâce aux 25 millions de dollars investis par l’État en janvier.

Le Maroc, de son côté, n’a pas lancé de recherche nationale, mais tire fierté du travail réalisé en Californie par l’immunologiste américano-marocain Lbachir Ben Mohamed autour d’un vaccin universel qui traiterait toutes les formes de Covid-19. Le produit, nommé « Pre-emptive Pan-Coronavirus Vaccine » se trouve en phase d’essais pré-cliniques sur des animaux.

Production locale de vaccins étrangers

Le pari marocain consiste plutôt à produire localement des vaccins étrangers, et notamment le vaccin chinois Sinopharm, pour le distribuer à sa population et l’exporter en Afrique. L’Égypte, elle aussi, a engagé des négociations avec le groupe chinois Sinovac, et le Sénégal déclare vouloir en faire de même. En Afrique du Sud, le laboratoire américain Johnson & Johnson (J&J) a  conclu le 2 novembre 2020 un accord avec le groupe sud-africain Aspen pour produire et distribuer son vaccin sur le continent. La capacité de l’usine d’Aspen à Port-Elizabeth porte sur 300 millions de doses par an.

Reste à savoir ce que ce deal va devenir, compte tenu de la « pause » décidée le 14 avril par les autorités américaines et sud-africaines dans leur programme de vaccination avec les doses J&J. Une controverse a en effet éclaté autour du vaccin aux États-Unis, après que neuf femmes vaccinées aient souffert de caillots sanguins, dont une est décédée, sur un total de 7 millions de doses injectées dans ce pays. Sur les 290 000 personnels de santé vaccinés en Afrique du Sud avec J&J, aucun n’a présenté de tels symptômes, signale le ministre sud-africain de la Santé.

En attendant, l’Afrique du Sud et l’Inde demandent à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) d’assouplir les règles sur la propriété intellectuelle afin d’avoir accès gratuitement aux brevets, comme jadis pour les antirétroviraux contre le sida. L’objectif: les fabriquer à moindre coût sous forme de génériques, pour les rendre accessibles aux plus défavorisés. Pour l’instant, les pays riches (États-Unis, Union européenne, Australie et Norvège) s’y refusent, pour protéger la mainmise de leurs industries pharmaceutiques sur un énorme marché. L’Afrique, à elle seule, représente une demande estimée entre 5,8 et 8,2 milliards d’euros par l’Union africaine (UA).

Signal fort, l’UA a organisé les 12 et 13 avril un sommet de deux jours en vue d’organiser la production de vaccins en Afrique, en présence des chefs d’État Cyril Ramaphosa, Paul Kagamé et Félix Tshisekedi. En est sorti un Partenariat pour la fabrication de vaccins africains (PAVM), visant à créer cinq pôles de recherche et de fabrication en Afrique du Nord, de l’Ouest, de l’Est, centrale et australe. L’objectif est de produire localement d’ici 2040 60% de tous les vaccins dont a besoin le continent (Covid et autres maladies). Des accords ont été signés avec la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (Cepi), la banque panafricaine Afreximbank  et l’Africa Finance Corporation.

La campagne Covax de l’OMS est mal partie

La route sera longue. L’Afrique, 16% de la population mondiale, ne produit pour l’instant que 0,1% des vaccins dits « de routine », et ne représentait au 8 avril qu’à peine 2% des 690 millions de doses de vaccins contre le Covid déjà administrées dans le monde, selon l’OMS. En dehors des États les plus touchés par la pandémie (Afrique du Sud, 53 663 morts au 17 avril, Égypte, 12 653 morts, Maroc, 8 934 morts), qui sont aussi industrialisés, la majorité des pays du continent, à revenus faibles ou intermédiaires, se reposent faute de moyens alternatifs sur deux initiatives, l’une internationale, l’autre continentale.

Le programme Covax a été lancé par l’OMS avec l’Alliance du vaccin (Gavi) et le Cepi pour couvrir les besoins de 92 pays pauvres dans le monde et vacciner 20% de leur population avant la fin de l’année. Cette initiative financée pour l’essentiel par les Etats-Unis (4 milliards de dollars), l’Europe (1,2 milliard) et la Grande-Bretagne (760 millions) a commencé en février par une commande de 90 millions de doses pour l’Afrique du vaccin britannique AstraZeneca, produit en énormes quantités par l’Inde sous l’appellation de “Covishield”. Cette marque a été choisie pour son prix et le fait qu’elle se conserve à des températures de réfrigérateur (2 à 8 degrés Celsius), et non de congélateur comme pour Moderna et Pfizer. Seulement 16 millions de doses ont été reçues par 31 pays en Afrique depuis février (dont 4 millions par le Nigeria, 900 000 par l’Algérie, 854 000 par l’Égypte, 300 000 par le Maroc), permettant au Ghana, au Rwanda et au Mali, entre autres, de lancer leurs campagnes.

Mais l’Inde, qui produit le vaccin britannique à grande échelle, a suspendu le 18 mars ses exportations en raison de la flambée de la pandémie à l’intérieur de ses frontières. Le Serum Institute of India (SII) évoque une reprise possible des exportations en juin.

L’UA commande 672 millions de doses sur deux an

« Nous sommes dans une impasse en tant que continent », n’a pu que constater le 15 avril le docteur John Nkengasong, directeur du Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) de l’UA. Et ce, d’autant plus que les doutes sur les cas de thromboses liés au vaccin AstraZeneca suscitent la méfiance. Au Mali, sur les 21 000 agents de santé appelés à se faire vacciner, moins de 700 avaient répondu à l’appel fin mars.

De son côté, l’UA va commander 672 millions de doses pour couvrir 38% de la population africaine d’ici la fin 2022, dans le cadre de son initiative African Vaccine Acquisition Task Team (AVATT). Au total, il en faudra plus du double.

D’ores et déjà, 400 millions de doses vont provenir de J&J, dont les premières livraisons (220 millions de doses) sont prévues pour septembre, et le reste en 2022 – si tout va bien, compte tenu des suspensions actuelles aux États-Unis et en Afrique du Sud.

Des achats diversifiés pour éviter la dépendance

Le tableau ne serait pas complet sans mentionner la stratégie du chacun pour soi, avec les accords passés par les pays directement auprès des fabricants de leur choix. Les considérations de prix et de disponibilité rapide se soucient-elles de diplomatie ? Les choix se font aussi sans tomber dans la dépendance à l’égard d’un seul fournisseur. L’Égypte, par exemple, a acheté 350 000 doses de Sinopharm (à 30 dollars la dose), pour vacciner ses personnels de santé dès janvier, puis 50 000 doses d’AstraZneca. Les autorités ont ensuite enregistré le 24 février le vaccin russe Sputnik V pour des « utilisations urgentes », sans donner de détails. Or, selon Statista, ce sont 25 millions de doses du vaccin russe qui ont été commandées par l’Égypte (à 10 dollars la dose, deux doses étant nécessaires à l’immunisation), contre 500 000 par l’Algérie et autant par la Tunisie.

L’Afrique du Sud, elle, va de déboires en déboires. Elle a revendu le 21 mars à l’UA 1 million de doses d’AstraZeneca, après avoir découvert l’impuissance du vaccin face à la variante sud-africaine du Covid-19. Ce faisant, les autorités se sont plaintes d’avoir payé 5,24 dollars la dose, deux fois et demi plus cher que l’Europe, faute d’avoir financé la recherche pour le vaccin.

La vaccination a cependant commencé le 18 février en Afrique du Sud, après réception de 80 000 doses initiales du vaccin J&J, efficace avec une seule injection, sur une commande de 9 millions de doses (à 10 dollars la dose). Malgré la pause décidée le 14 avril sur ce vaccin, l’Afrique du Sud affirme pouvoir remplir ses objectifs en changeant encore une fois son fusil d’épaule, avec 30 millions de doses du vaccin Pfizer, quatre fois plus cher (passé de 19,50 à 23 dollars la dose ces derniers jours, pour un vaccination efficace avec deux doses).

Larges dons russes et chinois

Ailleurs, c’est aussi la stratégie russe et chinoise, qui semble devoir payer, avec de larges dons. La Chine a clairement fait de son vaccin Sinopharm un nouvel instrument dans une lutte d’influence globale. Le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a affirmé fin février que la Chine fournissait gratuitement des vaccins à 53 pays, et en vendait à 22 pays – qui sont parfois les mêmes. Ainsi, le Zimbabwe va recevoir 400 000 doses gratuites, outre une commande payée de 600 000 doses supplémentaires. L’Égypte, elle, a d’abord payé 350 000 doses et en a ensuite reçu 300 000 gratuites le 20 mars.

L’Algérie et la Sierra Leone ont également reçu 200 000 doses gratuites de Sinopharm chacun, le Gabon, la Guinée Équatoriale et la Tunisie 100 000 respectivement, et la Mauritanie 50 000.

La Russie n’est pas en reste, puisqu’elle a promis en février un don de 300 millions de doses à l’UA, qui commenceront à être livrées le mois prochain. La société minière russe Alrosa a de son côté annoncé son intention d’acheter de grandes quantités du Sputnik V pour en faire don à l’Angola et au Zimbabwe, où elle est implantée. Autant de gestes qui dament le pion de l’Occident, empêtré dans son initiative Covax.

RFI

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