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Vaccins contre le Covid-19, la nouvelle bataille diplomatique mondiale

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Après la diplomatie des masques au début de la pandémie, l’approvisionnement en vaccins est aujourd’hui au cœur d’une lutte d’influence diplomatique où chaque pays producteur de vaccins avance ses pions, selon ses propres intérêts. RFI consacre une journée spéciale à la vaccination dans le monde lundi 19 avril.

Il suffit de regarder la diffusion des différents vaccins dans le monde pour le comprendre. Derrière l’approvisionnement en vaccins, les dynamiques géopolitiques ne sont jamais très loin. Sans surprise, ceux qui ont les cartes en main sont aujourd’hui les pays qui développent, produisent et financent ces précieux vaccins : États-Unis, Chine, Russie, Inde, Royaume-Uni et dans une moindre mesure, l’Union européenne.

► À lire aussi : Quels sont les vaccins en circulation, les principaux attendus?

Dès l’été 2020, et sans attendre une homologation de la part de l’OMS, la Chine et la Russie ont été les premiers pays à mettre au point leurs propres sérums. Pour autant, les deux pays n’ont pas pris d’avance stratégique dans la vaccination de leur population. Ainsi, selon les données du site Our World In Data, seule 6% de la population russe avait reçu une dose de vaccin en date du 11 avril 2021, soit environ 9 millions de personnes.

Chine et Russie déploient leurs ambitions à l’international

« La Russie consolide actuellement ses relations avec ses alliés historiques ainsi qu’avec l’Afrique du Nord », souligne Anne Sénéquier chercheuse à l’IRIS et co-directrice de l’Observatoire de la santé mondiale, pour qui Moscou « acte totalement de son grand retour sur la scène internationale.» 

Grâce à la bonne réputation du Spoutnik V, la Russie multiplie les accords de livraisons et table, à l’avenir, sur une production délocalisée pour une partie des doses destinées à l’exportation. Hongrie mise à part (le pays administre déjà le vaccin russe), le Kremlin se paye désormais le luxe d’entamer des discussions avec plusieurs autres pays de l’Union européenne, dont l’Allemagne.

Si Moscou n’a pour l’heure expédié que des quantités réduites de son vaccin, ce n’est pas le cas de la Chine. Hormis les dons et contrats signés avec les pays amis, à l’image du Cambodge, Pékin compte en effet sur sa « diplomatie du vaccin » pour tisser de nouveaux liens.

Priorité est mise sur le renforcement de la coopération avec les pays qui participent au projet titanesque des Nouvelles routes de la soie, ensemble de liaisons maritimes, terrestres et ferroviaires dont Xi Jinping a fait sa priorité. Ces derniers mois, la Chine accélère ses livraisons en Afrique et en Amérique latine, deux continents qui disposent en outre de nombreuses ressources naturelles, minérales et agricoles.

« La Chine est notamment en train de jeter l’ancre en Amérique latine où elle n’avait pas encore une grande influence. Le soja brésilien intéresse particulièrement les Chinois », relève la chercheuse Anne Sénéquier. Et ce n’est pas un hasard si le Chili et le Brésil avaient signé, dès l’an dernier, des accords permettant aux scientifiques chinois d’effectuer sur place les tests cliniques avancés de leurs vaccins.

Dans certains cas, cette diplomatie des vaccins prend également un tour beaucoup direct. Ces dernières semaines, Taïwan a ainsi accusé la Chine de brandir « l’arme des vaccins » contre les pays qui reconnaissent sa souveraineté, comme le Paraguay.

Le dispositif Covax, un échec imputé aux pays occidentaux

Peu importe si certains dons de vaccins prennent la forme de coups de communication savamment orchestrés par le régime chinois, comme au Mozambique, qui s’est vu offrir en février dernier 200 000 doses de Sinopharm. Sur le terrain, notamment en Afrique, les vaccins chinois sont d’autant plus attendus que le dispositif Covax (dont la Chine fait également partie) peine à tenir ses objectifs.

Chapeauté par l’OMS et financé par des États, des entreprises privées ou des fondations, Covax avait livré à la fin mars 38 millions de doses, sur 100 millions envisagées initialement. Le programme international Covax a lancé à la mi-avril une campagne pour collecter 2 milliards de dollars supplémentaires afin de pouvoir réserver des doses de vaccins.

Sur le continent africain, le ressentiment grandit à l’égard des pays occidentaux, accusés de privilégier leur « nationalisme vaccinal ». Un ressentiment nourri par l’accélération des campagnes de vaccination dans les pays les plus riches, mais aussi par le principal vaccin livré par le programme Covax: le sérum développé par Oxford-Astrazeneca, dont l’efficacité se révèle bien moindre sur le variant sud-africain et dont les effets secondaires suscitent la défiance.

Récemment, le patron de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus a adressé une mise en garde à l’égard des principaux pays producteurs de vaccins :

« Certains pays et entreprises prévoient de contourner Covax pour faire leur propres dons pour des raisons politiques ou commerciales qui leur appartiennent. »

Des arrangements bilatéraux fustigés par le chef de l’OMS qui dénonce « un risque d’attiser les flammes de l’inégalité vaccinale.»

Bientôt un recentrage national pour certains pays ?

Dans les faits, les ambitions diplomatiques de certains pourraient pourtant bientôt se heurter à des problèmes de logistique. Comme en Inde, qui produit en grande quantité le vaccin développé par Oxford-AstraZeneca, via un transfert de technologie : « Grâce au Serum institute of India  [5e producteur de vaccin dans le monde, ndlr] l’Inde a œuvré à son influence régionale. Mais aujourd’hui elle est obligée de mettre un coup d’arrêt à cette politique », explique la chercheuse à l’IRIS, Anne Sénéquier.

 

Le pays, frappé ces jours-ci par une deuxième vague très violente de contaminations, désire se concentrer sur sa campagne de vaccination nationale. Et la Chine pourrait bientôt lui emboiter le pas comme l’explique le correspondant permanent de RFI dans le pays, Stéphane Lagarde:

« À la mi-mars de cette année, seuls 65 millions de chinois avaient été vaccinés sur 1,4 milliard de personnes. Fin juin, l’objectif est d’atteindre 40% de la population et fin décembre 80%. Il y a un vrai débat sur les capacités à produire des vaccins en de telles quantités. »La Chine, aujourd’hui coupée du monde en raison de restrictions drastiques à ses frontières, réfléchit à l’après. En ligne de mire du régime chinois, les Jeux olympiques d’hiver prévus à Pékin du 4 au 20 février 2022. Sans compter cette question qui pointe déjà dans de nombreux pays, celle des rappels de vaccins une fois dépassée la période d’immunité.

Après l’Amérique d’abord, les États-Unis se positionnent à leur tour

Alors que la Russie, l’Inde et la Chine ont multiplié contrats, partenariats et dons de vaccins, parfois au détriment de leurs propres campagnes nationales, les États-Unis de Donald Trump, puis de Joe Biden, sont restés fidèles au slogan trumpiste : « l’Amérique d’abord ».

Symbole de ce nationalisme vaccinal, l’activation l’an dernier par Donald Trump du « Defense Production Act ». Une législation exceptionnelle permettant au pays de ne pas exporter les ressources sanitaires  considérées comme « essentielles à la défense nationale ». Malgré les nombreuses critiques, les États-Unis ont ainsi refusé d’exporter les doses du vaccin Oxford-AstraZeneca produites sur leur sol.

Aujourd’hui, alors que près de 40% des Américains ont reçu une première dose de vaccin, la diplomatie américaine multiplie « les gestes d’ouverture » vers l’étranger. Le chef de la diplomatie Antony Blinken a ainsi déclaré que les États-Unis deviendraient bientôt « le leader de l’accès mondial aux vaccins ». Il a rappelé la promesse d’investir 2 milliards d’euros supplémentaires dans le dispositif Covax l’an prochain.

La Maison Blanche a par ailleurs confirmé que les États-Unis allaient bien livrer 4 millions de doses d’AstraZeneca aux alliés mexicains et canadiens. Un vaccin qui n’est toujours pas autorisé aux États-Unis.

La crise du Covid-19, révélatrice des rapports de force de demain?

Face au nationalisme vaccinal américain, l’Europe peine de son côté à faire entendre sa voix. « On a beaucoup entendu au printemps dernier que les vaccins seraient un bien commun de l’humanité. L’Europe a notamment porté ça. Mais ensuite, les grandes puissances ont commencé à réserver les vaccins et l’Europe a suivi », estime Anne Sénéquier, co-directrice de l’Observatoire de la santé mondiale à l’IRIS, qui souligne qu’une fois encore, le monde se retrouve avec une « dynamique clivante Nord-Sud.»

Pour la chercheuse, « ce qui se passe autour de cette diplomatie du vaccin dessine très probablement la scène diplomatique des dix prochaines années ». Avec en toile de fond, une perte de légitimité toujours plus forte des puissances occidentales. Une défiance liée à l’incapacité à s’entendre pour prendre des décisions qui permettraient au monde de s’approvisionner en vaccins. Parmi ces décisions, la levée des brevets de ces vaccins. Au lieu de cela, la gestion de cette crise inédite « est laissée à la responsabilité des États et des grands groupes pharmaceutiques ».« L’Europe aurait pu se positionner plus fortement sur ce dossier car derrière, il y a d’autres questions qui risquent de se compliquer, comme la question climatique. Que va-t-on rétorquer aux pays en voie de développement qui vont se souvenir de cette crise ?

Selon Anne Sénéquier, la pandémie pose également, de manière urgente, la question de la légitimité et de la réforme des organisations internationales, ONU en tête. « Nous n’arrivons pas à penser au niveau global. Le Covid-19 est la première grande pandémie du 21e siècle mais l’avenir nous en amènera d’autres, et il va falloir tirer les leçons de cet événement.»

RFI

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