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Dr Aly Tounkara : «Les groupes armés sont traversés par des divisions»

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Dans cette interview, le directeur du Centre des études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), livre son analyse sur l’évolution de la situation sécuritaire et politique dans notre pays. L’expert des questions de sécurité donne également son point de vue sur l’assassinat du président de la CMA, Sidi Brahim Ould Sidatt et son impact sur le processus de paix. Tout comme sur le chronogramme des élections générales et du referendum dévoilé par le gouvernement la semaine dernière

L’Essor : Quelle lecture faites-vous de l’évolution de la situation politique et sécuritaire dans notre pays?

Dr Aly Tounkara : On ne peut pas dire que les choses n’ont pas bougé sur le plan politique et sécuritaire. Mais ce qui est reproché au rythme de l’évolution des choses, c’est le fait que les différents efforts consentis par les autorités de la Transition souffrent de l’absence d’inclusivité, du manque d’implication de certaines catégories de la population en l’occurrence la société civile et la classe politique. Qui parle de démocratie parle d’inclusion et de participation.

Quand on analyse la situation sécuritaire de façon holistique, on se rend compte que, de plus en plus, les réponses militaires touchent le local ; de plus en plus, les positions anciennement abandonnées par les éléments des Forces de défense et de sécurité sont récupérées ou sont occupées. Cela sous-entend que les réponses qui sont proposées sur le plan militaire commencent à impacter lentement sur l’insécurité. On peut aussi constater une évolution pas partagée de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger comme une avancée dans ces derniers mois. Laquelle évolution cache quand même beaucoup de réalités.

L’Essor : Ces derniers temps, il y a eu pourtant quelques avancées dans la mise en œuvre de l’Accord. Vous avez récemment parcouru les régions du Nord. Quel constat avez-vous fait sur le terrain ?

Dr Aly Tounkara : Récemment, j’ai parcouru les régions du Nord où on se rend compte que les groupes qui sont inscrits aujourd’hui dans le processus de réconciliation en l’occurrence la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) connaissent de véritables dissidences, des clivages en leur sein à telle enseigne qu’une difficulté que pourraient avoir les autorités de la Transition, c’est d’avoir des interlocuteurs crédibles qui détiennent les armes dans le cadre du processus de DDR (Démobilisation-Désarmement-Réinsertion).

Quand on prend par exemple un groupe qui s’appelle «Inclusivité», il concentre tous les dissidents de la Plateforme et de la CMA. Ils sont même, à la limite, plus nombreux que ceux qui sont inscrits officiellement dans le processus de DDR. Donc, ce sont des questions qui ne sont pas traitées par les autorités de Bamako et qui méritent une attention particulière.

Les gens diront que des efforts sont en cours en matière d’application de l’Accord. Mais quand vous vous entretenez avec les populations en proie à l’insécurité, elles vous diront que tous les efforts sont centrés sur les hommes en armes et non sur elles. Autrement dit, les dividendes des différents accords signés ça et là ne toucheraient que les hommes qui sont armés. Donc fondamentalement, si ces avancées ont des limites majeures, c’est la question de la crédibilité et de la légitimité des acteurs en face.

Une autre faiblesse, c’est la non prise en compte des populations où l’accent est plutôt mis sur les groupes armés tout en oubliant que ces groupes armés se sont opposés à l’état ou en tout cas ont pris des armes parce qu’ils ont prétendu défendre les populations. Lesquelles populations à Gao, à Tombouctou,à Ménaka et même à Mopti vous diront qu’elles ne sentent rien sur le plan de l’application de l’Accord de paix les concernant.

Il est extrêmement important qu’on accepte d’ouvrir ces chapitres douloureux parce qu’on ne peut pas obtenir une paix durable lorsque les vrais acteurs qui sont les communautés ne sont pas entendues. Si l’état n’a que les hommes armés comme interlocuteurs, on risque de passer à côté de la plaque.

L’Essor : Il y a quelques jours, le président de la CMA, Sidi Brahim Ould Sidatt, a été assassiné à Bamako. Quel pourrait être l’impact de sa disparition brutale sur le processus de paix ?

Dr Aly Tounkara : L’assassinat de Sidi Brahim Ould Sidatt va poser plusieurs problèmes majeurs. Le premier, quelle que soit la raison retenue, on va assister à un ralentissement quant à l’application de l’Accord pour la paix et la réconciliation, le temps de trouver un remplaçant consensuel et légitime. Pour qui connaît la dynamique des groupes armés, cela pourrait prendre des mois. Ce qui pourrait de facto, affecter négativement l’avancée du processus de paix et de réconciliation.

Le deuxième facteur, c’est comment trouver aujourd’hui un homme ou une femme de consensus dans ces mouvements. La CMA est fortement divisée. Et quand on échange avec les membres qui ont quitté la CMA pour regagner l’Inclusivité, ils sont très majoritaires. On voit aussi des gens qui ont quitté la Plateforme pour la CMA parce qu’ils se disent que seule la CMA est écoutée à Bamako.Ce sont ces tensions qui se sont greffées à des considérations communautaires dans les régions dites Nord du Mali.

Donc, en gros, lorsque la CMA est portée par un Arabe, un Tamasheq de telle ou telle localité, les lieutenants résidents seraient aussi proches de cette localité ou de cette aire culturelle. Ce sont ces tensions et ces sentiments d’être lésés par le président de la CMA, d’avoir recruté des gens qui n’avaient pas pris part au combat, d’avoir reparti les différents galons à la suite du processus sur des bases à la limite très injustes qui font qu’aujourd’hui la CMA est très divisée à l’interne.

On fait semblant que tout va bien à Bamako mais ça ne va pas quand on interroge les acteurs de la CMA à l’intérieur du pays. Au regard de ces dissidences comment peut-on s’accorder sur une candidature, sur une personnalité afin d’assurerla relève ?L’on risque d’assister à des blocages même de la part des dirigeants de la CMA. Or, le profil type aujourd’hui dont le Mali a besoin et dont la CMA a besoin font deux malheureusement. Le Mali a besoin d’un remplaçant qui serait plutôt plus soucieux des souffrances des communautés pas seulement de celles des groupes armés.

Or, quand on regarde un peu les dynamiques des mouvements, que ce soit avec la CMA ou la Plateforme, l’écrasante majorité des hommes armés n’attendent que l’intégration dans les corps. Ces hommes ne veulent même plus qu’on les soutienne en termes de projets ou d’insertion sociale ou autre. Trouver aujourd’hui quelqu’un qui soit capable de satisfaire ces exigences n’est pas une tâche aisée. Cequi nous amènera à dire que dans les mois à venir, la CMA risque en son sein de connaître des dissensions davantage qu’elle ne les connaît aujourd’hui.

L’Essor : Le gouvernement a annoncé le chronogramme des élections générales et du referendum. Pensez-vous que les dates retenues pour les scrutins pourraient être respectées vu la situation actuelle du pays ?

Dr Aly Tounkara : Le chronogramme du gouvernement est à saluer lorsqu’on résume tout à la tenue des élections. Si l’on regarde aujourd’hui les différentes réformes qui attendent cette Transition, vouloir les tenir pendant les 18 mois, l’idéal est à saluer mais la faisabilité pose problème en réalité. Deux scenarii se présentent. Le premier scenario est que des réformes et des élections vont être tenues aux dates indiquées, mais lesquelles seront non seulement exclusives, rejetées par une bonne partie de la classe politique, très contestées, donc un président élu au nom des fondamentaux de la démocratie mais très contesté en termes de légitimité, de déroulement du scrutin.

Quand on regarde ne serait-ce que la faisabilité des élections, au regard de la dynamique conflictuelle au Nord et au Centre du pays, l’armée régulière avec ses partenaires n’ont aucun moyen dans un délai d’un ou deux ans, de contribuer positivement à asseoir une paix durable afin de pouvoir tenir des élections à partir desquelles tous les Maliens, qu’ils soient du Mali profond ou des centres urbains, puissent prendre part. Personne ne peut donner cette garantie aujourd’hui.

Lorsqu’on interroge les élections en termes d’utilité, c’est impossible de les tenir dans le délai imparti. Elles peuvent être tenues dans le calendrier fixé par les autorités de la Transition mais tout en sachant qu’on va assister à des élections qui vont être tenues partiellement car il y a des endroits où leur tenue est quasi impossible. Mais au-delà de leur caractère partiel, on va assister surtout à des élections qui seraient très loin de satisfaire les attentes des Maliens quant à l’offre et à la demande de sécurité, même leurs attentes face au processus des élections.

Quand on prend le découpage administratif, dans le contexte malien, les aires culturelles sont émaillées par des subjectivités. Vous allez croiser deux villages voisins contigus qui ne veulent pas se retrouver dans la même circonscription pour des raisons liées à des tensions.

Il serait difficile de gérer ces dimensions du terroir et anthropologiques dans le contexte malien et aller vers des élections qui soient inclusives. Je comprends la bonne volonté affichée des autorités de la Transition de respecter l’engagement pris. Mais si toutes les réformes annoncées arrivent à être réalisées en 18 mois, elles vont souffrir de l’inclusivité et de la démocratie.

Vouloir procéder à ces réformes institutionnelles, administratives et à tous ces découpages administratifs dans un délai de 18 mois, naturellement elles seront contestées. Les autorités de la Transition sont dans une position très délicate car elles sont acculées à la fois par les partenaires, les organisations sous-régionales et internationales et par la classe politique qui doutent de leur volonté. Mais au-delà de la délicatesse de leur position, elles doivent rester lucides et raisonner en termes d’utilité.

Propos recueillis par
Dieudonné DIAMA

SourceEssor

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