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Mali : L’armée responsable de meurtres et de disparitions lors d’opérations antiterroristes, selon Human Rights Watch

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Selon Human Rights Watch, des soldats maliens auraient tué au moins 34 villageois, fait disparaître de force au moins 16 personnes et infligé des mauvais traitements à des détenus lors d’opérations antiterroristes menées dans la région de Mopti dans le centre du Mali. Pour l’organisation de défense des droits humains,  le gouvernement de transition du Mali devrait mener des enquêtes crédibles et impartiales sur ces incidents, tous perpétrés depuis sa prise de pouvoir lors d’un coup d’État mené le 18 août 2020. « Le gouvernement de transition du Mali devrait mener des enquêtes crédibles et impartiales sur ces incidents, tous perpétrés depuis sa prise de pouvoir lors d’un coup d’État mené le 18 août 2020. Les forces de sécurité maliennes n’ont guère respecté la vie humaine lors de récentes opérations de lutte contre le terrorisme », a déclaré Corinne Dufka, Directrice pour le Sahel de Human Rights Watch. « Perpétrer de graves abus au nom de la sécurité ne fait qu’alimenter le recrutement dans les rangs de groupes armés qui commettent leurs propres exactions, et sape la confiance des populations locales. » Le gouvernement a déclaré avoir ouvert des enquêtes sur des incidents survenus dans les villes de Libé et de Kobou, mais les membres des familles des victimes ont déclaré à Human Rights Watch que les autorités ne les avaient pas contactés. Les procureurs militaires maliens devraient enquêter de manière indépendante sur les allégations et suspendre les officiers impliqués dans de graves abus. Le ministère de la Défense devrait veiller à ce que la gendarmerie nationale malienne, chargée de promouvoir la discipline et de protéger les droits des détenus, participe à toutes les opérations militaires.

Entre novembre 2020 et avril 2021, Human Rights Watch a mené des entretiens en personne et par téléphone avec 43 personnes au courant de sept incidents, au cours desquels les forces de sécurité auraient commis de graves abus. Parmi elles figurent des témoins, des leaders communautés locaux, des représentants gouvernementaux et des diplomates étrangers. Les incidents ont eu lieu entre octobre 2020 et mars 2021 dans les villes, villages ou hameaux de Boni, Feto Hore Niwa, Kobou, Libé, Solla et Sokoura ; et à proximité. Les forces de sécurité maliennes auraient commis les exactions au cours d’opérations militaires menées en réponse à la présence de groupes armés islamistes en grande partie liés à Al-Qaïda. Ces constatations font suite aux recherches menées par Human Rights Watch dans le centre du Mali depuis 2015. Human Rights Watch a également documenté de graves exactions commises par des groupes armés islamistes et par des milices ethniques dans le centre du Mali au cours de la même période, y compris des exécutions sommaires de civils et l’utilisation indiscriminée d’engins explosifs improvisés.

Des témoins ont décrit comment le 23 mars, des soldats à Boni ont détenu des dizaines de passagers d’un bus après avoir trouvé du matériel suspect dans la soute à bagages ; ils leur ont bandé les yeux, et les ont sévèrement battus. Au moins 13 passagers auraient fait l’objet de « disparitions ».

Dix témoins ont décrit une opération militaire le 22 octobre 2020 à Libé et aux abords de ce village, au cours de laquelle les forces de sécurité auraient tué 25 villageois, dont des femmes, des enfants et des personnes âgées, alors que nombre d’entre eux prenaient la fuite.

Toutes les parties au conflit armé au Mali ont des obligations juridiques en vertu de l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 et d’autres traités et lois coutumières de la guerre, qui stipulent qu’un traitement humain doit être réservé aux combattants capturés et aux civils en détention. Les auteurs de graves violations des lois de la guerre, y compris les exécutions sommaires et les actes de torture, peuvent être poursuivis pour crimes de guerre. Le Mali est partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui a ouvert une enquête sur les crimes de guerre présumés commis dans ce pays depuis 2012.

Le 7 avril, Human Rights Watch a transmis au gouvernement malien une lettre précisant les allégations d’abus figurant dans son rapport. Dans sa réponse datée du 13 avril, le Secrétaire Général du ministère de la Défense et des Anciens combattants a indiqué que pour tous les incidents cités dans le rapport, « des enquêtes ont été ouvertes et les investigations sont en cours » et a noté que des militaires « ont été entendus ». La lettre a ajouté que les enquêtes sur les allégations concernant Libé et Kobou ont été gênées par la situation sécuritaire qui reste précaire, et par « la réticence de certaines personnes à témoigner ».

« Promettre d’enquêter sur les abus est une étape positive, mais le gouvernement malien n’a pas tenu de nombreux engagements antérieurs de ce type », a relevé Corinne Dufka. « Les autorités maliennes devraient reprendre le contrôle des unités qui commettent des abus et faire bien plus pour garantir la discipline dans le cadre des opérations, exiger des comptes des auteurs d’abus, et prévenir de nouvelles atrocités. »

Informations complémentaires

Le 23 mars, des membres des forces de sécurité effectuant un contrôle de routine à un poste de contrôle militaire près de Boni ont trouvé un uniforme militaire et des bottes dans la soute à bagages d’un bus ayant quitté Bamako le 22 mars. Ils ont attaché les mains et bandé les yeux d’environ 35 hommes qui se trouvaient à bord du bus. Ensuite, ils les ont conduits jusqu’au camp militaire, où ils ont été violemment passés à tabac durant plusieurs heures.

La situation ou le lieu de détention d’au moins 13 de ces hommes demeurent inconnus. De nombreux témoins des arrestations et des mauvais traitements craignent que les hommes ne soient morts sous les coups reçus en détention. Human Rights Watch a obtenu des informations crédibles selon lesquelles les forces de sécurité ont enterré un certain nombre de corps dans une fosse commune le 25 mars, à environ un kilomètre du camp.

Douze des hommes disparus, dont les noms ont été communiqués à Human Right Watch par leurs familles, étaient originaires du Burkina Faso. Des membres de ces familles ont déclaré que les hommes vivaient en tant que réfugiés à Bamako depuis plusieurs années et étaient sur le chemin du retour vers leurs villages au Burkina Faso, à la suite de l’amélioration de la situation sécuritaire dans leur pays.

Les villageois ont déclaré qu’environ 20 des 35 détenus avaient été remis en liberté le lendemain. Mais les membres des familles des passagers et des habitants de Boni ont déclaré que les circonstances des hommes restants demeuraient inconnues.

Le 13 janvier, des dizaines de membres des forces de sécurité maliennes accompagnés de plusieurs soldats qui semblaient être des membres de l’Opération Barkhane, dirigée par la France, ont mené une opération de bouclage et de fouille dans le village de Kobou. Cinq témoins ont déclaré que l’opération avait duré environ de 5 heures du matin jusqu’à midi. Les soldats maliens ont arrêté quatre villageois à cette occasion et les ont embarqués à bord d’au moins deux véhicules de l’armée malienne qui se dirigeaient vers le nord.

Deux des hommes détenus, Mamoudou Hama Diallo, et Hamidou Yero Diallo, âgés de 31 et 50 ans, respectivement, ont été retrouvés morts le lendemain à 10 kilomètres au nord de Kobou. La cause de leurs décès n’a pas encore été établie. Un troisième individu, Amadoure Diallo, âgé de 48 ans, a fait l’objet d’une disparition forcée. Le quatrième homme a été remis en liberté au terme d’environ deux semaines de détention.

 

Le 14 janvier, trois villageois ont trouvé les corps de Mamoudou Hama Diallo et Hamidou Yero Diallo dans un bois isolé, connu localement sous le nom de Boga Laiga, à 10 kilomètres au nord-ouest de Kobou.

Un communiqué du 15 janvier publié par le Chef d’État-major général de l’armée malienne a déclaré que les quatre hommes étaient des membres de « groupes armés terroristes » capturés lors de violents combats et que «trois des quatre prisonniers ont perdu la vie lors de leur transfèrement de Boulkessi vers Sévaré». Le communiqué ajoutait qu’une enquête avait été ouverte pour déterminer les circonstances dans lesquelles sont morts ces individus.

Le 12 janvier vers 16 heures, un convoi de soldats patrouillant dans le hameau de Solla a tiré sur un petit groupe d’hommes rassemblés près du puits local pour y abreuver leurs animaux, exécutant manifestement trois d’entre eux. Les victimes, toutes des résidents du hameau, étaient Amadou Allaye Diallo, Oumarou Amadou Diallo, et Haméré Diallo, âgés de 25, 30 et 55 ans, respectivement. Deux témoins ont déclaré avoir entendu les rafales d’un fusil semi-automatique alors que le convoi militaire traversait la zone, notant n’avoir trouvé aucune arme sur les victimes ou à proximité.

Dans la matinée du 12 janvier 2021, les corps de Boukary Boureima Sankare, âgé de 37 ans, et de Mamadou Boukary Sankare, 30 ans, ont été retrouvés à la périphérie de la ville de Sokoura. Deux habitants qui connaissaient les victimes ont déclaré que les deux hommes étaient originaires du village de Mankanou, à cinq kilomètres au nord, et ont été vus pour la dernière fois la veille dans le village de Sokoura sous la garde des forces de sécurité.

Human Rights Watch s’est entretenu avec 10 villageois présents lors de l’attaque du village de Libé, dans le Cercle de Bankass, au cours de laquelle les forces de sécurité maliennes auraient tué 25 villageois, incendié de nombreuses maisons et greniers et pillé du bétail et des objets de valeur.

L’attaque a duré de midi à 14 heures environ. Un ancien du village a fourni à Human Rights Watch une liste des 25 victimes, dont trois femmes et deux enfants. Quatorze étaient âgées de plus de 50 ans. Un enfant n’a toujours pas été retrouvé. Un leader communautaire a déclaré que bon nombre des personnes tuées étaient trop malades, trop âgées ou trop jeunes pour fuir.

Un analyste militaire qui a enquêté sur l’incident de Libé a déclaré à Human Right Watch que « plusieurs forces de sécurité avaient pris part à l’opération, notamment l’armée, la garde nationale et l’armée de l’air ». Selon deux leaders communautaires, certains membres des forces de sécurité ont traité les villageois avec respect et dispensé les premiers soins à ceux qui avaient été blessés par d’autres.

« C’était comme si différents corps de l’armée avaient reçu différents ordres », a noté un ancien. « Un groupe s’est adressé avec respect aux habitants, les questionnant sur la présence de djihadistes, et l’autre groupe est venu tuer. » Deux villageois ont déclaré avoir observé quelques membres d’un groupe de défense civile d’ethnie Dogon travaillant aux côtés des forces de sécurité, servant de guides.

Plusieurs villageois ont reconnu la présence d’islamistes armés à Libé et à proximité comme la raison de l’opération de l’armée, notamment après l’attaque du 13 octobre contre le camp militaire de Sokoura, non loin de Libé, lors de laquelle neuf soldats ont été tués. Mais les villageois ont condamné l’incapacité des forces de sécurité à opérer une distinction entre combattants et civils. « Oui, il y a des djihadistes dans cette zone, mais ils se regroupent dans les forêts,  pas à l’intérieur du village », a commenté un commerçant âgé de 40 ans. « Une armée professionnelle devrait prendre le temps de savoir qui est un djihadiste et qui ne l’est pas, au lieu d’ouvrir le feu sur tout le village. »

Le 28 octobre, un communiqué du ministère malien de la Défense et des Anciens combattants a dénoncé les accusations concernant l’implication de membres des FAMa dans les meurtres de Libé comme « des déclarations mensongères qui ne visent qu’à ternir l’image des Forces Armées Maliennes », tout en déclarant que des enquêtes seraient menées « pour mettre en lumière tout cas de dérapages avérés ». Personne à ce jour n’a été appréhendé pour les meurtres.

Source : Human Rights Watch

SourceLe républicain mali

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