Dans cette interview, l’ancien chef de la diplomatie malienne Tiébilé Dramé livre son analyse sur l’évolution de la situation sociopolitique dans notre pays. Aussi, le président du Parti pour la renaissance nationale (Parena) aborde l’impact de l’assassinat du président de la CMA sur le processus de paix. Il évoque également les conséquences de la brutale disparition du président tchadien Idriss Déby Itno sur la lutte contre le terrorisme au Sahel
L’Essor : Quelle lecture faites-vous de l’évolution de la situation sociopolitique dans notre pays depuis la mise en place des organes de la Transition ?
Tiébilé Dramé : Les principaux défis auxquels le pays est confronté sont antérieurs à la Transition en cours. Il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’elle relève,en quelques mois, des défis aussi complexes. Toutefois, on aurait pu prendre, dans le rassemblement et le consensus, dès le début, le chemin des solutions.
Sur le front de la lutte contre le terrorisme, les spécialistes et les observateurs avertis sont unanimes à reconnaître, en dépit de l’extension de l’insécurité, un aguerrissement croissant de nos forces qui résistent de plus en pluset de mieux en mieux aux assauts terroristes. Je les salue pour les sacrifices qu’elles consentent, chaque jour, afin depréserver le Mali.
Par ailleurs, s’il y a un réel frémissement dans la quête de consensus autour du chantier des réformes, sur des questions essentielles comme la lutte contre l’impunité, c’est l’inaction totale. On ne bouge pas sur le front des atteintes à la morale publique. On a même l’impression d’un incroyable immobilisme dans la lutte contre l’impunité.Or ce qui est en cause, c’est l’intérêt général et la stabilité du pays.
Laisser impunie l’évaporation des dizaines, voire des centaines de milliards de francs CFA d’un des peuples parmi les plus pauvres de la terre est, tout simplement inqualifiable et de mauvais augure pour le présent et l’avenir. Il y va de l’honneur des autorités de la Transition. Il y va aussi de l’honneur de la magistrature malienne.
L’Essor : Le Premier ministre a initié un cadre de concertation avec les acteurs politiques et la société civile dont l’aboutissement est la création du Comité d’orientation stratégique sur les réformes politiques et institutionnelles. N’est-il pas là une volonté des autorités de rendre la Transition inclusive ?
Tiébilé Dramé : Des efforts sont, en effet, en cours pour corriger le manque d’inclusivité des premiers mois de la Transition. Le processus qui a conduit à la création et à la composition du Comité d’orientation stratégique sur les réformes politiques et institutionnelles (COS-RPI) résulte d’une quête salutaire de consensus qui doit être l’ADN de toute Transition.
L’Essor : Il y a quelques jours, le gouvernement a publié le chronogramme des élections générales et du referendum constitutionnel. N’est-ce pas une assurance que les autorités sont déterminées à respecter le délai de la Transition ?
Tiébilé Dramé : Tout ce qui touche aux élections doit se faire dans la concertation. Il aurait fallu laisser le COS définir le périmètre et le rythme des réformes avant de publier un calendrier quasi impossible à tenir.
L’Essor : Le président de la CMA, Sidi Brahim Ould Sidatt a été assassiné à Bamako, il y a quelques jours. Quel pourrait être l’impact de sa brutale disparition sur le processus de paix en cours dans notre pays ?
Tiébilé Dramé : L’assassinat du président de la CMA est un crime odieux. La mort du frère Sidi Brahim Ould Sidatt est une grande perte pour le processus de paix et pour le Mali. Il est, toutefois, hautement souhaitable que le processus ne soit pas affecté par cet acte grave. Toutes les partiessignataires et impliquées doivent donnerle meilleur d’elles-mêmes pour accélérer l’appropriation nationale de l’Accord pour la paix et la réconciliation et hâter sa mise en œuvre.
L’Essor : Le président Idriss Déby Itno est décédé récemment. Quelles conséquences cette perte pourrait avoir sur la lutte contre le terrorisme dans notre pays et dans le Sahel en général ?
Tiébilé Dramé : La mort du président Idriss Déby Itno est une catastrophe pour le Tchad et le Sahel. Les Maliens ne rendront jamais assez hommage au peuple tchadien et à son leader pour leur contribution décisive à la libération du Mali en 2013. Par leur présence dans le Liptako-Gourma, les militaires du Tchad contribuent à la préservation de nos libertés et de notre souveraineté.
L’héroïsme des soldats tchadiens, les corps-à-corps sanglants dans l’Adagh malien en 2013 occuperont une place à part dans les livres d’histoire du Mali. Tous, à commencer par les forces vives du Tchad, devraient tout faire pour que la mort du président Déby n’affecte pas l’engagement du Tchad au Sahel.
Les forces vives du Tchad (partis politiques, société civile, Forces armées nationales, opposition armée) doivent prendre la juste mesure de la place et du rôle de leur pays en Afrique centrale et occidentale.
Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ et Dieudonné DIAMA
Source: Essor