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Presse en ligne au Mali: Un fourre-tout assis sur un vide juridique

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Au grand dam des vrais professionnels et au mépris de toutes règles, certains jeunes maliens, qui croit avoir le verbe facile, sans aucune formation journalistique ni base professionnelle, muni d’un Smartphone et d’un trépied, animent la presse en ligne. Facile ! D’autant plus qu’il n’existe pas de loi qui réglemente le secteur.

 

« Ce qui m’énerve, c’est le ballet des supports des vidéo-mans. J’ai de la peine à installer ma caméra…Certains d’entre eux font tous pour que leur micro, avec effigie, apparait sur l’ORTM (Ndlr, l’Office de radiodiffusion télévision du Mali, service public) …il faut trouver une solution à cet envahissement », explose un caméraman de l’ORTM. Notre confrère nous fait part de sa répugnance de ces nouveaux « journalistes » lors d’une rencontre à la Primature.

C’est une triste réalité. Nous le remarquons à chaque point de presse organisé à la Primature sur une décision importante de la vie de la nation. Les trépieds de la presse en ligne prennent la place de ceux des télévisions de notre pays. Comme ce fut le cas lors de l’avant dernier point de presse animé à la Primature sur la propagation de la Covid-19.

Ces WebTV, tout comme les web radios, inondent l’espace de la presse en ligne au Mali. Chacun détient sa propre télé ou radio sur le net. Pourtant, à l’Association des professionnels de la presse en ligne au Mali (APPEL-Mali), on ne compte que 39 sites professionnels d’information de la presse écrite en ligne. APPEL-Mali regroupe trois médias en ligne, appelés encore éditeurs de médias. Ces nouveaux canaux de communication sont la presse écrite en ligne sur des sites d’information, les WebTV qui sont, également, des télévisons mais diffusées via Internet. Il y a, aussi, les web radios qui commencent à prendre de l’ampleur dans le paysage médiatique du Mali.

Sous un soleil de plomb d’avril, avec un vent chaud et sec, le président d’APPEL-Mali, Modibo Fofana, dans son bureau à l’immeuble de l’Union des journalistes ouest-africains (UJAO) à l’ACI 2000, se montre peu satisfait du fonctionnement de la presse en ligne au Mali. A l’image de l’ Union des radios et télévisions du Mali (URTEL) et de l’Association des éditeurs de la presse écrite (ASSEP), l’association qu’il dirige, créée en 2015 mais opérationnelle en 2016, assure le rayonnement des médias en ligne au Mali.

DU TOUT-VENANT – Le président de l’Association des professionnels de la presse en ligne au Mali, Modibo Fofana, ne cache pas sa déception devant l’évolution en cours du secteur. Mais, il reste optimiste avec les objectifs que s’est fixés APPEL-Mali. Internet dans notre pays devient un fourre-tout avec les réseaux sociaux sur lesquels n’importe publie, « pour la simple raison que l’internet est ouvert à tout le monde », alerte-t-il.

M.Fofana rappelle que l’un de leurs combats est de structurer le secteur de la presse en ligne pour une meilleure organisation. « L’information est réservée exclusivement aux seuls professionnels qui ont soit fait l’école de journalisme ou appris les sciences de l’information, soit le journalisme sur le tas mais avec un diplôme supérieur et, surtout, un niveau acceptable », prêche-t-il.

Il préconise une union sacrée des vrais professionnels du secteur pour très bien organiser le secteur dans sa progression. Selon M. Fofana, APPEL-Mali compte aujourd’hui 39 sites d’information écrite dont une quinzaine très actifs qui ont de bonnes et grandes audiences.

Ce sont seulement ces sites d’informations qui sont acceptés par APPEL-Mali en tant qu’entreprises de presse en ligne ayant une base qu légale. Ils travaillent dans la légalité car ces sites d’information détiennent un Numéro d’identification fiscale (NIF) et payent régulièrement les taxes mensuelles aux impôts. « C’est pourquoi, nous les considérons comme des sites sérieux œuvrant dans la légalité », justifie Modibo Fofana, ajoutant que tous les sites acceptés par APPEL-Mali travaillent dans ce sens.

L’APPEL-Mali a sur sa table quatre demandes d’adhésion à l’étude au niveau de sa Commission de validation, indique M. Fofana.

En réalité, créer un site sur le net ne demande pas un effort. C’est pourquoi, il existe plus de cent sites sur le net. Mais pour plus de sérénité et de professionnalisme, APPEL-Mali a fixé des conditions d’adhésion. « Sur le net, on peut créer un site gratuitement, mais pour les sites professionnels il faut avoir 1.000 ou 2.000 euros », révèle-t-il.

Assétou Fofana, une activiste sur le net, ne va pas dans la même direction que l’Association des professionnels de la presse en ligne au Mali. Notre interlocutrice a sa propre manière de faire du journalisme. Elle s’estime plus libre dans ses productions qui lui rapportent beaucoup. « Souvent, mon compte YouTube peut me rapporter près d’un million de francs CFA. Ce sont le buzz qui m’intéresse », se réjouie-t-elle.

Pourtant, le journaliste est celui qui sait faire le tri entre un article publiable ou non, estime Modibo Fofana se faisant le chantre du professionnalisme du secteur. « Au moins que les intervenants sur le net maitrisent le traitement de l’information, tout en respectant l’éthique et la déontologie du journalisme. Mais malheureusement, dans notre pays, tout le monde se dit journaliste. C’est pourquoi, on a souvent des dérapages déontologiques dans la presse en ligne au Mali », se désole Modibo Fofana.

HEBERGEMENT – Pour créer un site d’information, la première des choses serait d’acheter un nom de domaine. Le domaine est équivalent au titre d’un journal papier. Et ce domaine doit être hébergé sur un serveur. « C’est-à-dire que tu crées un site mais le nom de domaine ne t’appartient pas. L’hébergement ne t’appartient. C’est la même chose comme le compteur d’Energie du Mali (EDM). On prend le compteur en son nom mais il appartiendra toujours l’EDM, le président de l’APPEL-Mali.

« Chaque mois ou chaque année, poursuit Modibo Fofana, on paie les frais de location de ces noms de domaine ». Au Mali, l’hébergement des sites professionnels coûte entre 80.000 à 1.000.000 de Fcfa par an. Les sites d’information doivent aussi payer des frais pour rester plus visibles sur les réseaux sociaux.

Pour le directeur de publication du site Afrikinfos-Mali, Ousmane Ballo, l’hébergement est une question claire. « Les frais sont connus ainsi que le début et la fin de l’abonnement. A la fin de l’abonnement, le site sera mis hors du réseau si le site n’est pas à jour dans le paiement », précise-t-il.

Toutefois, les problèmes se trouvent plutôt au niveau des webmasters. D’après lui, certains webmasters sont moins clairs avec les promoteurs de sites et l’hébergeur. M. Ballo signale que les promoteurs de sites d’information ignorent les aspects techniques et le langage informatique que seuls les webmasters maitrisent.

Ils gèrent les sites avec l’hébergeur en cas de difficulté ou en termes de sécurité. « Très souvent, ils tiennent qu’on leur paye ces interventions ». Ainsi, les webmasters font une facture commune rajoutant le prix de l’hébergement pour, à leur tour, payer l’hébergeur. Ce qui fait qu’on est, parfois, floué par ces webmasters dans une situation d’opacité totale », accuse le promoteur du site d’information Afrikinfos-Mali. Il enfonce le clou : « certains webmasters peuvent créer un problème sur le site, afin d’avoir de se faire rémunérer à chaque intervention ».

Quant à l’Agence des technologies de l’information et de la communication (AGETIC), Ousmane Ballo souligne que cette structure ne gère pas tous les sites. Les sites ‘.com’ ; ‘.net’ ; ‘.info’ sont très, généralement, gérés en France ou au Canada. Selon lui, c’est tout récemment que l’Agetic a récupéré les sites .ml pour le gérer à distance. Parce que c’est un serveur qui appartient à l’AGETIC mais est logé ailleurs.

Selon les explications du président d’APPEL-Mali, Modibo Fofana, au Mali, les domaines de la majorité des sites d’information sont hébergés ailleurs. Cependant, certains promoteurs commencent à créer leur propre serveur pour loger leur site.

VIDE JURIDIQUE – Contrairement à la presse classique, aucune loi ne règle le secteur de la presse en ligne au Mali. C’est l’une des difficultés que relève les responsables du secteur. « Malheureusement, regrette Modibo Fofana, avec l’adoption du texte sur la cybercriminalité, certains hommes de Droit commencent à faire une confusion entre journaliste de la presse en ligne et cyber-criminel ». Ainsi, à l’absence d’une loi spécifique, les hommes de Droit appliquent automatiquement le Code pénal ou la loi sur la cybercriminalité. « En cas d’infraction, un journaliste de la presse en ligne peut être considéré comme un cybercriminel. Un problème  sérieux auquel nous sommes confrontés », déplore le président de l’APPEL-Mali.

« Si j’ai un cri de cœur, déclare-t-il, c’est de dire qu’il est très urgent d’adopter une loi pour la presse en ligne. Car, aujourd’hui la technologie n’attend pas ». Et d’ajouter que certains pays voisins ont déjà adopté une loi. Pour lui, cette transition est la meilleure période pour réglementer le secteur de la presse en ligne au Mali.

S’y ajoute la problématique des fake news, « fausses informations ». Les professionnels de la presse en ligne estiment que ces fausses informations sont devenues le cancer des réseaux sociaux. « Des gens, qui n’ont jamais fait de l’information, jamais été à une école de journalisme et n’ont pas appris les b.a.ba du métier, achètent un smartphone, un trépied pour l’exercer. Subitement, ils se déclarent journalistes », dénonce le président de l’Appel-Mali. Ajoutant que c’est « la raison pour laquelle, on a au Mali des activistes-journalistes, des chroniqueurs-journalistes… ».

Par ailleurs, les sites d’informations sérieux au Mali sont confrontés au problème de financement. Jusqu’à présent, la presse en ligne est considérée comme un canal d’information qui ne fait que relayer les articles des journaux papier. Elle n’est pas la première destination des annonceurs et autres publicitaires. Ceux-ci privilégient les journaux de la presse écrite plutôt que la presse en ligne. « Nous sommes toujours relégués au second plan alors qu’aujourd’hui, nous avons des entreprises qui emploient des journalistes. On a des charges fiscales, des rédactions à gérer, entre autres », signale Modibo Fofana.

Lignes éditoriales – Au Mali, les lignes éditoriales sont très généralement politiques. La presse en ligne ne fait pas exception. « Nous avons tous une ligne éditoriale tournée vers la politique parce que, jusqu’à présent, ce sont les politiques qui s’intéressent beaucoup à la publication des articles », reconnait le président de l’APPEL-Mali.

« Il y a des sites spécialisés, notamment dans le domaine culturel, sportif, environnemental, entre autres », note-t-il. Les autres sont tous dans l’information générale avec une ligne tournée uniquement vers la politique. « Parce que ce sont les politiques qui ont créé la presse au Mali. Et la presse n’arrive pas à couper le cordon ombilical avec les politiques », estime notre interlocuteur.

OD/MD

SourceAMAP

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