Notre pays a commémoré la Journée internationale de la liberté d’expression de la presse du 3 au 7 Mai 2021 à la Maison de la presse. Au cours de cette semaine nationale plusieurs thématiques ont été abordées par les responsables de la presse sur les conditions de vie et de travail des journalistes maliens. Sur ce sujet nous avons recueilli pour vous les avis éclairés de quelques acteurs des médias.
Chahana Takiou : président du Groupe Patronal de la Presse
“Il n’y a jamais eu une volonté politique de donner à la presse toute sa liberté, toute son indépendance”
« Avec la démocratisation de notre pays, la presse est née avec le mouvement démocratique. Donc la presse malienne est née avec la politique. Au début des années 1990, 1991 la presse était très politisée. C’était une presse militante une presse engagée avec ” Les Echos” le premier journal à l’époque de la place qui appartenait à un homme politique qui est devenu plus tard le président de la République, Alpha Oumar Konaré. Il y avait d’autres organes, tels ‘’l’Aurore’’, ‘’la Roue’’. C’était une presse engagée qui dénonçait, qui critiquait la dictature, qui montrait le mal vivre des Maliens, qui laissait entendre qu’il faudrait que la situation change pour que nous puissions avoir une très bonne école, pour que nous puissions avoir une bonne condition sanitaire, donc la presse est née avec la politique.
Plus tard nous sommes rendus compte de ce dérapage du fait que la presse est fortement politisée et jusqu’aujourd’hui cette presse est dans cette logique. Mais s’il y a eu, quelque part, une nette amélioration, il faut noter aussi un recul par rapport à 92 parce qu’ à l’époque il n’y avait pas assez de journaux. Aujourd’hui on dénombre au moins 159 journaux plus de 450 radios. De ce fait, toutes les opinions sont là, sont exprimées aucune information ne peut être cachée.
Je pense que s’il faut faire un bilan de la presse notre presse vient de loin, parce que au début on n’avait pas de journalistes professionnels c’était des sortants des grandes écoles qui venaient dans la presse avec un certain dévouement et engagement. Par la suite, la Maison de la presse dirigée à l’époque par Saïdou Yattara, a organisé beaucoup de formations au bénéfice des journalistes. Aujourd’hui on voit que la plupart des jeunes en situation de chômage viennent dans la presse sans référence et sans répondre même aux critères d’un journaliste, parce que pour être journaliste il faut au moins avoir une maîtrise ou d’être diplômé d’une école de journalisme.
Si moi je dois accuser quelqu’un je vais accuser le pouvoir public, il n’y a jamais eu une réelle volonté politique d’accompagner la presse. Il n’y a jamais eu une volonté politique de donner à la presse toute sa liberté, toute son indépendance, parce que les lois ne sont pas respectées par le pouvoir public lui-même. L’aide publique qui permet d’accompagner si peu qu’il soit la presse, nous sommes l’un des premiers pays en Afrique Occidentale a décrété cette aide publique de deux cents millions, mais chaque année cela diminue. Alors qu’en Côte d’Ivoire et Senegal, ils sont dans le milliard pour aider l’ensemble de la presse.
Et l’autre problème de la presse, c’est la précarité dans laquelle vivent les journalistes, une radio ou un journal qui n’est pas rentable ne peut pas payer ses journalistes. Une radio ou un journal qui n’a pas de dividendes ne peut pas bien payer ses journalistes, parce qu’un journal ou une radio c’est d’abord une entreprise qui doit gagner de l’argent, qui doit avoir de la dividende. L’Etat doit créer les conditions pour que les entreprises de presse puissent évoluer positivement, avoir de l’argent et payer les journalistes. La grande majorité des recettes de la presse provient surtout de la publicité et les annonces, mais au Mali c’est l’ORTM et l’AMAP qui prennent tous, ce qui n’est pas normal. Il doit y avoir une loi pour réglementer la publicité. L’ORTM est un organe public, même si elle fait rentrer zéro franc, l’État fera les prises en charge, ce qui n’est pas le cas de la presse privée. La presse privée a besoin d’un accompagnement de l’État pour que celles-ci soient des entreprises viables afin de payer décemment les journalistes qui y travaillent. La grande difficulté de notre presse aujourd’hui ce n’est pas seulement la formation car il y eu beaucoup de formations et il y a beaucoup d’écoles de journalisme, mais tant qu’on vit on se remet en question, on se forme. Le problème aujourd’hui c’est la précarité, la convention collective des journalistes qui fait défaut, ce qui joue sur l’exercice de notre profession. Tout ceci constitue une question de volonté politique, il faudra que l’État soit courageux, qu’il ose s’affirmer et s’assumer pour légiférer. Sinon les réseaux sociaux sont partout au monde, il faudra canaliser les uns et les autres car nous sommes dans une République, dans un système démocratique où nous travaillons sur la base des normes étatiques”.
Oumou Fofana : journaliste reporter au journal ‘’Mali Tribune”
“La situation des journalistes au Mali est vraiment inquiétante…”
“La situation des journalistes au Mali est vraiment inquiétante parce que malgré le fait que la liberté d’expression est clamée partout, mais nous ne sommes pas libres de nos écrits. Il arrive souvent que nos directeurs de publication annulent nos écrits car ils sont des partenaires avec certaines structures. On critique un peu leur insuffisance en tant que journaliste, on a droit de relayer l’info alors il faudrait bien qu’on nous accorde les infos qu‘il faut en temps réel. Surtout dans le cadre de la justice on a beaucoup de problème pas mal de journalistes ont été récemment interpellés devant la justice, c’est vraiment inquiétant. Parce que pour qu’on évite d’être interpellé devant la justice il faudrait bien que nous sachons nos limites avec la justice. Avec les mêmes services judiciaires on a des difficultés, même pour avoir accès à certaines informations, même si elles ne sont pas confidentielles. Ce faisant, il est temps que la situation soit améliorée et que l’aide à la presse ne soit pas juste une loi mais que cela soit traduit en actes, car nos situations sont vraiment inquiétantes. En tant que journaliste on est obligé de regarder de gauche à droite pour subvenir à nos besoins. De ce fait, si les autorités pouvaient au moins jeter un regard sur notre situation, ce serait encore mieux”.
Boubacar Kanouté : président de l’Union des Journalistes Reporter du Mali
“30 ans de misère, ça suffit”
‘’Les journalistes maliens vivent dans un contexte de désordre, de fortes inquiétudes mais aussi de désespoir, plus particulièrement ceux qui ne sont pas des patrons d’organe de presse (les reporters), souffrent le martyre.
Le désordre parce que le métier est envahi par des propriétaires de téléphones Android de 50 000 fcfa, autoproclamés journalistes qui piétinent toutes les règles de déontologie et d’éthique du journalisme. C’est aussi le manque de respect de ces normes qui affecte la presse par certains nouveaux types de journalistes appelés sous le couvert de “journalistes citoyens et/ ou révolutionnaires”. Des termes graves qui, si on n’y prend pas garde, risquent à jamais de salir ce noble métier. Car il n’y a pas deux codes qui encadrent ce métier. On est soit journaliste, on s’y conforme, ou on choisit de devenir autre. Trente ans après, les journalistes reporters maliens ne se sentent toujours pas dans une fonction. Ils continuent toujours à courir derrière les perdiems pour subvenir aux besoins de leur petite famille. Pas de salaires, ou souvent misérable, pas de protection sociale, aucune garantie de meilleure perspective. Et dire que nous sommes le 4ème pouvoir. Alors, qu’on donne tout notre pouvoir aux trois autres pouvoirs (exécutifs, législatifs et judiciaire ). Trente ans de misère, ça suffit’’.
Propos recueillis par Fatoumata Coulibaly
Source: Le Sursaut