Depuis début novembre, l’armée fédérale a lancé une opération militaire de grande ampleur contre le TPLF, le pouvoir du Tigré, la province du Nord située à la frontière avec l’Érythrée. Le 28 novembre, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed avait crié victoire, mais les violences continuent. De nombreux crimes de masse ont été révélés. Chaque camp est mis en cause, la situation humanitaire est désastreuse et les affrontements ont désormais de multiples facettes.
De notre correspondant à Nairobi,
Un chiffre parle de lui-même, c’est celui de 4,5 millions de personnes ayant besoin d’aide humanitaire. Partout au Tigré, la poursuite du conflit ne fait qu’aggraver la situation. Résultat : les camps de déplacés saturent. Exemple de la capitale Mekele, où se trouvent plus d’une vingtaine de sites, abritant parfois plus de 10 000 personnes. Hadoush coordonne celui de l’école primaire Mayweli, le dernier camp ouvert en ville.
« On a beaucoup de problèmes d’hygiène, les gens ont faim, explique-t-il. Les habitants nous aident. Mais nous manquons de tout. On a besoin de nourriture, de lits. Hier soir, une femme sur le point d’accoucher est morte, car il n’y avait pas d’ambulance. Avant, j’étais agriculteur. Des miliciens sont arrivés au village. Ils ont pillé et tué. J’ai vu des femmes enceintes se faire poignarder à mort. J’ai été tellement choqué, j’ai pris ma famille et j’ai fui. Je n’ai rien pris, nous avons juste couru. »
La peur des incursions érythréennes
L’accès de l’aide humanitaire s’est amélioré, mais les obstacles sont encore énormes. Le représentant d’une ONG parle de nombreux blocages encore aux barrages installés un peu partout dans le pays. Malgré les autorisations, beaucoup de convois sont encore bloqués, notamment par l’armée érythréenne.
« Les Érythréens ont installé un barrage à Samra il y a trois mois, témoigne Giday, un chauffeur de bus qui fait la liaison entre Mekele et Samra, dans le sud-ouest de la capitale. Un jour, ils m’ont fait sortir et m’ont tabassé en me criant de ne jamais revenir. Donc maintenant je m’arrête ici à Melvey. J’ai toujours très peur, car les Érythréens font parfois des incursions jusqu’ici. Alors sur la route, je demande la situation aux chauffeurs que je croise. Si les soldats sont trop proches, je rebrousse chemin. »
« Ils tiraient au hasard dans la foule »
Après des mois de déni, le 26 mars, le Premier ministre Abiy Ahmed avait enfin reconnu la présence des Érythréens au Tigré. Il avait présenté leur opération comme de la légitime défense suite à des bombardements du TPLF sur le territoire érythréen. Le chef du gouvernement avait aussi promis qu’ils allaient partir. Mais deux mois plus tard, ils sont toujours là. Une source officielle explique qu’il faut d’abord ébaucher un plan pour que les soldats éthiopiens occupent les positions tenues par les Érythréens une fois que ces derniers seront partis. Et d’ailleurs, c’est là que résiderait une partie de la solution selon la communauté internationale : le départ des Érythréens, car ils sont accusés de multiples crimes.
« Les Érythréens tiraient au hasard dans la foule, décrit Gerense Hailu, venu de Sheraro dans l’Ouest et réfugié dans une école primaire de Mekele. Je me suis couché au milieu des cadavres et j’ai fait le mort pendant toute une journée. La nuit, je me suis levé et je suis parti. Mon fils de 13 ans était mort. Je n’ai même pas pu l’enterrer. J’ai mis cinq mois pour arriver ici. Je prenais les petites routes, de village en village. C’était très dur. Les habitants me donnaient un peu à manger. Mais beaucoup n’avaient même pas assez pour survivre. »
Sentiment d’être assiégés
Le conflit du Tigré est aujourd’hui une guerre aux multiples facettes. Dans la province sont déployées l’armée fédérale éthiopienne, l’armée érythréenne et en plus, les forces Amhara, de la région voisine du Tigré, qui ont conquis une partie de l’ouest et du sud de la région. Tout cela entraîne chez les Tigréens le sentiment d’être assiégés.
Aujourd’hui, selon les experts, le TPLF a consolidé sa présence dans les zones rurales. Il reçoit un soutien de la population, dont la volonté d’indépendance du Tigré est de plus en plus forte au fil du temps. Et l’aide apportée par l’Érythrée et les Amharas fait que beaucoup s’engagent dans la résistance. Ce conflit n’aurait pas de solution militaire et seul un dialogue pourrait mettre fin à la crise. Sauf que pour l’instant, aucun pourparler ne semble possible.