TENSIONS. La situation est confuse dans le pays alors que le président de la Transition et son Premier ministre ont été emmenés par des militaires dans le camp de Kati.
Peu après l’annonce de la formation d’un nouveau gouvernement de transition ce lundi 24 mai aux alentours de 17 h 30, le Mali est de nouveau plongé dans une crise politique dont l’ampleur reste à déterminer tant la situation est volatile. Sur la base d’informations confirmées depuis hier soir, des militaires maliens mécontents du nouveau gouvernement ont emmené de force le président et le Premier ministre dans la soirée au camp militaire de Kati, la plus importante ville garnison du pays située à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Bamako. C’est de là qu’était parti le coup de force qui a précipité la fin du mandat de l’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta, le 19 août dernier.
Pressions autour du président et du Premier ministre
Tout s’est précipité en fin de journée, lorsque peu après l’annonce de la liste du nouveau gouvernement diffusé en direct sur la télévision nationale, l’Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM), le Premier ministre de transition, Moctar Ouane a indiqué à l’Agence France-presse lors d’un bref échange téléphonique avoir été emmené lundi sous la contrainte par des soldats chez le président Bah Ndaw. « Je confirme : des hommes de Goïta sont venus me chercher pour me conduire chez le président qui habite non loin de ma résidence », a-t-il dit en faisant référence au colonel Assimi Goïta, actuel vice-président de la transition. La conversation s’est ensuite interrompue informe l’agence de presse française.
En réalité, tout au long de l’après-midi, Bamako bruissait de rumeurs difficiles à confirmer et des missions internationales avaient diffusé des messages de prudence.
Peu de temps après, un haut responsable militaire a bien confirmé à l’AFP que « le président et le Premier ministre sont ici à Kati pour des affaires les concernant ». Un responsable du gouvernement, s’exprimant aussi sous le couvert de l’anonymat étant donné le caractère sensible de ces informations, a confirmé que les chefs de l’exécutif de transition, le président Bah Ndaw et le Premier ministre Moctar Ouane, avaient été conduits à Kati, haut lieu de l’appareil militaire malien.
La communauté internationale réagit
C’est là que le président élu Ibrahim Boubacar Keïta avait été conduit de force le 18 août 2020 par des colonels putschistes pour annoncer sa démission. Ce sont, semble-t-il, les mêmes colonels qui sont à la manœuvre neuf mois plus tard. Leurs intentions ne sont pas connues. En 2012, le Premier ministre Modibo Diarra, arrêté par des putschistes, avait été forcé à la démission.
La capitale, qui avec le Mali a connu en août 2020 son quatrième coup d’État depuis l’indépendance, présentait cependant un air de relative normalité lundi soir disent les journalistes de l’AFP sur place.
Une grande partie de la communauté internationale a condamné dès hier soir « fermement la tentative de coup de force ». La mission des Nations unies au Mali, la Communauté des Etats ouest-africains (Cedeao), l’Union africaine, la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Union européenne ont affirmé dans un communiqué commun « leur ferme soutien aux autorités de la transition ». Ils ont rejeté par avance tout fait accompli, y compris une éventuelle démission forcée des dirigeants arrêtés.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a également appelé dans un tweet « au calme » au Mali et à la « libération inconditionnelle » de ses dirigeants civils. Selon des diplomates, le Conseil de sécurité de l’ONU pourrait tenir une réunion d’urgence dans les prochains jours sur la situation au Mali. Et le médiateur de la Cedeao, Goodluck Jonathan, est annoncé pour ce mardi à Bamako, a-t-on appris de sources diplomatiques.
Des militaires mécontents
En tout cas, ces événements sont survenus quelques heures seulement après l’annonce d’un nouveau gouvernement, que dominent toujours les militaires, mais dont ont été écartés des officiers proches de la junte qui avait pris le pouvoir après le coup d’État d’août 2020 et dont Assimi Goïta était le chef.
Les colonels avaient installé au bout de quelques semaines des autorités de transition, dont un président, Bah Ndaw – militaire retraité –, et un gouvernement dirigé par Moctar Ouane, un civil. Ils s’étaient engagés, de mauvais gré et sous la pression de la communauté internationale, à rendre le pouvoir à des civils élus au bout de 18 mois, et non pas trois ans comme ils l’estimaient nécessaire.
Confronté à une contestation politique et sociale grandissante, le Premier ministre a présenté il y a dix jours la démission de son gouvernement et a été reconduit immédiatement dans ses fonctions par le président de transition Ndaw, avec la mission de former une équipe d’ouverture. La grande inconnue était la place qui serait faite aux militaires, en particulier aux proches de l’ancienne junte, et l’inquiétude est allée grandissant ces derniers jours que les colonels ne se satisfassent pas des choix de Moctar Ouane.
Dans le gouvernement annoncé par la présidence de transition, des militaires détiennent toujours les ministères de la Défense, de la Sécurité, de l’Administration territoriale et de la Réconciliation nationale. Mais, parmi les changements annoncés dans un communiqué lu à la radio-télévision publique, deux membres de l’ancienne junte, les colonels Sadio Camara et Modibo Kone, quittent leurs portefeuilles respectifs de la Défense et de la Sécurité. Ils ont été remplacés respectivement par le général Souleymane Doucoure et par le général Mamadou Lamine Ballo.
Le nouveau gouvernement accueille également – à l’Éducation et aux Affaires foncières – deux ministres membres de l’Union pour la République et la démocratie (URD), principale force politique du Mouvement du 5 juin (M5), le collectif qui avait animé la contestation ayant débouché sur le renversement du président Keïta.
« Par ce remaniement, le président de transition et son Premier ministre ont voulu lancer un message ferme : le respect du délai de la transition reste la priorité », avait expliqué à l’AFP une source proche de la présidence ayant requis l’anonymat. Selon cette source, « un réajustement était nécessaire aux postes de la Défense et de la Sécurité », dont les nouveaux titulaires « ne sont pas des figures emblématiques de la junte ».
Mi-avril, les autorités de transition ont annoncé l’organisation le 31 octobre d’un référendum sur une révision constitutionnelle promise de longue date et ont fixé à février-mars 2022 les élections présidentielle et législatives à l’issue desquelles elles rendraient le pouvoir à des dirigeants civils. Le doute persiste toutefois quant à leur capacité à tenir leur programme, a fortiori dans un contexte où les violences djihadistes et autres continuent sans relâche, où la contestation politique se fait à nouveau jour et où s’accumulent les signes de grogne sociale dans ce vaste pays de 19 millions d’habitants.
Source: lepoint.fr