Au Liban, la crise économique sans fin que traverse le pays a plongé la moitié de la population sous le seuil de pauvreté. À Tripoli, la grande ville sunnite du nord, la pauvreté déjà endémique s’est aggravée et étendue. Les ONG locales, sous pression, le constatent chaque jour.
De notre envoyée spéciale à Tripoli,
La mer est agitée. Les pêcheurs sont restés à quai. Le désespoir est plus fort aujourd’hui à El Mina. C’est par ce quartier du port de Tripoli, la capitale du Nord-Liban, qu’Oum Farouq démarre sa tournée pour le compte de l’association caritative locale Sanabel al Nour. Les familles s’entassent dans les vieux bâtiments pluricentenaires d’un caravansérail pour ne plus payer de loyers en ville. Dans l’un de ces squats logent Hana, son mari et ses enfants. Une odeur d’humidité inonde la chambre et les rongeurs « effraient les enfants », raconte la mère de famille. Voilà des années que son mari, menuisier, a vu ses affaires sombrer.
« On vivait dans un immeuble, au septième étage. On avait une voiture, tout. Mais il y a onze ans, on a été obligés de venir s’installer ici », confie Hana. Dans la pièce, l’air circule très peu et il est chaud et lourd. « Nous sommes sept. J’ai encore un fils qui s’est enfui avec d’autres jeunes à Chypre, mais il ne travaille pas encore », poursuit Hana pour souligner qu’elle n’a pas les moyens de refaire le plafond au bois pourri.
Oum Farouk comprend le message : « Mais oui, je sais, c’est hors de prix ! », répond la responsable des enquêtes de terrain de Sanabel al Nour qui ne peut pas lui promettre que l’association l’aidera. Un simple « inchallah » (« Si Dieu le veut ») en guise d’au revoir suffira pour cette fois. Mais Oum Farouq, qui visite les appartements au pas de course, est interpellée des dizaines de fois. « Il y a beaucoup, beaucoup de demandes. Nous sommes débordés », souffle-t-elle.
L’aide alimentaire pour survivre
Au siège de Sanabel al Nour, entre le port et la Foire internationale de Tripoli, c’est l’heure de la distribution. Comme chaque jour, environ une centaine de sacs de provisions seront donnés aux bénéficiaires enregistrés auprès de l’association, leur offrant sucre, tomates en boîte, huile, lentilles et même dattes.
Rawaa Al Ali, la cinquantaine, mère de deux filles, se redresse difficilement à cause d’une douleur au dos qu’elle doit à des années de pratique de la couture à la maison. Elle habite l’un des quartiers les plus déshérités de la ville, Bab El Tebbaneh. « Mon mari trie les poubelles. Il me donne 40 000 livres (environ 2 euros) tous les trois jours. Ça ne vaut plus rien. Sans Sanabel, je n’y arriverai pas. On m’aide pour les médicaments et grâce à eux, j’ai évité l’expulsion aussi une fois », énumère Rawaa, les larmes aux yeux.
Les dossiers traités ici ont été multipliés par quatre depuis 2019, et le début de la crise financière, pour atteindre 12 000 foyers aidés. Rania Karamé la vice-présidente, a vu grossir les rangs des déshérités. Ceux qui travaillent dans le secteur informel, balayés par les mesures de restrictions sanitaires. Elle a aussi vu grossir les rangs des déclassés, qui n’osent pas faire la queue par honte. Beaucoup étaient des donateurs de l’association avant de sombrer à leur tour. « Ce sont des gens qui ont perdu leur travail, et qui ont toujours besoin de payer leur loyer, leurs soins de santé, tout », s’alarme Rania Karamé, la vice-présidente de l’association, inquiète des effets d’une crise « qui dure ».
Crise humanitaire à Tripoli
Dans la ville la plus pauvre du Liban, le tissu associatif, confessionnel ou non, joue le rôle d’amortisseur social numéro 1. Pour le meilleur et pour le pire. Souvent, les leaders politiques sont accusés d’un regain de générosité à la veille d’élections.
Azm wa Saade a été fondée il y a 33 ans par le leader sunnite et milliardaire Najib Mikati. Dans le dispensaire de la fondation, au cœur du quartier sunnite de Bab el-Tabanneh, on assure recevoir en permanence et sans considération d’origine tous les habitants en difficulté. Pour l’un des responsables des lieux, Mohamed Ayoubi, s’il y a défaillance, c’est au sommet de l’État. « Notre ville accumule les problèmes : les réfugiés, la pauvreté, l’absence de l’État, et maintenant, une monnaie qui s’effondre, énumère le jeune-homme. « Des riches, des moins riches donnent à Tripoli. Sans tous ces efforts, comment les gens tiendraient ? », fait mine de s’interroger le Dr Ayoubi.
Depuis des décennies, Tripoli est marginalisée, « comme si elle n’appartenait pas au Liban » s’exaspèrent les habitants. Symbole de sa décrépitude, entre le port et le centre, le bâtiment de la Foire internationale conçu dans les années 1960 par l’architecte Oscar Niemeyer est abandonné là, sans but.
RFI