Si l’appel de Mme Bakayoko Mariam Coulibaly, pour une prolongation de la période transitoire en cours, n’a pas mis le feu encore aux poudres, il a mis la puce à l’oreille de plus d’un acteur de la crise malienne. Du coup, c’est nettement la main du pouvoir actuel, junte mâtinée d’un enrobage civil, qui apparaît derrière cette initiative. Quand, comme un écho venu de N’Djamena, Mahamat Idriss Déby n’avait pas écarté deux jours plus tôt, l’éventualité d’une prorogation de son bail transitoire à la tête du Tchad.
Et pour la présidente du Collectif de femmes leaders, le mot d’ordre est un prolongement de la durée de la transition : «Nous, femmes leaders, avons pris l’engagement et ce n’est autre que le prolongement de la transition, le prolongement de la durée de la transition afin d’assurer aux Maliens des élections crédibles», assure-t-elle comme le rapporte notre confrère de RFI. Le fait est que Mme Bakayoko est basée à Kati.
La ville garnison fournit depuis pratiquement 2012, les soudards qui tiennent le haut du pavé à Bamako, avec déjà l’insurrection sanglante du sanguinaire capitaine Boucher, Amadou Aya Sanogo. Cette intervention, qui a eu une place de choix dans le traitement des informations sur les antennes de l’ORTM, n’a pas manqué de faire bondir nombre de responsables politiques, aux yeux de qui l’inclusivité est ce qui manque le plus à cette Transition.
Certes, devant son homologue Umaro Sissoko Embalo de Guinée-Bissau, le colonel Assimi Goïta a donné des gages sur le respect des délais convenus avec la communauté internationale dont la CEDEAO. À ce sujet, assure-t-il, des instructions ont été données au gouvernement qui a, en conséquence, décidé de réduire la voilure pour adapter les chantiers «aux urgences et au temps imparti», comme l’a promis le Premier ministre malien Choguel Maïga.
Un président peu soucieux du respect des engagements
Il n’est cependant pas certain que cela soit de nature à rassurer le landernau, suffisamment averti du peu de cas que la junte a jusque-là fait du respect des principes et de ses engagements. Car la marque visible d’Assimi Goïta est justement sa propension à s’émanciper des règles, même au prix de la légalité, comme la violation systématique des décrets et autres textes contraignants issus de la Charte, de la Constitution elle-même ou des importantes prérogatives que les militaires s’accordent.
Tout autant, le nouveau Premier ministre, bien qu’issu de la mouvance de la contestation populaire, n’a pour le moment pas brillé par ses qualités de rassembleur dont les visites de courtoisie, multipliées à souhait, ne sauraient cependant tenir lieu.La formation de son équipe, trustée pour l’essentiel par la junte et par ses proches ou obligés pour la portion congrue restante, n’a pas tenu ses promesses d’ouverture.
Choguel ne paraît non plus guère pressé de requérir davantage de consensus politique autour de certaines de ses initiatives, à travers l’annonce de certains chantiers, comme les ARN ou la mise en place de l’organe unique de gestion des élections. Sur ce sujet d’ailleurs, le Premier ministre vient d’ouvrir les hostilités avec la classe politique, ce lundi 28 juin à la Maison de la presse : «Il n’y a plus de débat. Y’aura-t-il oui ou non un organe unique de gestion des élections ? La décision politique est prise : il y aura un organe indépendant qui va organiser les élections», a-t-il tranché sans fioritures quant à ses intentions.
Choguel à la hussarde
De même, en dépit des réserves émises de part et d’autre sur l’échiquier, le Premier ministre maintient ses Assises nationales de la refondation (ANR). Tout au plus, concède-t-il que les résolutions du Dialogue nationale inclusif (DNI), dont il était l’un des farouches pourfendeurs, élargies à celles de la conférence d’entente nationale et des États généraux de la décentralisation, en seront le menu. Et «les résolutions des Assises nationales de la Refondation (ANR) qui auront la volonté de tous les Maliens seront obligatoires pour toute personne qui veut prendre le pouvoir au Mali», décrète-t-il comme pour prévenir d’éventuelles contestations.
Pourtant, le Premier ministre ne semble pas disposé à réduire de façon substantielle les activités imparties et sur lesquelles se sont engagés ses patrons du Camp Soundjata. Aux yeux de Choguel, la Transition, du moins la tranche des «neuf mois qui restent» qu’il va conduire, sera jugée sur l’organisation d’élections non contestées, les avancées dans l’application de l’accord d’Alger et surtout les réformes politiques, charte des partis, Constitution et autres chantiers polémiques.
Signe qu’en dépit de son engagement à «actualiser le programme de travail du gouvernement pour l’adapter aux urgences et au temps imparti0», le Premier ministre n’en maintient pas moins les activités qui pourraient inscrire l’actuelle Transition dans une durée s’étendant bien au-delà de février 2022, comme promise par la junte et exigée par les partenaires de la communauté internationale pour lever les sanctions. Ou les durcir dans le cas contraire !
Des Réserves pourtant fondées
En l’occurrence, c’est le Parena de Tiébilé Dramé, l’ancien ministre des Affaires étrangères, qui avait tiré la sonnette d’alarme. Entreprendre les réformes des textes, dont la Constitution, conduire des assises nationales de la refondation (ARN), organiser des élections référendaire, présidentielle, législatives et accessoirement communales, voilà qui suscite de fortes suspicions aux yeux de l’ancien partenaire au FSD qui en conclut que «Les chantiers que le Premier ministre veut ouvrir visent à préparer les conditions d’un prolongement de la période transitoire». Pour le Parena, c’est clair : «Le Premier ministre entretient un flou artistique sur le respect de la durée convenue de la transition».
À l’instar du parti du Bélier blanc, nombre de sensibilités politiques et associatives ont attiré l’attention, en plusieurs rencontres, sur l’impératif de revoir les ambitions transitoires à la baisse au regard des délais jugés incompressibles et la nécessité de respecter l’inclusivité pour laquelle le second président de la Transition a dit son attachement.
Parmi ces avertissements, l’éminent constitutionnaliste, Brahima Fomba, est catégorique quant à l’éventualité d’un référendum : «… les conditions juridiques, encore moins les conditions politiques, ne sont réunies pour s’engager dans une telle aventure. L’article 118 de la Constitution précise bien que l’initiative de la révision appartient concurremment au Président de la République et aux députés. Or, jusqu’à ce jour, nous n’avons ni députés, ni Président de la République. Formellement, aucune révision constitutionnelle n’est possible dans le contexte institutionnel actuel de la Charte de la Transition», a-t-il souligné face à la boulimie réformiste du nouveau Premier ministre.
Déjà, dans une précédente édition, nous avions souligné l’impératif du respect des délais à conjuguer avec les chantiers trop nombreux et difficiles à conduire par, comme un minimum préalable, leur nature collégiale ou consensuelle. Les observateurs paraissent plutôt perplexes devant les engagements pris par les autorités de la Transition qui tranchent avec l’ampleur des activités annoncées dont le commun des mortels sait qu’elles ne pourraient se réaliser dans le temps imparti.
Le Mali est placé dans la même situation que le Tchad dont le président de la Transition et chef des armées vient d’assurer que la Transition pourrait aller au-delà des 18 mois convenus, à condition que la communauté internationale apporte une aide financière pour organiser les élections et que par ailleurs les Tchadiens s’entendent sur les processus de sortie de la Transition.
Curieux mimétisme, quand on sait que le colonel Assimi Goïta a échappé de justesse à des sanctions plus sévères à Accra parce que la plupart des chefs d’Etat et une bonne partie de la communauté internationale avaient quasiment adoubé la dévolution dynastique intervenue à la suite de la mort de Idriss Déby Itno. Il n’est pas exclu qu’Assimi et ses camarades de la junte s’attendent à un remake du cas tchadien.
Mais ils pourraient en être pour leurs frais, car au Tchad, non seulement le Maréchal Idriss Déby est mort au front, mais les officiers de la junte sont toujours présents sur les théâtres des opérations, engagés à combattre l’insécurité armée. Et non réfugiés sous les lambris comme au Mali.
Mohamed Ag Aliou
Source: La Nouvelle libération